A un peu plus de 500 jours des élections générales de décembre 2023, les grandes manœuvres politiques ont commencé en République Démocratique du Congo (RDC). Les candidatures à la présidentielle se multiplient au gré d’alliances politiques à géométrie variable. Revue d’effectifs avec Afrikarabia.
Le paysage politique congolais est en perpétuel mouvement, mais l’approche de la présidentielle, théoriquement fixée dans 18 petits mois, aiguise les appétits et oblige les différents acteurs politiques à se positionner en choisissant leur camp. Signe que les échéances se rapprochent : la grande bousculade des annonces de candidatures. Le premier à avoir annoncé sa volonté de se présenter, ou plutôt de se représenter, c’est le président Félix Tshisekedi lui-même. Dès juillet 2021, dans une interview accordée à la télévision nationale, le chef de l’Etat a déclaré «vouloir continuer». «J’ai une vision pour ce pays. Je veux voir ce pays se transformer».
Briguer un second mandat apparaît donc comme une évidence pour le président Tshisekedi, tout comme ses principaux soutiens. Pourtant, le bilan de sa première mandature apparaît plutôt faible, notamment avec la reprise de la guerre dans l’Est et un quotidien qui ne s’est toujours pas amélioré pour les Congolais, dont plus de 78% vivent avec moins de deux dollars US par jour. Les grandes promesses du «programme des 100 jours», de la gratuité de l’enseignement, ou du retour de la sécurité à l’Est du pays restent toujours très virtuelles pour la majorité de la population. Après plus de 3 ans de pouvoir, Félix Tshisekedi est aujourd’hui au plus bas de sa popularité, selon un sondage du Groupe d’études pour le Congo (GEC), même si le président arrive toujours en tête des intentions de vote (31%) pour les élections de 2023.
Quand Tshisekedi verrouille des institutions
Pourtant, la sérénité règne dans le camp présidentiel. Une confiance renforcée par le mode de scrutin à un seul tour qui peut faire élire le nouveau président avec seulement 25% ou 30% des voix. Le chef de l’Etat peut aussi compter sur la machine d’Etat et les principales institutions. Le confortable budget de la présidence, au regard du microscopique budget de l’Etat, permettra au candidat Tshisekedi de battre campagne avec d’importants moyens financiers. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) et la Cour constitutionnelle sont désormais dirigées par des proches du camp présidentiel. L’opposition dénonce déjà une «caporalisation» des institutions par le pouvoir et le risque de «tripatouillage électoral » pour faire gagner le candidat-président. La CENI centralise en effet les bulletins de vote et annonce les résultats provisoires, la Cour constitutionnelle les valide et gère les contentieux.
Les soutiens présidentiels s’affichent
Félix Tshisekedi a également engrangé de nombreux soutiens. L’AFDC du président du Sénat, Modeste Bahati, a annoncé qu’il soutiendrait la candidature présidentielle. Même si la sortie du patron de la chambre haute sur le départ des casques bleus, provoquant une flambée de violence anti-Monusco, a fortement déplu dans les chancelleries, Modeste Bahati et ses élus pèseront dans le futur dispositif du candidat Tshisekedi, notamment pour les législatives. Le président bénéficiera aussi du soutien du président de l’Assemblée, Christophe Mboso, très implanté dans l’Ouest, mais aussi de deux ministres proches de Moïse Katumbi. Il s’agit du ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire Muhindo Nzangi, qui quitte le parti katumbiste avec 8 députés nationaux, 13 députés provinciaux et 1 sénateur; ainsi que du ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula. Les autres ministres du parti de Moïse Katumbi sont fortement courtisés pour rejoindre la candidature présidentielle.
Vital Kamerhe passe son tour
Un allié poids lourd devrait également faire partie du dispositif de campagne pour soutenir Félix Tshisekedi : Vital Kamerhe. Le très puissant patron de l’UNC est revenu en force sur la scène politique congolaise après son récent acquittement. Condamné à 20 ans de prison, ramenés à 13 en appel, pour détournement de fonds publics, l’ancien président de l’Assemblée nationale a été blanchi par la justice congolaise. Un acquittement très politique à 18 mois d’une campagne présidentielle dans laquelle Vital Kamerhe risque de jouer un rôle central. Le président de l’UNC ne sera donc pas candidat, mais devrait rouler pour Tshisekedi, notamment pour faire campagne dans l’Est du pays, où le président a beaucoup perdu de sa popularité. Kamerhe est notamment très fort à Bukavu, sa ville natale.
Quel rôle pour Kamerhe ?
Eprouvé par sa détention, le patron de l’UNC devrait se faire discret et rester en coulisse. Kamerhe tirera donc un trait sur l’accord de Nairobi qui stipulait, dans son alliance avec Tshisekedi, qu’il serait candidat en 2023. Vital Kamerhe devra donc patienter pour s’asseoir dans le fauteuil présidentiel, mais la Primature pourrait bien lui tendre les bras. Selon toute vraisemblance, le poste de Premier ministre pourrait lui échoir après 2023, en cas de victoire de Félix Tshisekedi.
Le prochain remaniement en préparation devrait conforter Sama Lukonde faute d’une autre personnalité katangaise de poids compatible pour la fonction. Jusqu’aux élections, Vital Kame-rhe va donc s’appliquer à se rendre indispensable dans le dispositif présidentiel. Devant l’échec de l’état de siège et le retour du M23, «le pacificateur» va notamment s’impliquer dans la lutte contre l’insécurité dans l’Est du pays. Il pourrait également prendre part à la campagne électorale et servir de facilitateur au sein de la très hétéroclite Union sacrée.
Business first pour Jean-Pierre Bemba
Le MLC de Jean-Pierre Bemba devrait également se ranger aux côtés des soutiens du président Tshisekedi. Le chairman se montre très régulièrement bienveillant au sujet du chef de l’Etat. Il faut dire que Jean-Pierre Bemba a su négocier son soutien présidentiel pour régler ses nombreux contentieux financiers avec l’Etat congolais. Un soutien très lucratif à plusieurs millions de dollars US. En retour, le camp Tshisekedi espère s’assurer les voix des électeurs de l’Equateur, le fief du MLC. Une candidature Bemba n’est tout de fois pas à exclure, dans le cas où elle permettait un émiettement des voix qui serait favorable à Félix Tshisekedi.
Katumbi, le discret
L’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, ne se trouve pas dans la position des plus confortables avant le scrutin de 2023. Officiellement allié au président Tshisekedi au sein de l’Union sacrée, l’homme d’affaires prépare pourtant sa candidature. Mais avec un pied dans l’Union sacrée et un autre dehors, il peine à afficher une ligne politique cohérente vis à vis du président Tshisekedi. Après avoir lancé tambour battant son parti, Ensemble pour la République, et annoncé une grande tournée aux quatre coins du pays, Katumbi se fait aujourd’hui très discret (trop discret selon certains de ses soutiens).
Privé de candidature en 2018 par Joseph Kabila, l’ex-gouverneur veut pouvoir enfin se présenter face aux électeurs et reste prudent face à Tshisekedi en évitant les critiques trop frontales. L’épée de Damoclès du projet de loi Tshiani qui pèse toujours au-dessus de sa tête pourrait une nouvelle fois l’empêcher de concourir en 2023. Noël Tshiani propose que les prochains candidats soient tous Congolais «de père et de mère», ce qui n’est pas le cas de Katumbi. Le patron d’Ensemble pour la République doit aussi faire face aux tentatives de siphonnage de ses cadres et de ses élus par le camp Tshisekedi. Avec des réussites, comme le départ de Muhindo Nzangi.
Fayulu, populaire mais en quête de moyens financiers
L’opposant numéro un à Félix Tshisekedi reste sans conteste Martin Fayulu. Le candidat malheureux de 2018 revendique toujours sa victoire, victime d’un arrangement politique entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Un «hold-up» électoral que le patron de l’Ecidé compte bien faire oublier en 2023. La dégradation de la situation sécuritaire dans l’Est et l’implication du Rwanda dans l’aide au M23 donnent également raison aux positions défendues par Martin Fayulu et confortent sa popularité. Pour remporter les élections, il devra toutefois se battre pour que le scrutin soit crédible et transparent, ce qui est loin d’être garanti pour l’instant.
En 2023, Martin Fayulu risque toutefois de manquer de moyens financiers, ne bénéficiant plus de l’aide de Katumbi et Bemba, qui l’avaient désigné candidat unique de l’opposition. L’opposant est également perçu comme «dur et intransigeant» dans les chancelleries occidentales, notamment vis-à-vis du Rwanda. Une position qui fait sa popularité auprès des Congolais, mais qui est en train d’évoluer dans les ambassades après le rapport de l’ONU accusant le Rwanda de soutenir le M23.
Kabund écarté pour 2023 ?
De nombreuses autres candidatures sont apparues récemment. L’ex-allié de Fayulu, Adolphe Muzito, a annoncé sa candidature en solo. L’ancien Premier ministre souhaite désormais faire cavalier seul, mais son poids politique reste marginal. On peut penser qu’il pourrait se rallier avant le scrutin à un autre candidat. C’est également le cas de Franck Diongo, un déçu du tshisekedisme, mais dont la candidature reste tout aussi symbolique. Félix Tshisekedi pourrait se méfier de l’ancien patron de son propre parti (UDPS), Jean-Marc Kabund, qui a quitté le navire avec fracas.
Après s’être brouillé avec le président et (surtout) avec son entourage, le turbulent député avait dénoncé lors d’une conférence de presse qui a fait grand bruit, la corruption, l’incompétence et l’échec du régime Tshisekedi. Une sortie médiatique qui lui a voulu son interpellation et sa détention pour «injures au chef de l’Etat». Jean-Marc Kabund avait bien annoncé sa candidature à la présidentielle pendant sa conférence de presse, mais ses ennuis politico-judiciaires pourraient bien se prolonger jusqu’aux élections, empêchant ainsi sa candidature. Une mise à l’écart qui bénéficierait au candidat Tshisekedi.
Le plan B de Kabila
La grande inconnue de ces élections de 2023 se trouve dans le camp de l’ex-président Kabila. Après avoir renoncé à briguer un troisième mandat sous la pression populaire et internationale, le «raïs » se montre de plus en plus actif à l’approche des élections. L’ancien président «ne tient plus en place», selon un proche. Sa récente poignée de main avec son ex-allié Moïse Katumbi, qui l’avait quitté pour briguer la magistrature suprême, a beaucoup fait jaser. Une nouvelle alliance est-elle possible entre les deux frères ennemis ? L’option paraît peu probable, mais cette rencontre est un signal envoyé à Félix Tshisekedi qu’une possible alliance katangaise pourrait changer la donne électorale. Normalement, un verrou légal empêche Joseph Kabila de se présenter en 2023, et l’entourage du raïs n’a pas encore trouvé la formule qui signerait son grand retour en politique. Mais le plan B du camp Kabila pourrait s’appeler Olive, la femme de l’ancien président. Très active dans l’action caritative, elle pourrait porter la voix du PPRD en 2023.
Matata, une candidature menacée
Un ancien membre éminent du parti kabiliste a également fait son retour dans l’arène politique congolaise, il s’agit de l’ex-Premier ministre Matata Ponyo. Ses ennuis judiciaires dans l’affaire du détournement de fonds de la ferme Bukanga-Lonzo font tout de même planer des doutes sur la possibilité à se présenter à la prochaine présidentielle. Matata Ponyo a créé son propre parti, qui l’a immédiatement investi pour le représenter dans la course à la présidence.
L’ex-PPRD espère pouvoir attirer les déçus du kabilisme, et pense aussi que l’annonce de sa candidature peut le « protéger » des foudres de la justice. Car si la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour le juger en novembre 2021, le nouveau président de la Cour, placé par Félix Tshisekedi, pourrait en avoir une tout autre lecture.
Mukwege très courtisé
La surprise du scrutin de 2023 pourrait venir d’une personnalité de la société civile. C’est du moins le voeu formulé par un collectif d’intellectuels congolais qui souhaitent voir le docteur Denis Mukwege se présenter à la présidentielle. Le prix Nobel de la paix coche en effet toutes les cases du candidat idéal : intègre, multi-récompensé, reconnu interna-tionalement, et sans compromission avec les différents pouvoirs. La question est maintenant de savoir si Denis Mukwege en a envie, et s’il est prêt à se lancer dans le marigot politique congolais, quitte à écorner son image ?
Pour l’instant, le célèbre gynécologue n’a pas donné suite à cet appel, fortement relayé par la diaspora en Europe. Mais depuis quelques mois, notamment depuis le retour de la guerre ouverte à l’Est, le prix Nobel de la paix exprime régulièrement ses positions sur la situation sécuritaire, n’hésitant pas à critiquer la diplomatie congolaise. Un signe positif pour ses soutiens. Le 11 août dernier, Denis Mukwege a rencontré Martin Fayulu dans son hôtel de Kinshasa. Un échange de quatre heures au lendemain du passage du chef de la diplomatie américaine au Congo. Les deux hommes sont sur la même longueur d’onde à propos du conflit congolais et souhaitent exhumer le Rapport Mapping qui documente les crimes commis au Congo entre 1998 et 2003. Une rencontre qui fait dire à certains observateurs qu’un ticket Fayulu-Mukwege serait en gestation.
«Glissement » du calendrier électoral ?
A 18 mois de l’éché-ance électorale, les alliances politiques ont encore le temps de se faire et de se défaire. D’autant que le scrutin n’est pas certain de se tenir dans les délais. Les contraintes financières, la loi électorale, le recensement des électeurs et surtout l’insécurité à l’Est pourraient retarder la tenue des élections.
A Kinshasa, dans les coulisses du pouvoir, le «glissement» du calendrier apparaît inévitable. «Six mois minimum», nous confie un membre de l’Union sacrée, notamment «à cause de la guerre à l’Est ». Le risque est un retour à la crise pré-électorale de 2016, avec son lot de manifestations et de répressions violentes. En 2016, c’est l’Eglise catholique qui avait joué la médiatrice et amené les protagonistes autour de la table pour signer les accords de la Saint-Sylvestre et repousser les élections. Aujourd’hui, l’Eglise catholique ne fait plus l’unanimité et a perdu de son influence politique.
Si une crise électorale éclate en 2023, on ne voit pas qui pourrait jouer les médiateurs. Les partenaires internationaux du Congo l’ont bien compris en exigeant de Félix Tshisekedi la tenue du scrutin dans les délais. Tout report plongerait le pays dans une dangereuse instabilité politique, alors que les bruits de bottes se font toujours entendre à l’Est.
Christophe Rigaud (Afrikarabia)