Goma : une marche contre la Monusco tourne au carnage

Mercredi noir dans la ville de Goma où une marche contre la présence des troupes onusiennes a tourné à un carnage. Si le gouvernement militaire de la province du Nord-Kivu fait état de moins de 10 morts, la Société civile parle d’une cinquantaine de morts. D’autres évoquent une centaine de morts, après des images atroces des militaires entassant des corps sans vie dans les véhicules des Forces armées de la République Démocratique du Congo. En RDC, l’histoire semble se répéter ou presque. En 2007, l’on se rappelle qu’un convoi punitif de forces de l’ordre dépêché dans la province du Kongo Central pour mater une insurrection des adeptes de Bundu dia Kongo a finalement tourné à un carnage faisant une centaine de morts. En 2013, la répression organisée dans différentes villes de la RDC contre les adeptes du prophète Mukungubila a également été suivi d’un bilan meurtri, soit près de 300 morts. Dix ans après, c’est à Goma, dans la province du Nord-Kivu, qu’une marche initiée par les adeptes d’une secte, en l’occurrence «Foi naturelle judaïque et messianique vers les nations», mieux connue sous le nom de «Wazilendo», a tourné à un carnage. Dans la classe politique, c’est l’indignation. Tout comme dans la Société civile. Qui portera le chapeau de ce nouveau drame ? La réponse dépendra de l’attitude de Kinshasa.
Ce n’était au départ qu’une marche contre la Monusco. Finalement, l’appel lancé par les adeptes de la secte «Foi naturelle judaïque et messianique vers les nations», mieux connue sous le nom de «Wazalendo», a viré au drame. Le mercredi 30 août 2023, la ville de Goma compté ses morts, moins d’une dizaine, selon les officiels, contre plus d’une cinquantaine, selon la Société civile.
«Les FARDC [armée congolaise] nous ont attaqués au local de notre radio et à notre temple, et ils ont tué six personnes», a dit à l’AFP Moleka Maregane, un des cadres de la secte «Foi naturelle judaïque et messianique vers les nations», organisatrice de la marche
Le maire par intérim de Goma, le colonel Faustin Napenda Kapend, a affirmé, selon la même source, qu’un policier avait été lynché par les membres de la secte. Présent sur place, il a également confirmé l’incendie de leur temple par les forces de sécurité.
Par ailleurs, des sources hospitalières ont indiqué avoir admis dans la matinée 33 personnes blessées dans ces violences, dont trois sont décédées.
Le lieutenant-colonel Guillaume Ndjike, porte-parole de l’armée au Nord-Kivu, s’exprimant dans une vidéo devant une vingtaine de personnes apparemment en état d’arrestation, a déclaré que «ces gens [les membres de la secte] [étaient] en train de jouer le jeu de l’ennemi et [étaient] manipulés et drogués», justifiant les méthodes fortes employées par les forces de l’ordre pour mater ce qui, selon elles, pouvaient vite virer à un soulèvement populaire.
Qui dit vrai ? La question est sur toutes les lèvres.
Dans tous les cas, les autorités locales de la province du Nord-Kivu, toujours sous état de siège, ont revu jeudi leur bilan à la hausse, faisant état de 48 morts dans les rangs des manifestants, rapporte l’AFP qui cite un document interne des Forces armées de la RDC, du reste authentifié par les sources militaires.
Le document, qui fait également part d’un nombre important de blessés, précise que «quelques armes blanches (ont été) saisies» et que 168 personnes ont été arrêtées «parmi (lesquelles) le gourou» Efraimu Bisimwa, de la secte «Foi naturelle judaïque et messianique vers les nations», organisateur de la manifestation.

La toile s’emballe
Sur la toile, une série de véhicules des FARDC entassant des corps sans vie a suscité une vague d’indignation dans l’opinion publique congolaise. Dans ces vidéos, filmées dans un quartier de Goma et largement partagées sur les réseaux sociaux, on aperçoit des militaires portant la tenue d’une unité d’élite des FARDC jeter une dizaine de corps sans vie à l’arrière d’un véhicule militaire. Certains cadavres sont trainés au sol et recouverts de sang.
«Le nombre de victimes du carnage mené par l’armée contre des civils non armés demandant le départ de la Monusco (mission de l’ONU en RDC) hier (mardi) à Goma avoisine la cinquantaine», a déclaré la Lutte pour le changement (Lucha), un mouvement pro-démocratie né à Goma et très actif en RDC.
«D’autres corps sont notamment cachés à l’hôpital militaire du camp Katindo», situé dans le centre de la ville, a ajouté le mouvement Lucha sur X (ex-Twitter).
Dans la ville de Goma, tout comme ailleurs, on exige désormais une enquête pour établir les responsabilités. La vie humaine est sacrée. Et ces actes d’une cruauté innommable ne devaient pas rester impunis.
Les défenseurs des droits de l’homme condamnent une répression brutale qui n’a pas épargné les enfants.
«On ne comprend pas comment des civils non armés peuvent être traqués à trois heures du matin. La vie humaine est sacrée et on ne peut pas accepter que des jeunes civils non armés soient abattus ainsi. Il y a même des enfants de moins de cinq ans qui ont été victimes de cette barbarie », a déploré Espoir Muhimuka, défenseur des droits humains de la province du Nord-Kivu.
Certains enfants ont en effet été blessés durant ces affrontements mais aucun d’entre eux n’a semble-t-il perdu la vie d’après des sources concordantes.

La classe politique se déchaîne
Si le Gouvernement promet de faire toute la lumière sur ce drame, dans l’opposition, on s’est vite bondi sur cette affaire.
L’opposant Moïse Katumbi, candidat déclaré à la présidentielle de décembre prochain, a réclamé, sur son compte X (ex-twitter), une enquête : «Je condamne le massacre qui vient d’avoir lieu à Goma. Les victimes étaient non armées. Cette tuerie est un crime contre l’humanité. Les images qui circulent sont insupportables car le droit à la vie est sacré ! Toutes mes condoléances aux familles et proches des victimes. L’incapacité du gouvernement à mettre un terme à l’insécurité est son plus grand échec. Dans tout le pays, des criminels sont en liberté. A Goma, une enquête doit être diligentée. Les auteurs des tueries ainsi que leurs commanditaires doivent être identifiés, traduits en justice et condamnés avec sévérité. Aucun crime ne peut rester impuni ».
Une autre voix de l’opposition, le député Claudel Lubaya, a affirmé que les manifestants ont été victimes d’une réponse «inappropriée » et une réaction «disproportionnée », constitutive, selon lui, d’un crime d’État délibérément commis et publiquement assumé.
Selon lui, la mort des manifestants «Wazalendo» mercredi à Goma , «jette de l’opprobre sur le gouvernement de la République et appelle de sa part une action urgente pour que des sanctions les plus sévères soient infligées aux auteurs, coauteurs et commanditaires de ce massacre ainsi qu’à des poursuites judiciaires afin de prévenir toute récidive ».
Il propose la mise à l’écart du gouverneur militaire du Nord-Kivu avant toute enquête.

Econews