Entre échec des gouvernances démocratiques et nouvelles dynamiques géopolitiques : l’Afrique sous l’emprise des putschs militaires

Au Gabon, Ali Bongo Ondimba n’a pas résisté au virus venu de l’Afrique de l’Ouest

Le Gabon après le Mali, le Tchad, la Guinée, le Burkina Faso et le Niger, les coups d’Etat se succèdent sur le continent africain et semblent devenir un modèle que les Africains applaudissent. D’où vient cette vague, que signale-t-elle et où conduit-elle ?
Au début de la décennie 90, notre vénéré aîné et confrère Kwebe Kimpele se fendait d’une tribune au titre évocateur «L’anticyclone des Açores». Une évocation des éléments de la nature se déferlant sur les côtes maritimes du nord-ouest africain pour faire allusion au vent «démocratiste » qui soufflait sur le continent avant de déboucher sur les ouvertures démocratiques de ces années, passant par les conférences nationales et finissant par la loi des urnes qui étaient censées redonner le pouvoir aux peuples afin qu’ils deviennent maîtres de leur destin.
Du moins l’on espérait que ce nouvel ordre, instauré au prix du sang et de sacrifices divers, marquait la fin de plus de trente années de confiscation des précédents sacrifices indépendantistes par les régimes dictatoriaux et sanguinaires soutenus par les puissances de l’ère de la guerre froide.
La chute du mur de Berlin précédée sur le continent africain par la dynamique de la Baule avec le discours historique de François Mitterrand, etc., confortaient les peuples africains dans leurs convictions qu’il était temps pour eux de (re) prendre leur destin en main à travers l’instauration de la démocratie censée mettre l’homme au cœur du développement.

1960 à 1990 égale 1990 à ce jour !
Aujourd’hui, plus de deux décennies se sont écoulées depuis la déferlante de l’anticyclone des Açores. Et si l’on doit y ajouter la décennie 80 marquée par les luttes internes sur le continent pour que cesse la dictature, l’on se rend compte que l’Afrique se trouve à équidistance entre les années d’indépendance jusqu’à la charnière 90 qui marquait le départ de la démocratie et, partant, du nouvel espoir d’émancipation. Cette équidistance est, cependant, marquée par de nouvelles poussées qui engagent le continent dans une démarche contraire avec le retour à l’alternance de la force – ou par la force – qui reprend le pas sur le pouvoir des urnes.
La vague des coups d’Etat partie d’Afrique de l’Ouest gagne, comme par un retour de la manivelle, le reste du continent dont l’Afrique centrale par le Gabon.
Quelle lecture faire de cette montée des galonnés qui transcendent jusqu’aux indignations usuelles et se moquent des rappels à l’ordre, des condamnations, voire des sanctions des instances attirées ? S’agit-il de l’échec de la démocratie ou du modèle que les africains se sont choisis comme voie idoine de leur développement ? Ou bien le continent vit-il là les soubresauts d’une époque évanescente au profit d’une nouvelle dynamique géopolitique internationale à laquelle elle ne peut échapper ?
Ce questionnement contraste, cependant, avec l’attitude des peuples, censés être bénéficiaires de tout ceci et qui manifestent un enthousiasme face au retour des pouvoirs militaires. Comme si ces peuples n’avaient assez de tous ces dirigeants censés être le produit de leur choix exprimé dans les urnes.

La fin d’une époque
Au-delà de l’influence française, la déchéance d’un ordre de la géopolitique occidentale au profit d’une dynamique plus ouverte ?
A qui le prochain tour ? C’est la question qui s’entend dans toutes les strates de la vie en République Démocratique du Congo comme partout ailleurs en Afrique après le coup d’Etat, plutôt doux, qui vient de se produire au Gabon.
A qui le prochain tour parce qu’entre août 2020 et janvier 2022, le continent africain, particulièrement son espace francophone, a connu au moins cinq coups d’État au Mali, au Tchad, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger. Le Gabon s’ajoute cette année sur cette liste et se trouve également être de l’espace francophone. Seul le Soudan anglophone fait exception sur ce tableau.
Le regard, pour répondre à cette question, se tournerait plus facilement dans ce même espace pour se demander si l’on n’assisterait pas, là, à la déchéance simplement de l’influence française dans ses différents protectorats, cela au regard des nouvelles dynamiques qui font bouger l’ordre dans la géopolitique internationale.
Des dynamiques qui font bouger les sources et centres de puissance de l’Occident vers les nouvelles influences de l’Orient qui apportent une nouvelle manière de vivre les relations internationales et de contribuer à la rencontre des attentes des populations dans le monde et, particulièrement, sur le continent africain.
Le système gagnant-gagnant insufflé par la vague chinoise, la montée des puissances émergentes indiennes ou turques et tant d’autres ne sont pas étrangères à la nouvelle audace des putschistes qui font des émules à travers le continent, et cela malgré les rappels à l’ordre des organisations internationales, continentales et sous-régionales.
Il faut aussi noter que le contexte général de la désillusion démocratique que vivent les Africains offre un terreau propice sur lequel prospère l’audace putschiste.
Pour preuve, alors que des condamnations fusent de par le continent contre cette montée des coups d’Etat, les africains, eux, ont tendance à les applaudir et même les appeler de tous leurs vœux comme voie d’affranchissement des nouvelles dictatures qui ont dévoyé leurs aspirations à la démocratie sur lesquelles ils fondaient leur espoir de développement.
L’échec de la gouvernance démocratique, telle qu’agencée par des régimes qui ont galvaudé l’exercice démocratique en apprivoisant les élections, justice pour une large part cette attitude des peuples qui, on peut le dire, trouvent dans la déferlante des coups d’Etat un cri du désespoir après donc la désillusion des poussées démocratique des années ’90.
Il faut aussi dire que si les Africains ont cherché de nouvelles alternatives à la gouvernance démocratique ratée, ils ne sont pas allés chercher loin pour rejoindre tout simplement leurs anciens amours qu’est la force militaire, même si, à ce jour, cette alternative n’a pas encore porté des fruits notables.

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Partis de l’Afrique de l’Ouest, ces coups d’Etat successifs déstabilisent terriblement l’ancien empire colonial français

La légitimité populaire
Les putschistes ne font pas mieux, les peuples doivent se prendre en charge. C’est la grande tendance.
En effet, si, en Afrique de l’Ouest les putschistes ont pris prétexte sur l’incapacité des régimes en place d’endiguer le djihadisme, leur propre gouvernance n’a pas encore produit de bilan notable qui puisse justifier leurs choix des coups de force. La réalité de fond est que depuis les indépendances, les pays africains ne se sont pas départis du caractère fondamentalement prétorien de leur gouvernance.
Le recours à la voie des urnes comme modus operendi n’a pas véritablement exclu l’ingérence des militaires dans la sphère politique. Une omniprésence qui est devenue un trait récurrent des trajectoires faussement démocratique.
Le vrai salut de l’Afrique et des Africains passera incontournablement par la réconciliation de l’élite politique et dirigeante avec la véritable volonté du peuple en s’affranchissant des influences géopolitiques externes. Que ce soit les puissances étatiques directes ou les multinationales, l’Afrique a besoin de vivre véritablement une histoire inspirée de sa propre volonté, projetée sur les aspirations véritables de ses propres enfants.
Une telle perspective ne peut avoir de chance de réussite qu’avec l’émergence d’un afro nationalisme et patriotisme réel, loin des prétextes et autres formes d’escroqueries faussement nationalistes. Et sur un autre volet, le ras-le-bol mal assumé risque de déboucher à la désillusion que vivent les Africains du nord après ce qui fut appelé le printemps arabe.
En attendant, les peuples meurtris peuvent continuer à se gausser avec cette question plutôt narquoise : à qui le prochain tour ?

JDW