Après l’Égypte, le chef de la diplomatie russe est au Congo, il ira ensuite en Éthiopie et en Ouganda. Une tournée africaine pas comme les autres. Au même moment, Paris s’active aussi sur le continent noir. Le président français Emmanuel Macron est arrivé, lundi soir à Yaoundé, pour sa première visite au Cameroun et en Afrique centrale, avec l’objectif de relancer les relations politiques et économiques entre les deux pays, en perte de vitesse, dans un contexte où la présence de la France dans ses anciennes colonies est de plus en plus remise en cause. Le menu est copieux pour le dirigeant français : de la sécurité dans le golfe de Guinée à la lutte contre Boko Haram en passant par le conflit opposant dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest depuis plus de cinq ans des groupes armés séparatistes aux forces de l’ordre, à l’économie, le programme est bien différent de celui de son prédécesseur, François Hollande qui avait effectué une visite éclair dans le pays, en 2015.
Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, est arrivé dimanche soir à Oyo, dans le nord du Congo, où il a entamé la deuxième étape de sa tournée africaine commencée au Caire en Égypte. Il devrait par la suite se rendre en Éthiopie et en Ouganda. L’objectif de cette tournée diplomatique que le ministre des Affaires étrangères russe a qualifiée de «visite de travail » intervient cinq mois après le début de l’offensive russe en Ukraine et quelques mois seulement après une première visite plus que diplomatique en Algérie, allié de Moscou.
Cette fois-ci, il est question, d’un côté, pour la Russie de démontrer qu’elle n’est pas isolée sur la scène internationale et, de l’autre, de poursuivre la coopération avec les États africains, dans la perspective de la tenue du deuxième sommet Russie-Afrique, qui devrait avoir lieu à Addis-Abeba en octobre-novembre.
Le premier sommet Russie-Afrique s’est tenu à Sotchi, en Russie, en 2019 et a réuni plusieurs chefs d’État et de gouvernement africains. Ce sommet a fortement marqué les relations entre la Russie et les pays du continent africain.
Blâmer l’Occident pour les pénuries de céréales
En Égypte, la rencontre de Lavrov avec le dirigeant égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, ainsi qu’avec le ministre des Affaires étrangères, Sameh Shoukry, a montré que «la Russie n’avait pas été isolée du monde à la suite de son invasion de l’Ukraine», a déclaré le ministère russe des Affaires étrangères dans un communiqué. «Nous avons confirmé l’engagement des exportateurs russes de produits céréaliers à respecter toutes leurs obligations», a déclaré Sergueï Lavrov, se voulant rassurant face à ses partenaires arabes au Caire après l’accord sur des «couloirs sécurisés» pour exporter les céréales d’Ukraine et de Russie, signé vendredi. Il doit en principe permettre d’exporter entre 20 et 25 millions de tonnes de céréales bloquées en Ukraine et de faciliter les exportations agricoles russes, réduisant ainsi le risque d’une crise alimentaire dans le monde où, selon l’ONU, 345 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë. Cependant, les frappes de missiles sur le port ukrainien d’Odessa samedi ne sont pas de nature à maintenir la confiance nécessaire à la mise en place de cet accord pourtant vital.
En échange, la Russie a obtenu la garantie que les sanctions occidentales ne s’appliqueront ni directement ni indirectement à ses exportations de produits agricoles et d’engrais. « Le secrétaire général [de l’ONU] a pris la responsabilité de lever ces restrictions illicites prises par les États-Unis et l’Union européenne contre les chaînes logistiques et financières» russes, a réaffirmé Lavrov au Caire. «La prétendue crise alimentaire, qui est toujours attribuée sans honte à la Russie, est une histoire fausse », a-t-il martelé plus tard dimanche devant les représentants des 22 États de la Ligue arabe, qui siège au Caire. «Comme si la crise alimentaire avait commencé le jour où nous avons lancé notre opération militaire spéciale en Ukraine».
Moscou le martèle depuis de longs mois, notamment face à ses partenaires africains, la crise alimentaire est du fait des sanctions occidentales illégales contre la Russie. Dépendantes des céréales ou des armes russes, la plupart des capitales arabes n’ont jusqu’ici pas pris position sur le conflit en Ukraine, soucieuses de ménager Moscou sans toutefois se mettre à dos les États-Unis, qui ont pris fait et cause pour Kiev.
Les relations égypto-russes « sont historiques, caractérisées par l’amitié, et se ramifient dans de nombreux domaines, politiquement, économiquement et culturellement », a déclaré le chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Shoukry, lors d’une conférence de presse. « Nous attendons avec impatience une coopération plus étroite basée sur le respect mutuel et l’intérêt partagé », a-t-il déclaré. Depuis le début de la guerre, l’économie s’est effondrée sous la pression de l’inflation galopante, de la baisse drastique des investissements étrangers et de la diminution des approvisionnements en céréales. Pour l’Égypte, difficile de choisir son camp, près de 30% des touristes égyptiens venaient de Russie avant la guerre, et Moscou est fortement engagé dans de grands projets d’infrastructures, comme la construction d’une centrale nucléaire de 26 milliards de dollars en Égypte ou encore une zone industrielle russe sur l’axe du canal de Suez.
Rallier les États africains
Il en est de même pour une majorité de pays africains, qui ont évité de prendre parti depuis que la Russie a envahi l’Ukraine alors même qu’ils subissent les conséquences néfastes de la guerre, sur le plan économique surtout.
Dans une lettre publiée dans les principaux journaux des pays africains qu’il visite, le chef de la diplomatie russe écrit que «les spéculations de la propagande occidentale et ukrainienne selon lesquelles la Russie exporte la faim sont absolument sans fondement», défend-il. La Russie n’est «pas souillée par les crimes sanglants du colonialisme» et «n’impose rien aux autres, ni ne leur apprend à vivre», poursuit-il, plus loin dans le texte, faisant allusion aux accusations occidentales selon lesquelles Moscou agirait comme une puissance coloniale en bombardant et en occupant de force l’Ukraine. Il a également salué « la position équilibrée des Africains sur ce qui se passe en Ukraine et autour ». Lavrov de saluer les dirigeants africains pour avoir résisté aux pressions occidentales lors des votes sur les sanctions américaines et européennes. « Une voie aussi indépendante mérite un profond respect », a-t-il écrit.
Ces derniers mois, l’Afrique a joué un jeu d’équilibriste, et cela s’est illustré lorsque le chef de l’Union africaine, le président Macky Sall, a rencontré Vladimir Poutine pour lui demander de libérer les céréales ukrainiennes, mais il a également profité de cette tribune pour affirmer que les sanctions occidentales avaient aggravé la crise alimentaire, appelant explicitement à la levée des restrictions sur les exportations de blé et d’engrais russes.
Cap sur le prochain sommet Russie-Afrique
La Russie a ravivé ses relations avec l’Afrique ces dernières années par le biais d’accords dans le domaine des matières premières, de l’armement et des énergies. Sur le plan militaire, les liens entre la société paramilitaire Wagner et Moscou ne sont plus à démontrer. Lavrov a salué le rôle de la Russie dans la décolonisation en Afrique, affirmant que «[elle a] fourni une assistance au mouvement de libération nationale, puis à la restauration d’États indépendants et à l’essor de leurs économies ». Au Congo, en Éthiopie et en Ouganda, Lavrov devrait aborder les sujets plus économiques. Même en période de guerre, Moscou n’abandonne pas son ambition d’offrir une alternative aux États-Unis et à la Chine en Afrique.
Le but du Kremlin est de faire pencher l’équilibre mondial des pouvoirs en sa faveur, et pour cela, le pouvoir russe joue sur deux tableaux : contrer l’influence américaine et égaler l’empreinte économique de la Chine.
Avec le président Sassou Nguesso, il sera notamment question du mégaprojet de construction par la Russie d’un pipeline long de plus de 1.000 kilomètres reliant la ville pétrolière de Pointe-Noire, dans le sud du Congo, à la ville d’Ouesso, dans l’extrême nord-ouest du Congo.