Incapable de récupérer ses réfugiés en RDC, Kigali offre son hospitalité aux bannis de la Grande-Bretagne

Un accord aux contours flous lie, depuis la semaine dernière, Londres et Kigali. Dans cet accord, signé à Kigali par Mme la ministre britannique de l’Intérieur, le Rwanda s’engage à accueillir sur son sol des candidats à l’exil au Royaume-Uni. En Afrique, comme dans le monde, cet accord intrigue et soulève bien des interrogations. Comment le Rwanda, qui refuse d’accueillir depuis des années son trop plein des réfugiés qui écument la partie Est de la RDC, accepte-t-il de recevoir les bannis de la Grande-Bretagne. En République Démocratique du Congo, on craint que l’accord entre Londres et Kigali ravive des tensions dans l’Est, au moment où un accord tout aussi bizarre vient d’être signé entre la République du Congo et le Rwanda. Décidément, c’est la RDC qui est en train d’être prise en étau pour des objectifs non connus du grand public.
Entre Kinshasa et Kigali, le courant ne passe plus. En tout cas, pas comme ce fût le cas dans les premiers mois du Président Félix Tshisekedi au pouvoir. La résurgence des rebelles du M23, visiblement appuyés par le Rwanda, a élargi le fossé entre la RDC et le Rwanda. Désormais, les deux pays se détestent sans le dire. Pour le moment, ils font semblant de se supporter, mais le mal ayant été déjà fait, des signes de rupture sont bien visibles de part et d’autre.
A Kigali, le président Paul Kagame a bien perçu le message. En fin tacticien, il cherche à anticiper pour ne pas être pris de court.
Petit pays de la région des Grands Lacs, le Rwanda a pris l’habitude d’exporter ses problèmes, particulièrement sur le sol congolais pour ne pas se déstabiliser.
A la grande surprise, Kigali vient de s’engager à rapatrier sur son territoire les réfugiés non admis en Grande-Bretagne. Malgré l’étroitesse de son territoire, Kigali pense s’en sortir. Au même moment, le Rwanda vient de conclure un accord avec la République du Congo pour l’exploitation de 12.000 hectares des terres arables qui s’étendent, curieusement jusqu’à la frontière de la RDC. Ce qui n’est pas passé inaperçu à Kinshasa.
Quant aux bannis de la Grande-Bretagne, on ne comprend pas que Kigali qui refuse, depuis toujours, de recevoir ses réfugiés présents en RDC depuis la grande transhumance de 1994, acceptent d’offrir ses bons offices à la Grande-Bretagne. Il y a donc anguille sous roche.

L’ONU s’oppose
Pour l’instant, le Royaume-Uni fait face à une opposition massive contre son projet controversé, présenté jeudi 14 avril, d’envoyer au Rwanda les demandeurs d’asile arrivés illégalement sur le sol britannique, espérant dissuader les traversées clandestines de la Manche en pleine augmentation.
Si le Premier ministre Boris Johnson avait promis de contrôler l’immigration, un des sujets clés dans la campagne du Brexit, le nombre de traversées illégales de la Manche a triplé en 2021, année marquée par la mort de 27 migrants dans un naufrage fin novembre. Londres reproche régulièrement à Paris de ne pas en faire assez pour les empêcher.
«À partir d’aujourd’hui (…) toute personne entrant illégalement au Royaume-Uni ainsi que ceux qui sont arrivés illégalement depuis le 1er janvier pourront désormais être relocalisés au Rwanda», a annoncé le dirigeant conservateur dans un discours dans le Kent (sud-est de l’Angleterre).
Le Rwanda pourra accueillir «des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir», a-t-il ajouté, vantant ce pays d’Afrique de l’Est comme l’un des «plus sûrs au monde, mondialement reconnu pour son bilan d’accueil et d’intégration des migrants». Ce projet, susceptible de s’appliquer à tous les étrangers entrés illégalement, d’où qu’ils viennent (Iran, Syrie, Érythrée…), a suscité des réactions scandalisées et la «forte opposition» de l’ONU. «Les personnes fuyant la guerre, les conflits et les persécutions méritent compassion et empathie. Elles ne devraient pas être échangées comme des marchandises et transférées à l’étranger pour être traitées», a déclaré dans un communiqué Gillian Triggs, Haut Commissaire assistante du HCR en charge de la protection internationale.
Amnesty International a critiqué «une idée scandaleusement mal conçue» et souligné le «bilan lamentable en matière de droits humains» du Rwanda. Daniel Sohege, directeur de l’organisation de défense des droits humains Stand For All, a dénoncé à l’AFP une initiative «inhumaine, irréalisable et très coûteuse», recommandant plutôt d’ouvrir des voies d’entrée au Royaume-Uni «plus sûres», car celles qui existent sont «très limitées».
Pour Nadia Hardman, de Human Rights Watch, le dispositif va «compliquer» le processus pour «les réfugiés syriens qui recherchent désespérément un endroit sûr». «Ils arriveront et s’attendront à être traités selon les valeurs fondamentales que le Royaume-Uni dit soutenir, mais à la place, ils seront transférés» à des milliers de kilomètres, a-t-elle dénoncé.

Une idée «absolument ridicule»
L’opposition travailliste a, quant à elle, accusé Boris Johnson de détourner l’attention après avoir reçu une amende pour une fête d’anniversaire en plein confinement. En envoyant des demandeurs d’asile à plus de 6.000 kilomètres de Londres, le gouvernement veut décourager les candidats au départ vers le Royaume-Uni, toujours plus nombreux: 28.500 personnes ont effectué ces périlleuses traversées en 2021, contre 8466 en 2020, selon le ministère de l’Intérieur.
À Douvres, les avis sont partagés : «Ils doivent être renvoyés parce que ce n’est pas notre responsabilité», a déclaré à l’AFP Andy, 68 ans, un vétéran de l’armée britannique. Mike Allan, retraité de 73 ans, jugeait lui l’idée «absolument ridicule» et «beaucoup plus coûteuse sur le long terme».
Désireux de regagner en popularité avant des élections locales le mois prochain, Boris Johnson et son gouvernement cherchent depuis des mois à conclure des accords avec des pays tiers où envoyer les migrants en attendant de traiter leur dossier. Une telle mesure est déjà appliquée par l’Australie avec des îles éloignées du Pacifique, une politique très critiquée. En vertu de l’accord annoncé jeudi, Londres financera dans un premier temps le dispositif à hauteur de 120 millions de livres (144 millions d’euros). Le gouvernement rwandais a précisé qu’il proposerait la possibilité «de s’installer de manière permanente au Rwanda s’ils le souhaitent».
«Notre compassion est peut-être infinie mais notre capacité à aider des gens ne l’est pas», a déclaré Boris Johnson, qui anticipe des recours en justice contre le dispositif. Dans le cadre de ce plan qui vient compléter une vaste loi sur l’immigration actuellement au Parlement, le gouvernement a confié dès jeudi le contrôle des traversées illégales de la Manche à la Marine, équipée de matériel supplémentaire. Il a renoncé en revanche à son projet de repousser les embarcations entrant dans les eaux britanniques, mesure décriée notamment côté français.

Hugo T.