RDC : la Chine perd du terrain, Washington veut en tirer parti

L'Ambassadeur américain, Mike Hammer

Enhardi par le soutien indéfectible américain, le Président Félix Tshisekedi a mis fin à l’exclusivité de la «Three Gorges Corporation » pour le développement du barrage d’Inga III sur le fleuve Congo. Le Chef de l’Etat entend aussi revisiter les contrats miniers, dont ceux conclus avec la Chine.

C’est la fin de la lune de miel entre la Chine et le Congo. Le Président, fort d’une nouvelle majorité parlementaire, est en train de revoir de fond en comble les accords passés par son prédécesseur. En août, le site d’information français Africa Intelligence a annoncé le retrait officiel de l’exclusivité accordée en 2018 par Kinshasa à la Three Gorges Corporation chinoise pour le développement d’Inga III (4.800 MW). Le privilège a été transféré à la compagnie australienne Fortescue, qui se voit confier le développement de toutes les phases de Grand Inga (40.000 MW), dont Inga III n’est qu’une étape.

La nouvelle ne surprend pas le cénacle des spécialistes à Kinshasa. Le 13 juin 2021, le président Tshisekedi avait déjà choisi Fortescue comme seul opérateur pour la construction de ce barrage, qui fait partie d’un projet encore plus ambitieux. Celui-ci consiste à installer une capacité de production totale de 70.000 MW, comprenant aussi d’autres barrages hydroélectriques dans le pays. Latitude a été laissée aux Chinois, s’ils le veulent, de rejoindre Fortescue mais les représentants de Pékin ont annulé une visite à cet effet, prévue en août dernier.

Guère de progrès

Comment en est-on arrivé là ? Force est de reconnaître que depuis la signature du contrat, le 16 octobre 2018, entre l’Etat congolais d’une part et les groupements d’entreprises Chine Inga 3 (dont le chef de file est la Three Gorges Corporation) et ProInga, dirigé par la filiale Cobra du groupe de BTP espagnol ACS, pas grand-chose n’a bougé. En partie à cause de la mésentente entre les partenaires, incités à fusionner, qui avait incité, début 2020, ACS à se retirer du projet. Mais aussi parce que les Chinois et un autre partenaire espagnol, AEE Power, demeuré dans le consortium, n’ont pas réalisé les études de faisabilité promises.

Les réserves chinoises portaient aussi sur la viabilité financière du projet, qui n’a pas fait l’objet de promesses fermes d’achats de courant électrique de la part des différents clients pressentis.

C’est cette paralysie qui a favorisé le rapprochement entre la présidence congolaise et les Australiens, dans des conditions jugées «opaques» par le Parlement des Jeunes de la RDC.

Pas que Inga en cause

Mais la prise de distance avec la Chine ne concerne pas que Inga. Le Congo, qui a manifesté il y a quelques mois son intention de revisiter les contrats miniers, a annoncé le 19 août un réexamen de son actionnariat dans l’un des principaux projets du pays, la mine de cuivre et cobalt de Tenke-Fungurume, dont l’actionnaire principal est le groupe chinois China Molybdenum.                        Pour Kinshasa, il s’agit de vérifier si les 20% de participation de la société Gécamines (qui appartient à l’Etat congolais), correspondent à l’équité, compte tenu de l’apport des réserves dont l’Etat veut vérifier la quantité.

Le 10 août dernier, la ministre des Mines, Antoinette Nsamba, a réaffirmé la volonté exprimée par le président Tshisekedi en mai à Kolwezi, de renégocier les contrats miniers conclus par son prédécesseur Joseph Kabila. Plus rien ne semble tabou, pas même, le méga-contrat « mines contre infrastructures » de 6 milliards Usd – révélé par La Libre Belgique – approuvé par Kabila en 2007. D’ailleurs, le récent documentaire du Camerounais Alain Foka démontre maintes violations des lois congolaises par les miniers chinois.

L’étoile chinoise pâlit, le soleil américain brille

Il n’échappe pas aux diplomates en poste à Kinshasa que l’étoile chinoise commence sérieusement à pâlir alors que le soleil américain brûle de tous ses feux. En ce moment, c’est la grande idylle entre Washington et Kinshasa ou plus particulièrement entre l’hyperactif ambassadeur américain, Mike Hammer, et le chef de l’État congolais.

Ô hasard – comme si le vote du Congrès de 2014 qui exigeait, sous la pression de lobbies environnementalistes, que le gouvernement américain et ses agences cessent de financer de grands barrages, n’avait pas d’importance – l’ambassadeur a visité le site d’Inga en juillet dernier. En outre, il a entonné une douce musique aux oreilles du Président, déclarant que « Inga constitue un secteur idéal d’investissement ».

Offensive de charme de Washington

De façon générale, les États-Unis mènent une offensive de charme. Au ministre de l’Economie, Jean-Marie Kalumba Yuma, Mike Hammer a annoncé que les Etats-Unis allaient renforcer leurs investissements dans le pays, après la signature en juillet d’un accord de financement de 1,6 milliard de dollars US pour appuyer les réformes au cours des cinq prochaines années.

Selon le directeur de la mission de l’Agence américaine pour le Développement International (USAID), Paul Sabatine, qui a signé l’accord avec le vice-ministre congolais des Affaires étrangères, Samy Adubango, cette enveloppe, qui représente près du triple de l’aide européenne sur la période 2014-2020, va permettre de financer la promotion de la gratuité de l’éducation de base, accroître l’accès à des soins de santé de qualité, soutenir la croissance et protéger la considérable biodiversité du Congo.

20 experts des Forces spéciales

Le cinquième objectif, peut-être le plus difficile, consiste à éradiquer le conflit dans l’Est du pays. Au cours du mois d’août, une équipe de 20 experts des Forces spéciales américaines a débarqué au Congo pour apporter des conseils aux Forces armées de la RDC (FARDC) engagées dans la lutte contre les djihadistes ougandais des Allied Democratic Forces (ADF) dans la région de Beni et en Ituri. Et, au-delà, appuyer les rangers des parcs nationaux de la Garamba et des Virunga pour mettre fin aux incursions de rebelles ou de braconniers dans ces parcs.

Le hasard faisant bien les choses, la RDC a récemment signé un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) dont aucune décision ne se prend sans l’aval de Washington. Cet accord porte sur 1,5 milliard de dollars US étalés sur trois ans.

Au bout du compte, tout se passe comme si les Américains voulaient tirer parti de ces différents épisodes de rupture d’harmonie entre sociétés chinoises et gouvernement congolais, pour reconquérir, en termes d’influence, une partie du terrain perdu face à une Chine qui demeure et de loin, le premier partenaire commercial du Congo.

Econews avec La Libre Belgique