Le 20 mai 2023 à Kinshasa, le régime du Président de la République, Félix Tshisekedi, est finalement tombé dans le piège du bloc de l’Opposition formé autour de Moïse Katumbi, Martin Fayulu, Matata Ponyo et Delly Sesanga. La forte répression policière qui a suivi cette marche a laissé un goût amer à la communauté internationale qui a clairement fait part d’inquiétantes restrictions des libertés publiques en République Démocratique du Congo. La CENCO (Conférence épiscopale nationale du Congo) a aussi fait sa part en exprimant sa désapprobation face à l’usage disproportionné de la force pour disperser une manifestation pacifique.
En réalité, le 20 mai 2023 à Kinshasa, le pouvoir de Tshisekedi a pris un sacré coup, une tache d’huile dont il aura du mal à se défaire de sitôt. Tout s’est passé comme si la communauté internationale n’attendait que cette occasion pour se décharger sur le régime Tshisekedi. Ainsi, dans un élan de solidarité, difficile à comprendre, les Etats-Unis et l’Union européenne ont fait part de leur indignation, condamnant les dérives de Kinshasa. C’est un mauvais signe.
Le vin étant tiré, il ne reste plus qu’à le boire. C’est la seule issue qui se présente au régime de Kinshasa. Et comme si le drame du 20 mai ne suffisait pas, Moïse Katumbi, l’un des leaders du bloc de l’Opposition, s’est vu interdire mardi l’entrée dans la province du Kongo Central où il avait prévu d’entamer une tournée par la ville de Mbanza-Ngungu.
Curieusement, Kinshasa n’a pas apprécié la décision unilatérale du gouverneur de la province du Kongo Central, Guy Bandu. Ce dernier a été convoqué, en toute urgence, à Kinshasa par le vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur, son autorité hiérarchique. Qu’est-ce à dire ? Nul ne le sait.
Dans tous les cas, le 20 mai 2023, le régime Tshisekedi a laissé des plumes en tombant dans le piège de l’Opposition qui a l’avantage d’avoir gagné en crédibilité à l’échelle internationale.
Félix Tshisekedi et la tentation autoritaire
La marche de l’Opposition du samedi 20 mai a été violemment réprimée par les forces de sécurité congolaises, note Afrikarabia, qui pense que c’est «un dérapage sécuritaire qui pourrait faire partie d’une stratégie de l’affrontement lancée par des proches du pouvoir ». «Cela nous rappelle les pires heures du régime Kabila », a fustigé le mouvement citoyen Lucha, cité par Afrikarabia.
Du côté de l’Opposition, on n’a pas de mots assez durs pour qualifier les violences de la police. Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Delly Sesanga et MatataPonyo, à l’origine de la marche pacifique pour dénoncer «le processus électoral chaotique, la vie chère et la volonté du président Tshisekedi de vouloir conserver le pouvoir par la force» ont fustigé la «dérive dictatoriale» du chef de l’Etat. «Nous venons de vivre la barbarie et l’arbitraire», a tonné l’ancien Premier ministre de Joseph Kabila, Matata Ponyo.
Même son de cloche pour le prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, qui s’est dit «choqué par les images de violences policières et d’un État qui dénie à ses citoyens ses libertés fondamentales à la veille d’élections générales».
Le ministre congolais des Droits humains, Albert-Fabrice Puela, a lui aussi condamné la «brutalité» de la police contre les manifestants et réclamer des enquêtes « pour établir les responsabilités sur les différentes violations constatées».
« La volonté de réprimer »
Pour les autorités provinciales, qui avaient autorisé la marche de l’Opposition, la faute en revient aux organisateurs qui n’ont pas respecté l’itinéraire de la manifestation. Le patron de la police de Kinshasa a expliqué que les échauffourées ont éclaté alors que les manifestants refusaient de suivre le parcours validé par le gouverneur de la ville.
Deux autres manifestations, organisées par des partis politiques de la majorité présidentielle avaient lieu le même jour, et la police kinoise redoutait des affrontements entre pro-et anti-Tshisekedi.
Le raidissement sécuritaire du président Félix Tshisekedi face à une marche pacifique paraît difficilement compréhensible de la part du fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi, victime de la répression sous Mobutu et Kabila. On peut comprendre que l’approche des élections de décembre rende le climat politique plus tendu à Kinshasa, mais que redoute Félix Tshisekedi ? Qu’a-t-il à gagner à museler ainsi l’Opposition comme le faisait son prédécesseur Joseph Kabila ? Craint-il de se faire déborder par la rue ?
Difficile à croire alors que le Chef de l’Etat et sa majorité affichent une confiance à toute épreuve quant à leur capacité à remporter les élections et briguer un second mandat. A moins que le président Tshisekedi se soit laissé embarquer dans une stratégie de l’affrontement prônée par certains membres de son propre parti politique et par des sécurocrates zélés, qui cherchent à plaire à Félix Tshisekedi comme ils voulaient plaire à Joseph Kabila. D’ailleurs, les hommes à la tête des services de sécurité sont tous issus du système répressif de l’ère Kabila.
Quoi qu’il en soit, les quatre leaders de l’opposition ont décidé de ne pas céder à la pression et ont annoncé dès ce week-end la tenue d’un sit-in devant la Commission électorale (CENI) le jeudi 25 mai 2023. Deux questions se posent maintenant : le sit-in sera-t-il autorisé par le gouverneur Ngobila et les militants pro-pouvoir vont-ils de nouveau sortir dans la rue ?
Econews
Communiqué de presse de la CENCO sur les marches pacifiques du 20 mai 2023
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- La Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), à travers sa Commission Justice et Paix, a déployé des moniteurs pour suivre les marches pacifiques organisées ce samedi 20 mai courant dans la ville de Kinshasa par les formations politiques aussi bien de la majorité au pouvoir que de l’opposition politique. Ces moniteurs ont été déployés sur tous les itinéraires prévus à cet effet.
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- La CENCO déplore le fait que le Gouvernement de la ville de Kinshasa a autorisé ces marches le même jour et pratiquement aux mêmes heures, surtout le fait d’avoir changé verbalement l’itinéraire prévu par l’Opposition politique à peine 24 heures avant. Ce qui frise une provocation dans la mesure où ce changement était de nature à perturber la planification des organisateurs.
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- La CENCO est écœurée de constater que beaucoup de manifestants ont marché avec les armes blanches (machettes, bâtons, pierres…) au vu et vu de la Police sans être interpellés. Pire, certains éléments de la Police nationale étaient porteurs des mêmes outils de violence qu’ils échangeaient visiblement avec des individus en tenue civile, dont certains portaient le dorsal B.S.U ou Brigade Spéciale de l’UDPS, Force du progrès. Avec une telle complicité affichée publiquement, on se demande si cette Brigade Spéciale n’est pas une milice officiellement entretenue.
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- Le comble de tout, c’est la répression ignoble et sauvage que les forces de l’ordre et leur milice complice ont infligée aux manifestants, y compris aux mineurs trouvés sur leur chemin. Dans la réalisation de leur œuvre macabre, ils n’ont pas hésité à tirer à balle réelle, visant même le véhicule d’un leader politique.
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- La CENCO condamne avec la dernière énergie toutes ces monstruosités décrites ci-dessus ainsi que la violence qui s’en est suivie, d’où qu’elle vienne. Elle attend des autorités compétentes des actions concrètes, au-delà des promesses médiatiques d’enquêtes et de justice (auxquelles nous sommes habitués et qui demeurent souvent sans suite), pour mettre hors d’état de nuire toute cette série de malfrats facilement identifiables. Nous avons grandement besoin des forces de l’ordre au front pour sécuriser le pays et non pour brimer la population dans les villes.
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- La CENCO exhorte le peuple congolais de ne pas céder à la peur face à la barbarie organisée pour l’intimider. Si rien n’est fait pour garantir ses droits fondamentaux, il devra bientôt exercer son pouvoir de sanctionner tous les incompétents.
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- Puisse la Vierge Marie, Reine de la Paix, intercéder pour la RDC et ses habitants.
Kinshasa, le 21 mai 2023
- Puisse la Vierge Marie, Reine de la Paix, intercéder pour la RDC et ses habitants.
Déclaration de la porte-parole de l’UE sur les développements récents à Kinshasa
L’Union européenne condamne la répression violente d’une manifestation de l’opposition ce 20 mai à Kinshasa et l’usage disproportionné de la force à l’encontre des manifestants, y compris des mineurs.
Elle espère que l’enquête indépendante de la justice, demandée par le Ministre des droits humains de la RDC, permettra de faire la lumière sur les circonstances et d’établir les responsabilités sur les violations constatées.
Le respect des libertés publiques, y inclus la liberté de réunion et d’association, est essentiel et constitue un élément déterminant du déroulement d’un scrutin apaisé. Un espace d’expression et de débat sans entrave est indispensable pour permettre aux citoyens de se prononcer librement en vue des élections. L’UE attend des autorités congolaises qu’elles mettent en place les conditions nécessaires pour atteindre cet objectif.
Bruxelles, le 22 mai 2023
Déclaration des USA au sujet de l’usage disproportionné de la force lors de la manifestation du 20 mai 2023
Les États-Unis sont préoccupés par les indications d’un usage disproportionné de la force par les forces de sécurité en réponse aux manifestations à Kinshasa le samedi 20 mai, y compris l’agression d’un mineur.
L’engagement des États-Unis en faveur du droit de se réunir, de la liberté d’expression et de la liberté de la presse est inébranlable ; ces droits sont le fondement d’une démocratie saine. Nous soutenons le droit du peuple congolais à manifester pacifiquement pour exprimer ses préoccupations et ses aspirations. Nous soulignons l’importance d’exercer ces droits de manière pacifique.
Nous saluons l’engagement rapide du gouvernement de la RDC à identifier et à détenir les agents de sécurité responsables d’un usage disproportionné de la force et nous accueillons l’affirmation par le ministre des Droits Humains de l’importance de la justice pour les victimes de violations des droits de l’homme.
US Embassy/Kinshasa, le 22 mai, 2023