Après le monde scientifique, les anciens étudiants de la faculté de droit de l’Université de Kinshasa (Unikin), c’est au tour des étudiants, encore actifs à la faculté, de fustiger les graves dérives d’une Cour constitutionnelle qui a fini par perdre ses lettres de noblesse, en faisant preuve de complaisance et de laxisme dans l’affaire Bukanga-Lonzo.
En effet, cette affaire, à multiples rebondissements, met en cause l’ancien Premier ministre, Matata Ponyo Mapon, l’ancien ministre délégué aux Finances, Patrice Kitebi, et le Sud-africain Christo Grobler, directeur d’Africom, entreprise gestionnaire du Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo. Malheureusement, en s’éloignant du droit et de la légalité dont elle est censée être le dernier rempart, la Cour constitutionnelle multiplie des incongruités qui énervent dans les milieux du droit.
Enfermée dans une logique dont elle est la seule à en avoir le secret, la Cour constitutionnelle est allée jusqu’à renier par son arrêt du 18 novembre 2022 son propre arrêt qu’elle avait rendu, le 15 novembre 2021, dans l’affaire Bukanga-Lonzo. Pourquoi un tel revirement ? La Cour constitutionnelle aurait-elle perdu toute rationalité ?
Dans les milieux des juristes, la déception se mêle à la colère. C’est le droit, dit-on, qui est «malade», par la faute d’une Cour qui navigue à vue, sans repères réels en termes de droit.
Lettre ouverte au Chef de l’Etat
Aussi, après le grand tollé dans les milieux scientifiques, suivi d’une forte désapprobation des anciens de la faculté de droit de l’Université de Kinshasa, c’est au tour des étudiants en droit – 93 au total – de la même faculté de cracher…
ouvertement leur indignation face aux graves dérives de la haute Cour. C’est ce qu’ils font savoir dans une correspondance adressée, le 19 décembre 2022, au Président de la République en sa qualité de « magistrat suprême et garant du bon fonctionnement des institutions ».
A cet effet, ils sollicitent son « ultime implication dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire congolais en vue de sauver l’Etat de droit en danger ».
Ils rappellent au Président de la République son sermon de travailler à l’émergence d’un Etat de droit. « Soucieux de la consolidation de l’Etat de droit qui constitue le premier volet de votre plan d’actions, nous vous adressons la présente correspondance pour que vous constatiez la nullité de l’arrêt R.CONST 1816 car, non conforme à la Constitution et par ce fait, mettant en péril le fonctionnement de l’appareil judiciaire par ses propres animateurs. Dans l’espoir que la présente retiendra votre attention particulière, nous vous prions d’agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, l’expression parfaite de nos sentiments attachés à votre vision d’instaurer un véritable Etat de droit en RDC »; note ce groupe d’étudiants.
Ils motivent leur démarche en ces termes : « Etant donné que la justice est rendue au nom du peuple et que l’exécution des décisions judiciaires est faite au nom du Président de la République, nous, étudiants de la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa, soucieux d’accompagner votre vision d’instaurer un véritable Etat de droit dans notre pays, saisissons votre haute autorité, aux fins dont l’objet est repris en concerne ». Avant de s’étendre dans les faits : « En effet, en date du 15 novembre 2021, la Cour constitutionnelle avait rendu son tout premier arrêt en matière pénale, dans l’affaire opposant le Ministère public aux sieurs Matata Ponyo Mapon, Patrice Kitebi Kibol Mvul et Grobler Christo sous RP.001, affaire dans laquelle la Haute Cour s’était déclarée incompétente de connaitre les poursuites pénales contre un ancien Premier ministre. Ceci, conformes à l’article 163 de la Constitution qui dispose : +La Cour constitutionnelle est la juridiction pénale du Chef de l’Etat et du Premier ministre dans les cas et conditions prévus par la Constitution+».
Ils ne cachent pas leur indignation : «Curieusement et contre toute attente, nous venons d’assister en date du 18 novembre 2022, au prononcé d’un autre arrêt de la Cour constitutionnelle sous R.CONST 1816, lequel arrêt viole non seulement l’article 163 ci-haut libellé, mais aussi et surtout l’article 168 de la Constitution qui dispose que : +Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires, ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers. Tout acte déclaré non conforme à la Constitution est nul de plein droit+».
En réalité, la démarche de ces étudiants tient à un fil : Que reste-t-il encore au droit et à la légalité lorsque la Cour constitutionnelle étale au grand jour ses propres contradictions ?
Garant du bon fonctionnement des institutions, c’est au Président de la République de ramener de l’ordre dans l’appareil judiciaire congolaise. Il y va non seulement de l’équilibre des institutions mais surtout de l’impérieuse de sauver l’Etat de droit, en ballottage très défavorable.
Hugo Tamusa