Ce que je pense : la problématique de l’exploitation minière artisanale en République Démocratique du Congo

La République Démocratique du Congo, notre pays, est connue comme étant un «scandale géologique» car disposant d’importantes ressources minières parmi lesquelles le cuivre, le cobalt, l’or, le diamant et le coltan. En effet, la RD Congo est le premier producteur mondial du cobalt, une matière première stratégique dans l’industrie automobile. Elle figure également parmi les plus gros producteurs mondiaux du cuivre et du diamant industriel. Elle contient, dans son sous-sol, une quantité insoupçonnée de fer, de manganèse, de tungstène et d’autres minerais stratégiques dont le lithium, l’uranium et bien d’autres.

L’exploitation minière en République Démocratique du Congo est régie par la Loi N°18/001 du 9 mars 2018 modifiant et complétant la Loi N°007/2002 du 11 juillet 2002 portant «Code Minier».

Dans son exposé des motifs, le législateur fait observer que la nouvelle législation se voulait plus compétitive, avec des procédures d’octroi de droits miniers et/ou des carrières objectives, rapides et transparentes, ainsi qu’un régime fiscal, douanier et de change incitatif pour l’investisseur. Plusieurs innovations importantes et intéressantes ont été apportées dans le Code Minier révisé, notamment :

     

      • L’exclusivité de l’activité de la sous-traitance dans le secteur des mines et carrières aux seules sociétés dont la majorité du capital est détenue par les Congolais;

      • La participation requise d’au moins 10% des personnes physiques majeures de nationalité congolaise, membres d’une coopérative agréée;

      • La participation des Congolais dans le capital des comptoirs d’achat et de vente des matières précieuses et de traitement;

      • L’introduction du cahier des charges pour les sociétés minières en rapport avec leur responsabilité sociale vis-à-vis des populations locales;

      • L’effectivité et le contrôle du rapatriement de 60% ou 100% de recettes de vente à l’exportation;

      • L’intervention d’autres Ministères sectoriels dans la sphère des compétences du ministère des Mines du fait de la transversalité de l’exploitation minière;

      • La restriction d’accès à l’exploitation artisanale aux seules personnes physiques majeures de nationalité congolaise, membres d’une coopérative

      • Etc.

    Toutes ces innovations nous semblent avoir été prises dans la bonne direction pour «booster» l’investissement, surtout des nationaux, en vue d’accroître l’apport du secteur minier dans l’économie nationale et aussi pour contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans les zones d’exploitation minière, en particulier dans les zones d’exploitation artisanale des minerais.

    Aux termes de la Loi, est exploitant artisanal toute personne physique majeure de nationalité congolaise détentrice d’une carte d’exploitant artisanal en cours de validité membre d’une coopérative minière qui se livre aux travaux d’exploitation artisanale des substances minérales à l’intérieur d’une zone d’exploitation artisanale (ZEA).

    C’est ici le lieu où nous nous posons la question en rapport avec l’impact socioéconomique réel de cette Loi, non seulement sur les conditions de vie des populations locales, mais aussi sur ses effets dans l’économie au niveau des ZEA et au niveau national.

    L’IMPACT SOCIO-ÉCONOMIQUE DU CODE MINIER

    Une observation globale de l’impact socio-économique de certains aspects du Code minier révisé sur certains domaines de la vie dans les zones d’exploitation minières artisanales dénote ce qui suit :

    Sur l’agriculture et l’environnement : la création des «zones d’exploitation minière artisanale» a eu un impact négatif sur les «zones de production agricole» sur lesquelles elles se sont superposées.

    En effet, les zones d’exploitation minière artisanale ont eu un effet visible de désaffectation de la main d’œuvre agricole vers les activités minières artisanales qui donnent l’illusion d’être plus rentables et de produire un revenu plus important et, surtout, immédiat ; bien que la Loi ne reconnaisse le statut d’exploitant minier artisanal qu’à une personne physique majeure de nationalité congolaise, la réalité c’est que de nombreux jeunes de moins de 18 ans se retrouvent aujourd’hui employés dans les exploitations artisanales, bafouant ainsi toutes les dispositions légales nationales et internationales sur l’emploi des enfants mineurs; la plupart de «zones d’exploitation minière artisanale», jadis autosuffisantes en produits vivriers de base, sont devenues des importatrices nettes de ces produits à partir des territoires voisins; l’offre en produits vivriers devient nettement inférieure à la demande dans lesdites zones; les activités d’exploitation minière artisanale ont un impact négatif sur l’environnement et la biodiversité dans de nombreuses zones où se pratiquent ces activités; l’exploitation minière artisanale, généralement désordonnée, contribue dangereusement à la dégradation de la faune et de la flore dans ces zones où l’on note la disparition de certaines espèces animales et végétales (poisson, gibier, insectes, oiseaux, champignons, etc.) et l’envahissement destructif des aires protégées (parcs nationaux, mangroves, espèces protégées).

    Sur l’éducation : bien que la loi ou le Code minier exige que les exploitants artisanaux soient exclusivement des personnes adultes, l’attrait du gain facile a amené de nombreux jeunes et enfants dans les mines, abandonnant précocement le banc de l’école; le taux de déperdition scolaireet d’analphabétisme a fortement grimpé dans les zones d’exploitation artisanale;

    Sur la santé : la forte baisse de production vivrière a provoqué la sous-alimentation et la malnutrition avec comme conséquence immédiate l’accroissement des maladies dues aux carences en vitamines et en protéines dans des nombreuses zones d’exploitation minière artisanale; un accroissement du taux de mortalité et de morbidité est constaté dans les zones susvisées.

    Sur la sécurité : les zones d’exploitation minière artisanale sont des véritables foyers d’insécurité où circulent des armes de guerre et où les trafiquants de tous bords exercent des activités illicites (vente de drogue, banditisme, vol et viol); ces zones sont infectées de groupes armés semant la mort et la désolation et menant des expéditions punitives dangereuses à la recherche des moindres traces d’argent et de pierres précieuses chez les creuseurs;

    Sur les plans social et économique : la production et la commercialisation clandestine des minerais échappent au contrôle des services publics attitrés; entraînant ainsi un sérieux manque à gagner au trésor de l’Etat; le taux de chômage s’aggrave dans ces zones où le jeunes gens ayant subitement abandonné le chemin de l’école se retrouvent sans formation adéquate, sans emploi et livrés à eux-mêmes. Beaucoup sont contraints à l’exode rural vers les grands centres urbains où ils deviennent une véritable charge pour la société; la pauvreté se généralise durablement dans ces zones.

    RETOUCHER CERTAINES DISPOSITIONS DU CODE

    Pour toutes les raisons ci-haut reprises (et la liste n’est pas exhaustive), il apparaît clairement qu’il faille revisiter certaines dispositions du Code minier de la République Démocratique du Congo, en particulier celles instituant la création des « zones d’exploitation artisanale » et celles libéralisant à outrance l’exploitation artisanale des minerais. Il nous semble d’ailleurs que cette relecture des textes juridiques pourrait également concerner les Lois régissant l’exploitation artisanale d’autres ressources naturelles, notamment le Code forestier, le Code sur la pêche, etc.

    Il est fort recommandable que des études sérieuses soient menées au niveau des institutions sectorielles et/ou des institutions d’enseignement supérieur et de recherche afin d’éclairer et de mieux orienter les pouvoirs politique et législatif sur la question d’ouverture ou non des espaces dits « zones d’exploitation artisanale» des minerais. A ce propos, des études substantives et autres recherches pourraient être conduites sur des thèmes tels :

       

        • Evaluation de l’impact de la Loi N°18/001 du 9 mars 2018 portant Code minier en R.D.Congo;

        • Evaluation de l’impact du Code minier sur le PIB et sur le PNB en R.D.Congo;

        • Etude de droit comparé sur les dispositions relatives à l’exploitation minière artisanale dans le Code minier de certains pays africains (dont la RDC);

        • Etc.

      De notre point de vue, nous croyons que l’exploitation des ressources minières devrait exclusivement revenir à l’Etat congolais.

      Ceci aurait l’avantage de :

         

          • Permettre une application rigoureuse et un suivi rigoureux de la Loi (Code minier);

          • Permettre une gestion responsable et coordonnée des ressources minières;

          • Mettre définitivement fin à la contrebande, à la production et à la commercialisation illicite des minerais sur l’ensemble du territoire national;

          • Garantir une certaine expertise dans l’exploitation rationnelle des ressources naturelles non-renouvelables et ce, pour les générations présentes et futures;

        -Assurer la traçabilité des opérations de production, de traitement (transformation) et de commercialisation des produits miniers d’origine nationale;

        -Laisser à l’Etat la responsabilité de créer des Sociétés d’exploitation des minerais, seul ou en partenariat avec des investisseurs (publics ou privés) sérieux tant nationaux qu’étrangers; offrant ainsi des opportunités de création d’emplois rémunérateurs et contrôlés au bénéfice des populations congolaises;

        -Mieux canaliser les revenus issus du secteur minier et en assurer une bonne gouvernance;

        -D’assurer une coordination plus efficace de différents secteurs de l’économie nationale (mines, énergie, infrastructures, commerce, finances) ayant un lien avec l’exploitation minière.

        L’actuel Code minier de la République Démocratique du Congo constitue, certes, un document de très haute facture.

        Le législateur y a introduit des innovations susceptibles d’attirer des investissements et, surtout, de permettre aux nationaux de contribuer à l’essor de ce secteur.

        Cependant, certaines dispositions de ce Code, en particulier celles relatives à l’exploitation artisanale, nécessiteraient, à notre humble avis, d’être repensées, de sorte à éviter que l’exploitation des ressources minières ne soit pas en partie laissée entre des mains inexpertes et que ces ressources, une véritable bénédiction de Dieu pour la R.D.Congo, ne se transforment en source d’appauvrissement de l’économie nationale, d’implantation des poches d’insécurité dans le pays et des points de départ de conflits fonciers meurtriers et ce, au détriment du bien-être de la population congolaise.

        LITITIYOAFATA JOSEPH

        JANVIER 2023