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Démantèlement de la Gécamines : les think tanks occidentaux reconnaissent enfin une erreur historique, un «hold-up légalisé » (Tribune de Didier Bokungu Ndjoli)

Dans un revirement inattendu, les grands centres de recherche occidentaux reconnaissent aujourd’hui ce que les experts congolais dénoncent depuis des années : le démantèlement brutal de la Gécamines sous Joseph Kabila constitue l’une des plus graves erreurs économiques de l’histoire récente de la RDC. Des institutions prestigieuses comme Chatham House, la Banque mondiale ou le National Resource Governance Institute (NRGI) qualifient désormais ce processus de « cas d’école de dépossession économique d’un pays en temps de paix ». Sous prétexte de modernisation, ce qui fut le fleuron industriel du Congo a été méthodiquement vidé de sa substance : cessions opaques d’actifs stratégiques, joint-ventures déséquilibrés, externalisation sauvage de filières clés. Un véritable « hold-up légalisé » qui a laminé les capacités productives du pays au profit d’intérêts étrangers. Alors que les États Unis proposent un nouveau partenariat minier avec la RDC, ces révélations embarrassantes posent une question cruciale : comment réparer l’une des plus grandes spoliations économiques du siècle en Afrique ? Décryptage de Didier Bokungu Ndjoli, consultant international indépendante basé aux Etats-Unis.

a l’heure du Deal minier américain, toutes les vérités cachées commencent à remonter à la surface. Les Think tanks occidentaux, plusieurs centres de recherche et institutions internationales (National Resource Governance – NRGI – Chatham House, Open Society Initiative for Southern Africa – OSISA) ou même des études internes de la Banque mondiale reconnaissent aujourd’hui que le démembrement brutal et désordonné de la Gécamines (Générale des carrières et des mines), sous le régime de Joseph Kabila, a été une erreur stratégique majeure pour la RDC. Ils soulignent que ce démembrement brutal et irresponsable constitue désormais «un cas d’école de dépossession économique d’un pays en temps de paix ».

Sous couvert de «modernisation» et de «restructuration», la Gécamines a été progressivement vidée de sa substance économique : cession opaque d’actifs stratégiques à des multinationales, souvent sans appel d’offres ni transparence; joint-ventures déséquilibrés où la Gécamines devient un simple prête-nom sans véritable contrôle technique ou financier; externationalisation sauvage des filiales créant un maillage de sociétés satellites servant des intérêts privés; désintégration des fonctions clés : géologie, planification, commercialisation, ingénierie, autrefois intégrées.

Cette situation a détruit complètement le tissu industriel et minier congolais. D’aucuns parlent même d’un «hold-up légalisé » du patrimoine minier de la RDC, organisé sous couvert de « modernisation ».

Pour comprendre l’importance de la Gécamines dans l’économie congolaise, il faut remonter à ses origines, depuis l’Union Minière du Haut-Katanga (UMHK).

Ce document stratégique comprend deux parties, la première traite du démembrement brutal de la Gécamines et la deuxième se rapporte aux réparations des préjudices subis par l’État congolais et poursuites judiciaires des acteurs publics et privés, responsables de cette débâcle économique.

DÉMEMBREMENT BRUTAL ET DÉSORDONNÉ DE LA GECAMINES

Union Minière du Haut-Katanga (UMHK). L’UMHK est un acteur majeur de l’histoire industrielle et coloniale du Congo. Cette société a été fondée en 1906 par le Groupe belge Société Générale de Belgique, à l’initiative du Roi Léopold II et de son entourage économique. Elle a aussitôt commencé à exploiter les gisements miniers exceptionnellement riches du Sud-est du Congo, récemment intégrée à l’Etat Indépendant du Congo, puis à la colonie Belge.

Dès ses débuts, l’UMHK devient une société dominante, bénéficiant de concessions étendues accordées par le Comité Spécial du Katanga (CSK).

Entre 1920 et 1950, l’UMHK devient l’un des plus grands groupes miniers du monde, jouant un rôle central dans la production mondiale de cuivre , de cobalt , d’uranium, de zinc , d’étain et d’autres minerais. Elle a implémenté l’industrialisation dans le Katanga et organiser la main d’œuvre congolaise avec un système de cantonnement, de contrôle strict et une hiérarchie sociale rigide.

L’UMHK a joué également un rôle géopolitique crucial pendant la seconde guerre mondiale, en fournissant de l’uranium de Shinkolobwe aux USA dans le cadre du projet Manhattan pour la fabrication des bombes atomiques larguées à Hiroshima et à Nagasaki (Japon, 1945).

L’UMHK fonctionnait comme un État dans l’État. Elle gérait ses propres Infrastructures : hôpitaux, écoles, chemins de fer, logements, approvisionnement en eau et électricité. Elle avait sa propre milice de sécurité et exerçait une influence déterminante sur l’administration coloniale et les autorités locales.

Bien qu’implantée au Katanga, le pouvoir économique de l’Union Minière s’étendait sur tout le Congo. Plus de 60% des revenus d’exportation du Congo-Belge provenaient de ses activités.

Avec l’indépendance du Congo en 1960, cette entreprise entre dans une période de crise. La sécession du Katanga, dirigée par Moïse Tshombe était activement soutenue par l’Union Minière L’entreprise était accusée d’avoir financé la sécession et le Gouvernement de Léopo-ldville (Kinshasa) a cherché à reprendre son contrôle.

En 1967, le président Mobutu Sese Seko nationalise l’UMHK et crée la Générale des Carrières et des Mines (Gécamines). L’UMHK est donc dissoute.

La Gécamines, comme prolongement de l’UMHK Comme prolongement de l’UMHK, la Gécamines était le fleuron du secteur minier congolais. Elle contribuait à plus de 70% du budget de l’État Congolais.

Les conséquences du démembrement brutal de cette société ont été catastrophiques pour la RDC, notamment : l’affaiblissement de la souveraineté économique. La RDC ne contrôle plus ses flux de production, ses revenus réels, ni les chaînes de valeur critiques. Le Pays est devenu spectateur de l’exploitation de ses propres ressources; pertes massives de recettes publiques. Les dividendes promis à l’Etat dans les JV sont rarement versés. Selon plusieurs audits, plus de 90% de la valeur générée échappe au Fisc et ne bénéficie pas à la population; disparition d’un outil stratégique de développement.

La Gécamines aurait pu être une locomotive de l’industrialisation et de la transformation locale. Elle a été réduite à un rôle marginal dans un secteur dominé par des intérêts étrangers ; captation des actifs publics par des réseaux privés. Le démembrement brutal de la GECAMINES a profité à l’élite politico-économique bien connectée, entraînant un véritable pillage institutionnalisé du patrimoine national.

Selon les analystes stratégiques, le démembrement de ce fleuron industriel, tel qu’il a été conduit avec autant d’irresponsabilité, est assimilable à un crime économique qui mérite réparation pour la RDC et des poursuites judiciaires pour tous les acteurs politiques et privés, trempés dans cet hold-up légalisé du siècle.

RÉPARATION DES PRÉJUDICES LIÉS AU DÉMEMBREMENT DE LA GECAMINES ET POURSUITES DES RESPONSABLES : FONDEMENTS JURIDIQUES ET VOIES D’ACTION

Argumentaire des autorités congolaises. Les autorités politiques congolaises affichent de la déresponsabilité en arguant qu’elles ont agi sous la pression conjointe de la Banque mondiale, du FMI et de certains bailleurs occidentaux pour agir ainsi.

Grosso-modo, les autorités congolaises ont dissolu  ou externalisé les fonctions-clés de la Gécamines (géologie, commercialisation, transport, usinage). Elles ont multiplié les Joint-ventures déséquilibrées avec des multinationales étrangères, souvent sans appels  d’offres transparents. Elles ont licencié massivement les travailleurs sans stratégie de reconversion industrielle. Elles ont transformé cette entreprise publique en simple titulaire…

Constat de départ : une entreprise très stratégique et d’importance nationale, démantelée dans l’opacité totale. La démarche serait méthodique et pas assimilable à une opération de chasse aux sorcières. Les congolais doivent arriver à identifier qui a fait quoi dans cette histoire.

En effet, pour rappel, la Gécamines, fleuron historique du secteur minier a été démembrée dans un processus opaque, imposé sans base juridique claire, ni plan de sauvegarde du patrimoine public, entre 2002 et 2010.

Ce démembrement a conduit à : la perte de contrôle de l’Etat congolais sur les actifs stratégiques (cobalt, cuivre, etc.); des partenariats léonins et efficaces avec des multinationales; l’effondrement des capacités financières et industrielles de la Gécamines; la disparition  de dizaines de milliards de  Dollars américains de valeur patrimoniale.

Responsabilité civile de l’Etat et des mandataires publics. Le Code civil congolais reconnaît que tout fait qui cause dommage à autrui, oblige celui qui l’a causé à le réparer. Si les mandataires de l’Etat ou des entreprises publiques ont aggravé les pertes de manière fautive ou dolosive, ils peuvent être poursuivis pour faute de gestion, voire  dilapidation du patrimoine public.

Crimes économiques et imprescribilité. La Constitution de la RDC et certaines jurisprudences congolaises reconnaissent l’imprescribilité des crimes économiques, notamment lorsque : ils portent atteinte aux ressources vitales de la Nation; ils ont été commis dans le cadre de réseaux de corruption d’État; ils ont des effets continus et irréversibles sur le développement du pays.

Les Conventions internationales. La RDC est partie à la Convention des Nations -Unies contre la Corruption (CNUCC, 2003). Cette Convention prévoit des mécanismes de restitution des avoirs (Articles 51 à 59). Elle autorise les États à poursuivre les responsables politiques de détournements graves, y compris en dehors du Pays. Aussi, la Convention de l’Union africaine sur la Prévention et la lutte contre la Corruption (2003) prévoit également la punition des délits liés à la spoliation des ressources naturelles.

Voies concrètes pour engager des réparations. Il y a d’abord l’audit judiciaire ou forensic audit rétroactif. Un audit judiciaire ou forensic audit en anglais est une enquête approfondie des enregistrements financiers d’une entreprise ou d’une personne pour identifier toute irrégularité ou fraude potentielle. L’objectif principal est de rassembler des preuves qui peuvent être utilisées en Justice ou pour prendre des mesures correctives internes.

Le concept étant compris, commanditer un audit international indépendant sur : les contrats conclus par la Gécamines entre 2002 et 2020; la perte de patrimoine liée au démembrement; l’identité des bénéficiaires réels de ces transactions.

Actions judiciaires internes à la RDC. Avant tout, il y a lieu d’activer les juridictions nationales, entre autres, le Tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe ou de Lubumbashi; la Cour des comptes pour la responsabilité administrative; la Cour de cassation pour poursuites des hauts responsables; la Haute Cour militaire si implication des autorités militaires ou de la Police nationale congolaise.

Procédures internationales. On pense notamment à : procédures de restitution d’avoir via CNUCC; arbitrages ou renégociation de contrats abusifs; dépôt de plaintes auprès de juridictions étrangères pour complicité de corruption, si des responsables politiques ont blanchi ou investi des fonds publics dans ces pays (USA, France, Belgique, Espagne, etc.) ; création d’un Fonds de Réparation du Préjudice Minier (FRPM). Ce Fonds sera financé par les actifs rapatriés ou récupérés mais aussi par les condamnations pécuniaires de responsables publics et privés. Il serait géré par un Comité multipartite (État, Société civile, partenaires internationaux).

Ciblage des responsables politiques. A ce niveau, certains acteurs clés du démembrement de la Gécamines être poursuivis, notamment : les membres des gouvernements de la RDC ayant signé ou validé des cessions illégales d’actifs; les mandataires publics (PDG, DG, PCA) de la Gécamines ayant agi en violation de la loi ou mandat de gestion ; les intermédiaires privés ayant participé aux montages frauduleux pour appauvrir ou déposséder l’Etat congolais.

NÉCESSITÉ D’UN ACTE FONDATEUR

Le Président de la RDC, Félix-Antoine Tshisekedi, pourrait lancer l’initiative en proclamant la Justice minérale et réparation historique, visant à : rétablir la souveraineté minière nationale; identifier et sanctionner les fautes graves du passé ; refonder la gouvernance du secteur à partir des leçons apprises.

Notons que les richesses minières de la RDC sont évaluées à 24.000 milliards USD. Il faudrait donc décourager,  pour de bon, les pratiques frauduleuses de ce genre qui ont appauvri toute la Nation Congolaise.

CONCLUSION

Le démembrement brutal et désordonné de la Gécamines n’était pas une simple erreur de gestion. C’est un crime économique contre la Nation congolaise, dont les effets se font sentir jusqu’aujourd’hui.

Grâce au droit national et international, et à une volonté politique ferme, il est encore possible de réparer les préjudices subis, de récupérer certains actifs et de poursuivre les auteurs de cette forfaiture historique.

Bien qu’il n’existe pas de chiffre unique officiellement reconnu par toutes les parties, les estimations convergentes issues de plusieurs audits, rapports et analyses indépendantes estiment la valeur du patrimoine minier perdu par la Gécamines, lors de son démembrement brutal et désordonné entre les années 2002 et 2010 (sous le régime du président Joseph Kabila), oscillant entre 45 et 55 milliards USD.

Fait à Hanover (Pennsylvania, USA), le 29 mai 2025.

Didier Bokungu Ndjoli

Consultant stratégique indépendant. 

Économiste, pilote privé, expert en transports aériens, en intelligence et en guerre économique.

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