La création, vendredi à Nairobi (Kenya), du mouvement politico-militaire AFC (Alliance du Fleuve Congo), a révélé la face cachée de William Ruto, président du Kenya. Le choix de Corneille Nangaa d’annoncer son mouvement politico-militaire à partir de Nairobi n’a donc pas été le choix du hasard.
Finalement, le rappel par Kinshasa de son ambassadeur au Kenya et à l’EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est) a poussé le président kenyan à sortir enfin de son mutisme en révélant sa vraie identité par rapport aux activités que mène l’ancien président de la CENI sur le territoire kenyan.
Alors que Kinshasa a exigé des explications au Kenya pour des activités «subversives » qu’entreprend Corneille Nangaa à partir de Nairobi, William Ruto a eu des réponses sèches, se détournant presque de Kinshasa, pourtant membres, autant le Kenya, de l’EAC.
«Kinshasa voulait que nous arrêtions les individus qui ont publié une déclaration sur la RDC, nous leur avons dit que nous sommes un pays démocratique», a déclaré, dimanche devant la presse kenyane, William Ruto. Avant de renvoyer Kinshasa dans les cordes : «Je ne peux pas arrêter quelqu’un parce qu’il a fait une déclaration. C’est antidémocratique !»
Kinshasa et Nairobi se regardent en chiens de faïence
Cette fin de semaine, l’ancien patron de la CENI a présenté depuis Nairobi son mouvement : l’Alliance Fleuve Congo (AFC), commente La Libre Belgique dans son édition Afrique.
Étonnant parcours que celui de Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), une des principales chevilles ouvrières de l’accord entre le FCC kabiliste et le Cash de Vital Kamerhe et Félix Tshisekedi (qui a porté ce dernier au pouvoir en dépit des vrais chiffres des élections), un temps en cour chez le nouveau président avant de devenir un farouche opposant au clan Tshisekedi pour finalement s’installer à la veille de la présidentielle à la tête d’une plateforme politico-militaire dans laquelle on retrouve aussi bien des mouvements rebelles comme, notamment, le M23, la Pareco, Zaïre, le FRPI, Twiraneho mais aussi des organisations de la Société civile et, selon Corneille Nangaa, des partis et des hommes politiques dont il a tu les noms.
Une plate-forme baptisée Alliance Fleuve Congo (AFC), qui entend «sauver » la RDC et y garantir «le retour de la paix ».
De Cash à l’AFC
Pourtant, ce week-end, quelques heures après la sortie officielle de Corneille Nangaa, les autorités de Nairobi ont prudemment pris leur distance vis-à-vis de l’Alliance Fleuve Congo, tout en expliquant que le Kenya est un État démocratique qui respecte la liberté d’expression.
Mais les images de Corneille Nangaa à Nairobi sont indissociables de celles de Vital Kamerhe et Félix Tshisekedi annonçant le lancement de Cap pour le changement (Cach), leur mouvement politique improvisé, lancé quelques jours seulement après la désignation à Genève, le 11 novembre 2018, de Martin Fayulu comme candidat commun de l’opposition congolaise. Un vote auquel les deux hommes ont participé dans la ville suisse avant de reprendre leurs signatures moins de 24 heures plus tard et de se dissocier du mouvement Lamuka.
Cinq ans et un mois plus tard, dans la même ville, un autre mouvement congolais a donc vu le jour.
Si la présidence de William Rutto, qui a succédé à Uhuru Kenyatta, président en 2018, a publié un communiqué pour ne pas endosser la responsabilité de ce mouvement politico-militaire, nul ne peut penser que Nairobi n’était pas au courant. Sans présager d’un soutien actif à l’Alliance Fleuve Congo, impossible de ne pas y voir au moins un geste de bienveillance.
Kinshasa l’a compris. Dès samedi, l’ambassadeur kényan dans la capitale congolaise a été convoqué chez le vice-Premier ministre, ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula. Quelques heures plus tard, on apprenait le rappel pour consultation de l’ambassadeur congolais en poste à Nairobi (John Nyakeru, beau-frère du président Tshisekedi) et de son collègue à Dar es-Salam, la capitale tanzanienne, siège de l’East African Community (EAC), une alliance régionale que la RDC a rejointe en 2022.
L’EAC se sent floué par la RDC
Deux ans plus tard, le divorce est quasiment consommé entre Kinshasa et les capitales de cette organisation régionale dont 5 États (Burundi, Sud Soudan, Tanzanie, Kenya et Ouganda) avaient envoyé, à la demande du président Tshisekedi, des troupes dans l’est de la RDC en janvier dernier pour tenter de ramener la paix.
Moins d’un an plus tard, c’est le fiasco complet. Tshisekedi accuse les troupes de l’EAC de ne pas être assez « offensives » face aux rebelles du M23 qu’il présente comme un appendice de l’armée rwandaise. Les états-majors de l’EAC, eux, se retranchent derrière les tractations diplomatiques et politiques en cours.
Dans ce contexte, le gouvernement congolais a exigé que le mandat de l’EAC ne soit pas reconduit après le 8 décembre 2023. Les troupes kényanes, les premières à être arrivées dans l’Est de la RDC, ont aussi été les premières à plier bagage alors que le M23 continue de progresser et étouffent progressivement la ville de Goma à quelques jours de la présidentielle.
L’annonce par Nangaa d’un partenariat noué entre son Alliance du fleuve Congo et le M23 indique clairement que le Rwanda mais aussi l’Ouganda se sont rangés derrière ce mouvement hostile à Tshisekedi. Ajoutez-y les tensions avec la Tanzanie, confirmées par le rappel de l’ambassadeur congolais en poste à Dar es-Salam, et se dessine un front quasi unanime au sein de l’East African Community (à l’exception du Burundi) qui se dresse face au pouvoir en place à Kinshasa.
La SADC ne viendra pas
Les autorités congolaises comptent désormais sur une intervention d’un autre bloc régional, celui de l’Afrique australe (SADC), pour lutter contre les avancées du M23. « Mais les troupes de la SADC ne viendront pas, explique un diplomate sud-africain. Kinshasa n’a pas payé sa cotisation annuelle de 10 Millions de dollars à la SADC ». « On sait que plusieurs pays de ce bloc ont conservé des liens étroits avec Kabila et considèrent désormais Tshisekedi comme un danger pour la stabilité de la région », poursuit un diplomate d’une organisation onusienne.
Le Zimbabwe du président Mnangagwa ne jure en effet que par Kabila, l’Afrique du Sud se retranche derrière sa participation à la Monusco, l’Angola se réfugie derrière les accords de Luanda pour justifier sa neutralité, le Mozambique a besoin du Rwanda pour stabiliser sa province du Cabo Delgado…
Avec La Libre Belgique Afrique