À moins qu’il y ait un report, comme les rumeurs le laissent entendre, les élections générales – présidentielle, législatives et communales – auront lieu, le 20 décembre 2023, en République Démocratique du Congo (RDC), un pays terriblement frappé par la guerre dans l’Est. Le Nord-Kivu est plongé dans un cycle de violence sans précédent. Ces élections sont essentielles pour les Congolais, pour qui une solution politique portée par un processus démocratique est un impératif face à cette crise nationale. Les candidats à l’élection présidentielle ne doivent donc pas escamoter la question du débat sur la situation sécuritaire et des droits humains qui demeurent très inquiétante dans cette partie du territoire national. Encore aujourd’hui, les auteurs de graves exactions qui y sont commises, et ce depuis trente ans, restent impunis. Le rapport Mapping des Nations Unies, publié le 1er octobre 2010, fait un inventaire des 617 incidents les plus violents perpétrés en RDC durant la période de 1993 à 2003. C’est pourquoi, l’heureux élu doit le déplacardiser afin de rompre avec l’impunité passée et engager le pays dans une paix durable basée sur la justice et le respect des droits humains.
En RDC, depuis le 19 novembre 2023, la campagne électorale bat son plein. La ronde endiablée des médias s’affolent. Les réseaux sociaux sont au paroxysme de l’effervescence et de la démesure. Chaque jour, les candidats les plus en vue (Félix Tshisekedi, Moïse Katumbi, Martin Fayulu et Denis Mukwege) sont sur le terrain et vivement encouragés par leurs supporters qui semblent être la même foule. D’aucuns promettent beaucoup plus qu’ils ne peuvent tenir, et tous présentent leurs projets de société pour demain, dans la perspective de la prise et l’exercice démocratique du pouvoir afin de construire un Congo Fort, libre, prospère et de garantir le bonheur pour chaque Congolais.
Le président de la République, candidat à sa propre succession, s’est jeté aussi dans l’eau. Félix Tshisekedi a envie d’un deuxième mandat. Ce qui l’y pousse : sa volonté de marquer, de laisser une empreinte spécifique dans l’histoire de la RDC, cela s’entend.
Rien n’est cependant écrit lorsque le pays traverse une période aussi convulsive, aussi instable, aussi inflammable que celle que les Congolais vivent dans l’Est. « Notre combat sera celui de vous apporter la paix, une paix définitive, une paix nécessaire pour la stabilité de notre pays (…) Et cette paix, croyez-moi, je suis prêt à mourir pour qu’elle soit une réalité », avait déclaré le chef de l’État congolais à la foule venue à sa rencontre lors d’une visite à Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu, le 8 octobre 2019. Cette promesse est restée un vœu pieux. « Les promesses des hommes politiques n’engagent que ceux qui les reçoivent », dixit le militant gaulliste, Charles Pasqua (1927-2015).
Dès lors, à quelques jours de la tenue effective des élections générales du 20 décembre 2023, il serait absurde de proclamer que Félix Tshisekedi est le favori du scrutin. La campagne de mobilisation des électeurs que mènent ses principaux adversaires – Moïse Katumbi, Martin Fayulu et Denis Mukwege – le prouve bien. Tout peut arriver, tout est ouvert. Chaque élection présidentielle, régulièrement organisée, est un mystère mais celle-ci, pour l’heure, est la plus énigmatique de toutes. Le suspens est total.
Pourtant, on peut déplorer que sur le terrain, les candidats n’évoquent pas suffisamment les sujets brûlants du moment en RDC, notamment la situation sécuritaire dans l’Est du pays qui continue de se détériorer.
TRENTE ANS DE GUERRE
La guerre dans l’Est de la RDC a franchi un nouveau cap dans l’occupation. La milice armée rwandaise, le mouvement du 23 mars (M23), qui a refait surface fin 2021, s’est emparé de plusieurs localités dans le Nord-Kivu : Bunagana, Rutshuru, Masisi… Et récemment la cité stratégique de Mushaki est tombée aux mains du M23. L’insécurité permanente menace la vie des civils qui fuient les attaques contre leurs villages, en quête de sécurité et à rejoindre des camps de déplacés où les conditions de vie sont de plus en plus difficiles.
Les Tutsi du Rwanda, Ouganda, Burundi et Kenya, (et aussi de militaires sud-Soudanais), sous couvert d’une force militaire dénommée Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) censée contribuer à ramener la paix dans l’Est de la RDC se comportent, depuis un certain temps, de façon despotique dans cette partie du territoire congolais devenue, pour eux, un espace conquis. Suite à cette déconvenue, la RDC s’est bien rendue compte qu’elle était tombée dans le traquenard de cette organisation régionale. Les autorités congolaises n’ont donc pas souhaité renouveler le mandat de cette force – qui a officiellement pris fin, le 8 décembre 2023 -, jugée inefficace face aux groupes armés qui pullulent dans l’Est du pays. Les premiers contingents de cette force ont déjà commencé à quitter l’Est congolais, à l’exemple de militaires kenyans. La force militaire de la Communauté de développement d’Afrique Australe (SADC) remplacera celle de l’EAC et les casques bleus de la Mission de l’ONU en RDC (Monusco) dans ce rôle.
L’Est de la RDC est déchiré par trente ans de guerre. Massacres et violations des droits de l’homme, dont certains constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont déjà fait l’objet de rapports de l’ONU. Mais ces crimes restent impunis. Le rapport Mapping, publié le 1er octobre 2010, et élaboré par le Haut – Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, décrit les violations les plus graves des droits humains et du droit international humanitaire commises en RDC entre mars 1993 et juin 2003.
Ce document de 581 pages avait alors fait naître au sein de la société civile congolaise l’espoir de procédures judiciaires contre les bourreaux de cette période tourmentée. Les Congolais souhaitent d’ailleurs que l’on prenne en compte les conclusions des rapports fournis après 2003.
Jusqu’à ce jour, les victimes attendent encore que les recommandations qui y figurent soient mises en œuvre en RDC afin qu’aucune victime ne soit oubliée et que toutes obtiennent enfin justice et réparation.
Les enjeux sont très importants pour l’avenir du pays, et cela ne peut laisser indifférent les candidats à l’élection présidentielle qui ne doivent pas éluder les questions sur le rapport Mapping.
SORTIR LE RAPPORT MAPPING DU TIROIR
Combien de rapports de l’ONU faut-il pour que le monde comprenne la tragédie que vit la population dans l’Est de la RDC ? Combien faut-il de morts ? Trop de larmes ont coulé. Pourquoi cette indifférence envers la RDC, et sur quoi est-elle fondée ? Les Congolais sont abasourdis et vivent très mal cette réalité. Le plus rassurant pour les Congolais est de sortir le rapport Mapping dont le contenu est assez riche en information sur le drame que vit la population dans cette partie du territoire congolais. Une tragédie sans commune mesure, depuis la deuxième guerre mondiale.
Les candidats à l’élection présidentielle sont ainsi invités à évoquer, au cours de cette campagne électorale, les recommandations issues du rapport Mapping des Nations Unies, et faire de la lutte contre l’impunité une priorité de leur future administration et prendre des mesures concrètes pour mettre fin à cet opprobre. Pourquoi n’en parle-t-on pas ou pas assez ? La question se pose vraisemblablement. Et cette attitude nettement négative montre que le rapport Mapping, qui soulève de forts soupçons de complicité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis dans l’Est et indexe certains acteurs Congolais et régionaux, voire internationaux, dérange. D’ailleurs, lors de la publication de ce document, il y’a eu des pressions exercées par certains acteurs, politiques et civils, en RDC et dans le monde, pour que les résolutions de ce rapport ne soient suivies d’effets.
Le temps est donc venu de briser le cycle de l’impunité qui gangrène tous les efforts de consolidation de la paix, l’absence de punition étant dévastatrice tant sur le plan psychologique que moral. Que justice soit rendue, pour qu’il soit mis fin à cette situation épouvantable. Il n’y aura pas de paix sans la justice en RDC et dans la région des Grands Lacs africains. Les candidats à l’élection présidentielle doivent en parler, ou ils prendraient le risque d’être qualifiés de collabos.
ÉVITER LE DÉCLINISME
Il viendra un jour où les Congolais diront : il était une fois un pays, la RDC, qui était l’espoir de tout un continent, l’Afrique. Ce temps n’est plus. Pourquoi n’assure-t-elle plus et ne protège-t-elle plus ni le peuple et les libertés, ni la nation et les citoyens ?
Le mouvement du déclinisme s’accélère en RDC et agit comme une métaphore de tout pays saisi par la conscience de sa propre finitude et par le pressentiment qu’elle est arrivée à un point de bascule. Encore faut-il s’interroger sur la mécanique implacable à l’origine de cette marche à l’abîme. Les signes sont légion, mais ils convergent tous vers les sommets d’abord, attestant que tout commence et se cristallise dans l’impuissance des dirigeants à maintenir autant une certaine forme qu’une certaine définition de l’ordre social.
Un pays où progresse le déclinisme, l’optimisme se perd. Le pire doit être évité. Et il ne peut l’être que par le choix, le 20 décembre 2023, sauf décision de report, d’un homme de la relance du Congo, le symbole et le chef de file d’une nouvelle classe politique plus dynamique, plus novatrice, plus ambitieuse. L’avenir des Congolais en dépend.
Robert Kongo (CP)