Réélu, le président Félix-Antoine Tshisekedi face aux réalités géopolitiques

Depuis sa création en 1885 à la Conférence de Berlin par 14 puissances, la RDC reste un enjeu géopolitique mondial comme l’atteste les déclarations des observateurs étrangers et du président Félix Antoine Tshisekedi.   

La première déclaration est celle de l’envoyé spécial du président américain Joe Biden, Amos Hochstein. De passage à Kinshasa le 12 septembre 2022, il a fait remarquer que «la RDC est le pays le plus important au monde parce qu’elle contribue à la transition énergétique ».

La deuxième déclaration porte la marque du Pape François. En visite officielle à Kinshasa le 31 janvier 2023, le Pape François s’est adressé aux capitalistes du monde entier en ces termes : « Retirez vos mains de la République Démocratique du Congo, retirez vos mains de l’Afrique! Cessez d’étouffer l’Afrique: elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser».

La dernière déclaration, celle du président Félix Tshisekedi, résume la volonté du peuple congolais. S’insurgeant contre la menace de l’implosion du Congo, le président congolais s’adresse à la communauté internationale en ces termes : «Que tout le monde sache, hier, aujourd’hui et demain, aucune génération de mes compatriotes ne cèdera ni n’aliénera un centimètre carré du territoire national à quiconque, pour y établir une colonie de peuplement ou d’exploitation.. Nous défendrons l’intégrité de notre territoire, la souveraineté et l’indépendance de notre pays quoi qu’il en coûte».

De ces prises de positions, il se dégage trois explications. La première s’inscrit dans la compétition entre grandes puissances pour le contrôle des minerais stratégiques. La deuxième explication se situe au niveau de la dénonciation des pillages des richesses du Congo par les multinationales et des massacres de la population congolaise dans ses provinces de l’Est. La troisième explication touche à la menace de la balkanisation ou de l’implosion de la RDC.

Compétition entre grandes puissances pour le contrôle de minerais stratégiques

La révolution numérique couplée à la transition énergétique place la Rdc au cœur de la compétition entre les anciennes et les nouvelles puissances en particulier les Usa et la Chine. (Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares, Les Liens qui Libèrent, paris 2018). Ces nouvelles mutations technologiques ont stimulé la course mondiale pour les minerais stratégiques et critiques. Parmi ces minerais, on peut citer le cobalt, utilisé dans les moteurs à réaction, et les terres rares contrôlées à 90 % par la Chine, utilisées dans toutes sortes d’applications, des turbines éoliennes aux systèmes de guidage des missiles. La Chine domine largement les marchés du traitement et du raffinage de ces minerais et contrôle quelque 77 % de la capacité mondiale de fabrication de batteries pour véhicules électriques. (Le Club des minéraux critiques, Par Christina Lu in Foreign Policy du 14 avril 2023.)

Pour sa part, une étude récente de la Brookings Institution et Results for Develpment note que la Chine raffine 68 % du nickel dans le monde, 40 % du cuivre, 59 % du lithium et 73 % du cobalt.

Le Congressional Research Service indique, par ailleurs, que les États-Unis dépendent à 100 % des importations de 14 minéraux de la liste des minéraux critiques (y compris le graphite et le manganèse) et dépendent à plus de 75 % des importations de 10 minéraux critiques supplémentaires.

Cette dépendance à l’importation des minerais critiques a contraint les Etats-Unis de chercher à sécuriser la chaine d’approvisionnement pour leurs  industries de haute technologie.  Déjà, la Chine a imposé un système de quotas d’exportation pour protéger son environnement et améliorer la structure de l’industrie des terres rares.  Cette mesure pourrait avoir été prise en représailles du contrôle des exportations des semi-conducteurs menés par les Etats-Unis. (French.china.org.cn du 05. 07. 2023)

Dans ces conditions, la RDC qui regorge dans son sous-sol des minerais stratégiques et critiques comme le Cobalt, le coltan et le lithium, devient un pays important pour la sécurité nationale américaine (Gérard Prunier, Why the Congo Matters, Atalantic Council, mars 2016). Ici, il faut relever que plus de 70 % des mines congolaises sont sous contrôle des entreprises chinoises acquises grâce à la cessation des actions détenues par les entreprises minières américaines.

A l’exemple de Tenke Fungurume, une entreprise qui detient des mines des cuivres à haute teneur.  Ces minerais sont exploités par les chinois et raffinés dans les industries en Chine. Avec le monopole sur les terres rares et la et l’exploitation et raffinerie de Cobalt congolais (65 % de réserves mondiale), la Chine a un avantage sur les Usa dans leur compétition pour le leadership mondial. Voilà pourquoi, le Congo est au cœur de la nouvelle Guerre Froide entre la Chine et les Etats-Unis d’Amérique.

Pillage des richesses et massacres de la population congolaise

Depuis les guerres d’agression et d’occupation menées par le Rwanda et l’Ouganda soutenues par les multinationales et leurs puissances occidentales ont fait plus de 10 millions de morts et 7 millions de déplacés internes. (Charles Onana, Holocauste au Congo, l’Artilleur, Paris, 2023).  Il a fallu attendre la visite du Pape François pour qu’il dénonce le génocide oublié des congolais par la communauté internationale. Par ailleurs, plusieurs rapports des experts Nations Unies attestent les pillages de richesses du Congo sans que le Rwanda, l’Ouganda et les multinationales responsables de pillages soient sanctionnées.

Il faut rappeler que ce n’est pas la première fois qu’une telle tragédie survienne au Congo. En effet, entre 1885 et 1906, l’Etat Indépendant du Congo commis un génocide des peuples congolais. Cela fait suite à la forte demande du caoutchouc pour la fabrication des pneus d’automobiles. Résultat, plus de 10 millions de morts et beaucoup des mains coupées. (Adam Hochschild, Les fantômes du Roi Léopold, un holocauste oublié, Belfond, Paris, 1998).

Alors une question. Pourquoi la justice internationale ne s’active pas pour traduire en justice les acteurs de pillage et des massacres congolais ? Pour deux raisons. La première reste l’absence de la mobilisation contre les multinationales qui contrôle les médias et ont le soutien de leurs multinationales.   Si Léopold II fut condamné, c’est grâce à la mobilisation de l’opinion anglaise et américaine par les figures telles que l’écrivain américain Mark Twain et le journaliste anglais Edmond Morel.

La deuxième raison du silence sur le massacre et les pillages des richesses se trouvent du côté de gouvernement congolais. En effet, tous les gouvernements congolais depuis 1997 étaient sous contrôle du Rwanda, Ouganda et les multinationales. Dans ce contexte, il était difficile que le gouvernement congolais s’oppose à ces parrains. Le président Laurent Désiré Kabila qui a osé le faire a été assassiné en 2001 comme c’est fut le cas de patrice Lumumba en 1961.

Menace de la balkanisation ou de l’implosion de la RDC

Après l’annonce de sa réélection, au quartier général de sa campagne sur le boulevard de 30 juin, le président Félix Tshisekedi a prononcé un discours marqué par deux phrases ayant trait à la survie de la RDC : «Eza Likambo na mabele» et «Ne jamais trahir le Congo». Ces deux phrases montrent bien son attachement à la défense de l’intégrité territoriale de la RDC. Et ces prises de position contre la balkanisation et surtout ses attaques contre le président Paul Kagame du Rwanda ont beaucoup contribué à sa réélection.

Pour rappel, Paul Kagame revendique les terres appartenant au Rwanda qui auraient été données à la RDC lors du partage de l’Afrique en 1885. Il en va de même de l’ancien président rwandais, Pasteur Bizimungu, qui a exigé la révision des tracés de frontière entre le Rwanda et la RDC, en insinuant que la RDC devrait restituer une partie du territoire rwandais. Pour les rwandais, historiquement, le Roi du Rwanda sa majesté Rwabugiri avait conquis les zones de Goma, Rutshuru, Walikale, Masisi, Kalehe et Idjwi dans les provinces du Kivu. Cette thèse est remise en cause par les livres d’histoire et toutes les archives coloniales prouvent que toutes ces zones ont toujours été occupées, sans interruption ni perturbation extérieure, par les populations congolaises autochtones. Ces populations constituaient des royaumes qui n’ont jamais dépendu du Rwanda. (Honoré Ngbanda Nzambo, Crimes organisés en Afrique centrale, révélations sur les réseaux rwandais et occidentaux, Editions Duboiris, Paris 2004.)

Si les rwandais revendiquent les territoires congolais, les multinationales occidentales lorgnent sur les richesses minières du Congo. (Alain Deneault, Noir Canada, Pillage, corruption et criminalité en Afrique, écosociété, 2008).  C’est ici que les deux projets se rejoignent : la Balkanisation de la RDC.  Aux Etats-Unis, le ton est donné par Madame Marina Ottaway, co-directrice du Projet « Démocratie et Etat de Droit devant la sous-commission de l’Afrique au Sénat américain », le 8 juin 1999.

«Beaucoup d’Etats qui ont émergé de la période coloniale ont cessé d’exister en fait, et les règles de l’OUA ne peuvent être appliquées à des Etats qui n’existent plus… L’alternative, je crois être plus appropriée pour le moment, est de laisser les pays africains trouver leurs propres solutions. Inévitablement, cela comprendra une continuation des combats internes et entre Etats et probablement la division de certains pays avant d’arriver à une nouvelle stabilité ».

En d’autres termes l’alternative consiste à laisser les armées ougandaise et rwandaise continuer leur guerre contre le Congo jusqu’à ce que le pays soit complètement épuisé et exsangue. Le pays se laissera alors diviser par manque de forces. Les congolais tellement meurtris et abattus, qu’ils se résigneront à la partition de leur pays. (J. Kankwenda Mbaya et F. Mukoka, La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion, Icredes, 2013).

Face à cette situation, quatre observations méritent d’être avancées : 

  1. La RDC se trouve dans une situation délicate face à la rude compétition économique entre la Chine et les Usa. La sécurisation de la chaine d’approvisionnement des matières critiques stratégiques pour les industries américaines va accroitre la pression sur le gouvernement congolais pour redéfinir ses relations commerciales avec la Chine. Cette pression sera accentuée si l’ancien président Donald Trump revient à la Maison Blanche en 2024. Pour Trump, la Chine reste « l’adversaire mortel», cible centrale des mesures commerciales protectionnistes américaines. (Graham Allison, Trump est déjà en train de remodeler la géopolitique in Foreign Affairs du 16 janvier 2024.)
  2. La pauvreté de la population congolaise est en contradiction avec les richesses naturelles que regorge le pays de Lumumba.  Si la RDC a une indépendance politique nominale, l’indépendance économique est un leurre  de la RDC. Toute l’économie congolaise est sous contrôle des étrangers avec la complicité d’une petite politico-bourgeoise.  La nouvelle tâche du président est de renégocier tous les contrats léonins signés entre l’Etat Congolais et les sociétés étrangères, de réformer le système bancaire car aucune banque commerciale est congolaise, de lutter contre la corruption  et de revoir la loi foncière qui favorise la recolonisation de la RDC.  Ainsi, le peuple d’abord aura tout son sens.
  3. L’occupation de territoires congolais de  Ruthuru, Walikale, Masisi pendant plus de 12 mois par l’armée rwandaise s’inscrit dans la stratégie de les annexer en douceur au Rwanda avec la complicité des puissances occidentales (John Le Carré, Le chant de la Mission). Ces territoires regorgent des gisements de minerais stratégiques tels que le coltan, le pyrochlore. Face à cette situation le Congo n’a pas d’autre choix que de faire la guerre pour récupérer ces territoires occupés.
  4. L’Etat congolais est une construction depuis 1885, on peut le déconstruire si les élites congolaises ne lisent pas les tendances actuelles des mutations géopolitiques mondiales. L’Afrique est en train d’assister à la remise en cause de frontières des Etats africains héritées de la colonisation sont en train d’être remises en causes. Les peuples qui ne seront pas capables de défendre leur territoire risquent de disparaitre comme Etat.  Au lieu de se laisser entrainer dans la lutte d’influence de grandes puissances, les africains et les congolais en particulier doivent prendre leur destin en mains pour arracher leur indépendance totale.

En toute de cause, le problème du Congo reste l’absence chez les élites la volonté de puissance et les ambitions de grandeurs malgré ses ressources naturelles, sa géographie et sa population qui sont les éléments de puissance d’un Etat.  Heureusement, avec la réélection du président Felix Tshisekedi, l’espoir renait d’un Congo puissant, prospère et uni capable de rendre le peuple congolais heureux au service de l’Afrique.

Freddy Mulumba Kabuayi

Politologue