Le projet de rapatriement de la dent du héros national Patrice Lumumba provoque une tôlée de réactions de la part des Congolais. Cette éventuelle restitution symbolique de la dent de Lumumba. Une commission parlementaire en 2001 conduit la Belgique à reconnaître sa responsabilité morale dans le meurtre du héros national Patrice Lumumba. Cet épisode est chargé de tout un symbole. Une piste serait de suivre le processus cognitif qui a été mis en place à partir de la relique proposée. Mais dans ce cadre, cette tentative irait plus loin. Cet article retient seulement l’aspect mémoriel qui se dégage de ces relations historiques entre la Belgique et la République démocratique du Congo.
« Est-il possible de connaitre le monde tel qu’il est en dehors du sujet ? Ou faut-il accorder crédit aux thèses, de manière provisoire, des constructivistes qui pensent que notre regard construit le monde, les autres ? Une telle perception pourrait renouveler les interactions humaines s’ils regardent la réalité de manière critique et positive. Il conviendra dans ces lignes d’examiner un cadre dans lequel s’inscrivent les interactions ». (MARC, E. et PICARD, D., 1989 : 84). Le musée semble convenir à ce genre de réflexion tout en se transportant dans un contexte colonial et prolongeant la réflexion sur la réponse que les Congolais en général pourraient apporter aux questions qui leur sont posées à partir d’un lieu de savoir et de mémoire.
Interaction dans le Musée de Tervuren
Le lieu d’où nous parlons devient un espace d’interaction, de l’appropriation ou de l’exclusion de l’autre, de l’occupation, de négociation. L’occupation de l’espace a fait l’objet d’une étude remarquable d’Erving Goffman (Goffman, 2000 : p. 3-70) Le lieu s’accompagne des trajectoires, des profils qui peuvent se dessiner à l’horizon. L’identité, les relations, l’histoire sont mises en jeu dans un lieu. Ce travail anthropologique veut traduire à travers la mise en scène du Musée de Tervuren la mémoire et le savoir que cette institution véhicule. Nous estimons qu’en ce lieu se joue la tension entre le local et le global. Nous avons choisi le Musée de Tervuren à cause du mouvement actuel qui nous invite à revisiter l’histoire, surtout le phénomène qui pousse les hommes à taire certains aspects de l’histoire, à les déformer ou en glorifier d’autres.
En effet, le Musée de Tervuren a été lancé dans un contexte de propagande coloniale à travers la volonté de Léopold II de doter la Belgique d’une colonie à l’instar de la Hollande dans l’île de Java. Cette ambition voulait révéler à la face du monde l’œuvre civilisatrice réalisée par les Belges dans cette contrée de l’Afrique. Le Musée de Tervuren regorge des richesses qui traduisent l’évolution de l’œuvre coloniale. Actuellement la mise en scène de ce Musée est remise en cause et provoque une polémique d’une telle ampleur, qu’il s’est avéré nécessaire de mettre à profit les travaux de rénovation exigés par son état de vétusté, pour en effectuer un aggiornamento complet inspiré des principes muséologiques actuellement en vogue. Cette tâche n’est pas facile vu le regard que posent actuellement les Belges et les Congolais sur le même objet, sur le même lieu. La rencontre avec l’autre est une chance ou une menace. Un Belge a tenté le parie, Léopold II.
Naissance de l’Etat Indépendant du Congo (EIC)
Léopold II qui succède à son père le 17 décembre 1865 s’efforce de rechercher des débouchés nouveaux pour consolider l’économie de son royaume. Il est séduit par l’entreprise coloniale de la Hollande dans l’île de Java et il veut faire la même chose en Afrique. Isidore Ndaywel parle de la fascination du roi : « Il était fasciné à l’idée d’acquérir une colonie ». (Ndaywel, 1997 : 272) Il fallait que la Belgique ait une colonie mais avec comme objectif ultime : les retombées économiques pour la métropole.
Pour réaliser son plan, le Souverain belge met d’abord en avant des mobiles d’ordre scientifique et conçoit un projet : organiser une conférence internationale de géographie pour faire le point sur les connaissances acquises relatives au bassin de l’Afrique centrale. Cette conférence se tient du 12 au 14 septembre 1876. La Belgique, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Autriche et la Russie sont au rendez-vous. Ainsi naitra une Association internationale pour la Civilisation de l’Afrique (AIA). (Ndaywel, 1997 : 273)
Les relations nouées avec l’explorateur Stanley, à son retour d’Afrique, sont mises à profit par Léopold II pour amener la création d’un « Comité d’Etudes du Haut-Congo (CEHC) ». (Ndaywel, 1997 : 274) La mission de Stanley était de vérifier si un système de navigation et de communication adéquat pouvait être mis en place pour avoir accès direct à l’océan. Il y a eu donc à ce stade deux mobiles qui ont milité à la naissance de cet Etat africain : « L’exploitation économique et la recherche scientifique. Le roi se mit ensuite à la recherche d’une reconnaissance internationale dans le but d’empêcher la convoitise des autres puissances comme la France, l’Angleterre et le Portugal ». (Stengers, 1989 : 53).
Pour éviter que cette terre de convoitise devienne un lieu de conflit entre les nations civilisées, un pacte devait se conclure entre elles : ce sera la conférence de Berlin en 1885 sous la présidence du chancelier allemand, Bismarck. Isidore Ndaywel nous décrit le contenu de l’Acte général en ces termes: « La liberté du commerce, la lutte sur terre comme sur mer contre la traite, la neutralité du bassin du Congo (Zaïre) même en cas de guerre, la navigation libre sur le Zaïre et sur le Niger bien que l’administration de ces fleuves fût réservée aux puissances riveraines ». (Ndaywel, 1997 : 276).
Dans l’imaginaire belge, la conférence de Berlin évoque la libre circulation du commerce, la libération de l’esclavage et l’œuvre civilisatrice dans cette région d’Afrique. Un article paru dans l’Indépendance belge du 2 mars 1885 nous est rendu par Isidore Ndaywel : « …Les navires pourront désormais aller et venir librement sur tous les cours qui sillonnent cette zone de trois millions de kilomètres carrés […] Les ouvriers que notre vieux sol ne peut plus nourrir et qui n’ont plus une terre hospitalière où ils exploiteront l’ivoire, la gomme, les céréales, toutes les ressources de ces fertiles régions sous l’œil protecteur d’Etats civilisés dont les frontières sont maintenant régularisées, dont les lois libérales sont garanties dans leur fonctionnement ». (Ndaywel, 1997 : 278).
Une rencontre économique et civilisatrice sur un fond de violence
Cette interaction entre le colonisateur et le colonisé garde les couches successives de violence : guerre contre les esclavagistes arabes, guerre contre les chefs autochtones. Le nom de Bula-Matari en dit long sur la terreur que l’apparition des Blancs suscitait chez l’autochtone. Stanley comprenait son surnom de Mbula-Matari comme briseur de pierre. Et pourtant dans l’imaginaire local, les habitants pensaient à la méchanceté du colonisateur. Le statut des autochtones ne s’améliore pas vite avec l’arrivée des nouveaux maîtres. Les indigènes étaient réquisitionnés pour le portage, des travaux forcés. L’évangélisation et l’éducation recouraient parfois aussi à des méthodes violentes.
Un autre phénomène qui évoque la violence de cette période est bien entendu l’expression « fimbo mingi », littéralement qui se traduit par beaucoup de fouets. Le cas typique qui raconte cet épisode est la célèbre révolte de Luluabourg en juillet 1895. En à croire Isidore Ndaywel, la vie des soldats était intenable : « A Luluabourg, la vie était particulièrement dure à cause de la brutalité des responsables du poste. Le ravitaillement était difficile et la solde irrégulière ». (Ndaywel, 1997 : 300).
L’Etat indépendant du Congo est géré par un individu : Léopold II pendant 23 ans. Cet Etat deviendra Congo belge de 1908 à 1960. Léopold II avait le goût de grands travaux. Cette politique de grands travaux lui attire des critiques acerbes. Jean Stengers dans son livre Combien le Congo a-t-il coûté à la Belgique a rapporté ce témoignage : « Et pourtant, revenant du Congo, les routes presque inexistantes, les hôpitaux sont à compter du doigt, les anciens colons étaient scandalisés de voir de bâtiments grandioses construits avec l’argent du Congo en Belgique. » Pour arriver à ce genre de travaux, il fallait faire subir aux autochtones le portage, les corvées et la récolte du caoutchouc. Isidore Ndaywel écrit : «Mais la plus grande hécatombe fut causée par la récolte du caoutchouc : la page la plus triste parce que la plus sanglante de l’histoire zaïroise de la colonisation ». ( Ndaywel, 1997 : 339). Cet épisode reste marqué aussi par l’œuvre des missionnaires à travers l’évangélisation et l’enseignement. En plus, il faut noter l’action de l’administration et des commerçants. Pour examiner cette mémoire du Congo, nous pouvons aussi nous référer à cette maxime devenue classique : « L’un des grands malheurs de l’histoire écrite, c’est d’avoir été écrite par les vainqueurs qui ont toujours voulu prouver que leur hégémonie était une nécessité historique ».
L’histoire du Musée de Tervuren est liée à l’aventure de Léopold II. Du décor exotique on est arrivé aux objets esthétiques et d’intérêt scientifique. La conférence géographique de 1876 et la fondation de l’Association Internationale du Congo ont constitué des dates importantes avec la conférence de Berlin en 1885 comme consécration de ce projet. Certains observateurs pensent que la campagne esclavagiste a servi de prétexte pour baliser le terrain d’une mission aux ambitions plus économiques que « civilisatrices ». Dans cet esprit, les expéditions militaires aidaient plus à se soumettre les autochtones qu’à pourchasser les arabes. En 1884, l’AIC propose la création du Musée de Tervuren. Les objets culturels exposés sont tout sauf de l’art. Leurs créateurs doivent être civilisés. Progressivement, la section ethnographique reçoit des objets avec une explication de leur contexte d’utilisation. En 1928, on crée 7 sections. En 1952, le musée devient Musée Royal de l’Afrique Centrale avec des recherches sur l’Afrique subsaharienne. En 1958, c’est l’arrivée d’une grande pirogue à partir de Kisangani. Progressivement, le musée prend sa forme et les recherches se complexifient jusqu’aujourd’hui.
Mémoire et représentations sociales
Cette partie de notre recherche porte sur les représentations dans les salles du musée de Tervuren et la transmission du savoir. Jusque-là nous avons réuni un corpus dans l’interaction du chercheur avec le public (visiteurs) et avec d’autres scientifiques qui travaillent dans le cadre des recherches à Tervuren, sans négliger aussi les images véhiculées dans une certaine littérature. Joël Candau, professeur de Sociologie-Ethnologie de l’Université de Nice-Sophia Antipolis et Boris Wastiau, un des Conservateurs de la Section Ethnographie du Musée royal de l’Afrique centrale, nous ont inspiré pour quelques éléments théoriques. Les historiens comme Isidore Ndaywel, Congolais et Jean Stengers, Belge, nous fournissent aussi pas mal de matériaux. Nous avons eu aussi la chance d’interroger certains anciens administrateurs de l’époque coloniale.
Nous avons découvert une trajectoire des objets : du Congo en Belgique. Nous avons été en contact avec certains acteurs. Nous avons recueilli certains surnoms, significatifs qui traduisent l’imaginaire des uns et des autres. Pour l’anecdote, nous avons croisé des Congolais qui voient dans ce musée : un pillage systématique des richesses d’un pays. Pourtant certains Belges y voient l’intérêt pour la science et la sauvegarde d’un patrimoine qui aurait autrement disparu (Bruno SALEH, entretien avec Alexandre Morisho 20 décembre 2011. Entretien avec Peets REISBY du 22 octobre 2011. Il n’est pas facile de regarder le passé de la même manière : étonnement, préjugés, gêne, réflexivité se mêlent. Ce qui rend parfois l’écriture compliquée. Un autre écueil : le musée se retrouve loin de son contexte d’origine. Notre position en tant que chercheur serait d’expérimenter de nouvelles formes de dialogue dans la co-construction du savoir pour établir de nouveaux rapports sociaux entre Belges et Congolais. L’anthropologie culturelle devient une voie pour remettre en question certaines représentations de l’autre, telles que nous les construisons.
Joël Candau nous invite à lancer un débat vaste et riche sur les rapports qu’une société doit entretenir avec son passé. Dans son Anthropologie de la mémoire (CANDAU, 1996 : 1-90), l’auteur énumère trois éléments importants lorsqu’on évoque un musée : l’héritage, la transmission et la représentation. Dans ce contexte, le défi est immense de parvenir à garder la mémoire de la naissance à la tombe. Lorsqu’une exposition se fait au musée, il convient de s’interroger si une telle monstration constitue une image fidèle du passé. L’existence des humains étant courte, les hommes cherchent à sauvegarder tout ce qui peut rappeler la vie antérieure. Mais la tendance est aussi d’oublier les événements désagréables et de ne conserver que ce qui est agréable. (CANDAU, 1996 : 98)
Pour s’en convaincre, nous allons présenter successivement deux réactions : l’une d’un Congolais et l’autre d’un Belge après leur visite du musée. “Je viens de visiter avec émotion le muséum de Tervuren qui symbolise à la fois la spoliation du Congo et des Congolais, et quelques traces de l’histoire commune entre les peuples belges et congolais (Bruno SALEH, entretien avec Alexandre MORISHO du 20 décembre 2011. Entretien avec Peets REISBY du 25 octobre 2011). Les traces sont là. Faut-il que ces traces provoquent des repentances ? La réponse reste négative : «Magnifique ! Il faut tenir compte absolument que le but d’un musée c’est de raconter le passé. Qu’il ne faut surtout pas s’excuser de ce qui s’est passé. L’histoire c’est l’histoire et il ne faut pas la changer. Pas de repentance !!!» (Bruno SALEH, entretien avec Peets REISBY du 25 octobre 2011).
Boris Wastiau nous donne aussi son interprétation des faits à partir des deux visions de l’art. Les Congolais et les Belges n’avaient pas la même représentation sur les objets artistiques : « La conversion au christianisme qu’apportait le missionnaire impliquait l’abandon des objets liés aux rites et croyances « païens ». Ces objets, s’ils n’étaient pas détruits, étaient collectionnés ou exposés devant le public belge, pour qui ils représentaient ce monde obscur que la mission évangélisatrice allait reléguer dans le passé. » (WASTIAU, B., 2000 : 13). Ces objets devaient alimenter les collections de ce qui constituerait plus tard le Musée Royal de l’Afrique Centrale (MRAC). Ce bâtiment a été inauguré en 1910 sous le titre de Musée du Congo. Sa fonction était de faire la propagande coloniale auprès du public belge. La manière de présenter les collections révèle un regard colonial sur l’Afrique. Cette remarque vaut surtout pour les salles d’histoire et d’ethnologie. (ROGER, A., 2008 : 85)
Par conséquent, il faut une nouvelle orientation muséographique. Le MRAC s’est inscrit dans cette réflexivité jusqu’à proposer une exposition en 2005. Cet élan s’est traduit par le souci de la rénovation du Musée. Cette institution contribue à façonner les cadres sociaux de la mémoire coloniale belge. Aurélie Roger trouve que ce contexte explique pourquoi le Musée de Tervuren a été l’objet de critiques venant des scientifiques et des médias : « C’est là du reste la raison pour laquelle il a essuyé au cours des dernières années le feu de nombreuses critiques, tant dans le champ scientifique que médiatique, qui stigmatisaient la présentation figée pour sa capacité à véhiculer auprès des visiteurs une vision de l’Afrique largement teintée par le contexte colonial de la création ». (ROGER, A., 2008 : 87). Le MRAC a assumé au préalable un rôle politique et propagandiste jusqu’en 1960. Parvenir à une mémoire apaisée et unifiée du temps colonial pourrait contribuer aux relations fructueuses entre la Belgique et la République démocratique du Congo.
Les cadres sociaux dans ce monde multiculturel et globalisé devaient être bousculés. Le regard à poser sur le Musée questionne aussi des instituions qui alimentent des stéréotypes et des représentations par rapport à l’Afrique. Cette remise en question touche les critères de classification et les modes d’exposition. Dans cette lancée, on peut signaler une équipe de nouvelle génération qui arrive au Musée et l’avènement de Louis Michel comme ministre des affaires étrangères de l’époque qui acceptent d’ouvrir un dialogue critique avec le passé colonial. En mars 2000, une commission de la chambre est mise sur pied pour enquêter sur la mort de Patrice Lumumba, premier ministre congolais. L’objectif de toutes ces entreprises est d’arriver à une mémoire partagée et apaisée du phénomène colonial.
Un Américain lors d’une visite au Musée de Tervuren qui a fait ce constat : “Cultures are dissimilar this shows how people are also different although we live on the same place “the earth”. But this also shows the complexity of the world as the dynamics of things are not the same.” (Brunon SALEH, eentretien avec Harry JACK du 20 décembre 2011). Mais comment faire pour arriver à ce que ce Musée devienne un lieu de rencontre et de dialogue interculturel ?
Le projet de la nouvelle politique africaine de la Belgique avait pour but la réconciliation entre la Belgique et le Congo fondée sur une relation apaisée. Il se révèle que la présentation historique et rigoureuse ne parvient pas à chasser certains éléments cristallisés dans la mémoire des gens. Les divergences de la représentation sons liés au vécu différent de chaque acteur. Chacun jette ses mailles pour puiser diversement dans la même réalité : la mémoire coloniale. Le travail de fond serait que chacun fasse un retour sur soi-même et sur ses représentations. Grâce au musée, le musée contribue à la diffusion des connaissances relatives à l’Afrique. Le musée est notamment actif en matière de sensibilisation, à travers les activités éducatives et culturelles qui tendent à transmettre une meilleure connaissance et une image nuancée de l’Afrique d’aujourd’hui.
Regard belge sur le musée
Le musée de Tervuren parle du colonialisme. La mise en scène ne traduit pas le lien avec le peuple congolais. Saulberg qui visite le musée le 20 octobre 2011 témoigne : « Some things could be replaced by the more recent articles, but this is current. But I lack a perspective from Africa and of African themselves ». La mise en scène perd ce lien entre les personnes, les milieux et les outils. D’après un certain regard, le musée continue à envoyer un message rétrograde : « Les congolais sont un peuple de sauvages ». Le peuple d’Afrique est inculte. Cela se vérifie dans les écriteaux des statues qui se trouvent dans la rotonde du musée où il est écrit : « On apporte la civilisation ». Ces éléments iconiques interpellent et poussent à une nouvelle présentation de la mémoire ou mieux une présentation actualisée.
L’arrivée des Belges au Congo est représentée comme une rupture bénéfique avec ce passé sombre et violent. Les Congolais, désormais pacifiés et délivrés de l’esclavage et de la superstition, sont guidés vers la civilisation ; on met donc en scène un violent contraste avant/après. Vers la fin de la période coloniale, un accent particulier est mis sur le progrès matériel et économique du Congo, représenté comme un exemple remarquable de « modernité » dans le monde tropical. (Vanthemsche, 2010 : 103).
Les réalisations matérielles et morales sont dues grâce aux efforts des Belges. Selon Guy Vanthemshe, Le Congo est une colonie modèle. « Le Congo permet de glorifier la nation belge ». (Vanthemsche, 2010 : 103). Le colonialisme devient le porte étendard du nationalisme belge. Un culte un rendu à Léopold II comme grand fondateur et à son génie visionnaire. Les autres acteurs sont l’Eglise, l’administration et les grandes entreprises. Chacun à son niveau œuvre pour la propagandiste.
La propagande coloniale est une usine à clichés. La notion de civilisation est liée à la littérature écrite et forme une architecture durable. (Vanthemsche, 2010 :104) Cette image n’évolue pas jusqu’en 1950 où l’accent est désormais mis sur le développement économique. Les manuels scolaires, eux aussi, relaient cette image de la propagande coloniale. L’accent est mis l’héroïsme de l’aventure coloniale. Benoit Verhaegen a étudié la place du Congo dans les manuels d’histoire de l’enseignement secondaire. Cet auteur révèle des stéréotypes. Ce fait s’explique par la sélection de l’information concernant la colonie. Ce mythe de la colonisation a volé en éclats comme un bâtiment en carton lorsqu’une monographie a commencé à pointer du doigt des atrocités du système colonial entre 1980 et 1990. (Vanthemsche, 2010 : 105).
Les textes qui évoquent le Congo parlent de l’exotisme, du dépaysement, du rôle civilisateur de la colonisation. On pourrait comprendre comment l’audience de Tintin au Congo perdure jusqu’aujourd’hui (1931). Il s’agirait d’une production innocente des stéréotypes raciaux. (Vanthemsche, 2010 : 105).
« Au début de la colonisation, la science géographique est en quelque sorte le point de ralliement de diverses facettes de l’approche intellectuelle de la terre congolaise » (Vanthemsche, 2010 : 109). Un bon nombre de disciplines scientifiques gravitent autour de la colonie : l’anthropologie et la linguistique facilitent une certaine classification. La géologie, l’hydrographie s’occupent d’autres aspects. D’autres disciplines notamment citées : zoologie, la botanique, la médecine et l’agronomie tropicales. Guy Vanthemesche note : « Les chercheurs belges accumulent des masses impressionnantes de connaissances sur le terrain congolais- à telle enseigne que la Belgique qui, dans les années 1870, n’a quasiment aucune affinité scientifique avec la région subsaharienne, se hisse, dès l’entre-deux-guerres, au rang de centre mondial de l’africanisme ». (Vanthemsche, 2010 : 109). Ces sciences deviennent des instruments de la domination coloniale sur la population et l’environnement.
Dans la foulée de l’exposition de Tervuren en 1897, Léopold II crée le Musée du Congo avec pour tâche : dépôt d’objets collectés, vitrine d’exposition d’artefacts, tribune de propagande, lieu d’initiation de la population belge aux réalités coloniales, centre de recherche scientifique. Musée de Tervuren, lieu d’attraction et contrainte pour certaines écoles qui l’inscrivent dans le programme. Guido Gryseels, actuel conservateur, cherche à inverser la tendance. Pour Jean-Pierre Rioux, revisiter une mémoire va plus loin dans le sens d’accusation et de réparation : « Une justice peut être rendue au nom de cette même mémoire éternisée. Une histoire mémoire peut fonder une défense ou une accusation ». (RIOUX, J-P, 2002 :162) Jean-Pierre Rioux se basant sur l’histoire et la mémoire de la Shoah parcourt quatre étapes du devoir de la mémoire. Primo, un travail d’investigation historique pour établir les faits. Secundo, la présence d’un relais de génération, filles et fils de …Tertio, la dénonciation. Il faut nommer le mal : crime de guerre ou crime contre l’humanité. Quarto, le facteur social de la reconnaissance publique. (Rioux, J-P, 2002 :164)
Pour les Congolais, la période qui touche à la colonisation devrait s’inscrive dans l’éducation civique de la Belgique. Il serait question de croiser le regard des francophones, des néerlandophones, des protestants sur la période coloniale. Plus loin, c’est la notion même d’histoire qui est remise en cause par le fait de considérer l’entrée du Congo dans l’histoire par le fait de la colonisation. Le musée de Tervuren a organisé une exposition sur la Mémoire du Congo en 2005. Une exposition bien pensée, mais qui laisse perplexe une certaine élite congolaise. Si travail de mémoire il y a, c’est chaque peuple qui doit le faire pour son histoire. A sa grande surprise, ce groupe d’intellectuels congolais constate et regrette que l’exposition ne soit tournée que vers les éléments du passé comme si l’histoire du Congo s’était cristallisée en période coloniale.
Dans un regard croisé, la réalité n’est pas nommée de la même manière. Là les textes de l’exposition parlent d’un quartier d’indigènes à côté d’un quartier européen, les Congolais aiment que l’on parle de la ségrégation. Dans certaines expositions, on reconnait la diminution du nombre des indigènes à cause de l’exploitation du caoutchouc. Les Congolais aimeraient que l’on parle de génocide. La question est de voir comment les Belges assument cette période et comment ils dénoncent ces conséquences néfastes de la colonisation. Le Musée de Tervuren devient une étape du regard des Belges sur les Congolais avant que les Congolais écrivent eux-mêmes leur propre histoire. Entre mémoire et identité, il y a aussi la question de la reconnaissance sociale et culturelle pour entrer dans un dialogue interculturel. Il est important de comprendre comment était vécu le rapport entre le Belge et le Congolais de l’époque.
Un effet miroir
Un musée doit être une « vitrine » où le visiteur peut voir comment les choses étaient à une époque donnée. Cette présentation doit être objective et ne pas chercher à justifier ou condamner les situations représentées. Il faut éviter les sélections abusives basées sur des préjugés, des convictions philosophiques ou politiques. Les documents exposés doivent être « authentiques » et leur description doit être claire, complète et neutre.
Jacques Juliot, qui fut Administrateur Territorial au Congo durant la dernière décennie avant l’indépendance (1962-1960) nous livre à ce propos cette réflexion :
« L’importance donnée à certains documents par rapport à d’autres doit être basée sur des critères objectifs et non sur leur caractère sensationnel ou scandaleux. Les explications données ne doivent pas chercher à influencer l’opinion du visiteur en cherchant à lui imposer le point de vue de leur auteur. Il faut respecter le visiteur et le traiter en adulte, capable de juger par lui-même, tout en lui donnant les moyens de se faire une opinion en toute impartialité. Un musé doit montrer les aspects positifs au même titre que les aspects négatifs des époques qu’il aborde et replacer ceux-ci dans leur cadre historique en éclairant le visiteur sur les mentalités, les comportements sociaux, les idéologies qui régnaient ou prévalaient dans les milieux concernés ». (Bruno SALEH, entretien avec Jacques Juliot (un nom d’emprunt), Administrateur de Territoire dans le Nord-Kivu (1952-1960) du 27 novembre 2011).
La présentation dans le Musée a évolué depuis. Le musée de Tervuren cherche à représenter les multiples facettes de l’histoire du Congo : l’art et l’artisanat, la vie sociale, la faune, la flore, l’économie, la politique. On en sort avec une vision d’ensemble des conditions de ce vaste pays depuis sa découverte jusqu’à son indépendance et même un peu au-delà. Même si tous les critères d’un « bon musée » ne sont pas (encore) réunis pour en faire un musée modèle. Notamment son côté « paternaliste » avec la « bonne conscience » qui devrait en résulter d’une part et d’autre part ses prises de position « anticolonialistes » avec la « repentance » qu’il tente ainsi d’imposer au pays colonisateur. Le musée sort de son rôle en se livrant à ces pratiques : il doit rester neutre et laisser au visiteur le soin de porter un jugement circonstancié sur ce qui lui est présenté, en lui donnant tous les éléments d’appréciation requis à cet effet.
Epinglons à ce propos, cette observation de Jacques Juliot, précité : « Il faut éviter certaines présentations biaisées de faits et de situations et certains documents utilisés à des fins de propagande, comme au chapitre des fameuses « mains coupées » cette photo qu’on exhibe à tout bout de champ, montrant deux adolescents devant le dispensaire où ils avaient subi cette opération pour des raisons médicales impérieuses (gangrène) et qu’on présente comme des victimes des atrocités commises par des agents de l’EIC ».
L’intérêt des visiteurs s’est toujours porté, selon les catégories d’âge, à la faune chez les plus jeunes et aux objets d’art et à l’histoire chez les plus âgés, et selon les professions exercées à l’économie, la flore, l’habitat etc. Mais les visiteurs ont du mal à se départir de leurs préjugés. Malgré tout, le musée doit transmettre un message de respect pour toutes les cultures, sans préjugés ni idées préconçues, dans un souci de vérité et d’objectivité. S’il faut reconstituer le scénario, les anciens administrateurs territoriaux estiment qu’il faut s’efforcer de représenter des situations qui constituent un « ensemble de vie » pour chacune des grandes familles ethniques concernées, avec son habitat, ses objets d’art, son mobilier, son environnement, ses ressources naturelles, son agriculture, sa faune et sa flore, ses références historiques, sa vie en société, ses croyances etc.
De toutes ces explications, celle qui revient souvent laisse penser à une épopée : « cette époque coloniale est celle qui a créé le Congo de toutes pièces en réunissant, après les avoir pacifiées et libérées des razzias esclavagistes, des centaines de tribus autrefois hostiles pour en faire le « peuple congolais » qui préside aujourd’hui à ses destinées. Jacques Juliot nuance un peu son propos lorsqu’il déclare : « Il faut s’efforcer de le faire en veillant à respecter les autres cultures, sans parti-pris ni préjugés, sans craindre toutefois de montrer également les aspects négatifs de certaines pratiques, comme les guerres tribales, le cannibalisme, la sorcellerie, les pratiques funéraires barbares à la mort de certains chefs coutumiers chez les natifs mais aussi les excès (vérifiés, pas les mythes !) commis par les colonisateurs. La notion de « décalage » est en elle-même déjà une appréciation péjorative pour la ou les cultures jugées décalées par rapport à la culture dominante. A moins qu’il ne s’agisse de décalage « dans le temps » qui nous porte à juger les faits du passé avec les yeux d’aujourd’hui. Ce dérapage-là est très fréquent de nos jours et il ne peut être évité qu’en veillant à replacer les faits, les comportements et les situations dans le contexte de leur époque. » (Bruno SALEH, entretien avec Jacques Juliot, ancien Administrateur de Territoire dans le Nord-Kivu (1952-1960) du 27 novembre 2011)
En gros, les anciens du Congo pensent actuellement à une communication interculturelle qui évite aussi soigneusement les accents « paternalistes » que les envolées « anticolonialistes ». Le défi consiste à «montrer tous les aspects, positifs et négatifs, de l’aventure commune vécue par les Belges et les Congolais dans ce pays immense qu’ils ont, ensemble, au prix de tant de « sang, de sueur et de larmes », créé de toutes pièces en quelques décennies seulement. Le Musée de Tervuren a le mérite d’exister et permet d’exprimer ce que l’on pense, même si les questions restent au niveau des principes et n’abordent pas les situations concrètes de la vie en société au temps de la colonisation.
Dans ce travail, nous évoquons la notion de mémoire à partir du premier livre d’Halbwachs sur la question, Les cadres sociaux de la mémoire, où la dimension sociale de la mémoire réside dans le caractère empathique de sociabilité, c’est-à-dire comme la faculté de compléter « nos souvenirs en nous aidant, au moins en partie, de ceux des autres » (Candau, 1996 :73). Mais pour aller plus loin, nous avons préféré celle donnée par Joël Candau, à savoir la mémoire est « un système d’interrelations de mémoires individuelles » ; le groupe ne conservant que « la structure des connexions entre les diverses mémoires individuelles ». (Candau, 1996 :75)
La question qui se pose est de savoir « comment arriver à une représentation du passé acceptable par toutes les composantes d’une société » (Candau, 1996 :73), en sachant que « le point de départ est toujours constitué des désaccords sur des problèmes contemporains » (Candau, 1996 :104). Nous avons vécu ce conflit quant à la représentation de certaines réalités par rapport à trois publics : belge francophone, belge néerlandophone et congolais. La mémoire parois opère des sélections et des éliminations pour fédérer les gens. Joël Candau écrit : « Il faut voir dans la déformation apportée à l’événement mémorisé un effort d’ajustement du passé aux représentations du temps présent » (Candau, 1996 :111-112).
Pour une remise en question du Musée
Les rencontres entre les différentes cultures et l’évolution des mentalités poussent le Musée de Tervuren à opérer une rénovation constante. La question a été évoquée avec l’arrivée de nouveaux cadres comme Boris Wastiau : « Il doit sortir des tautologies de l’approche culturaliste-primitiviste et s’interroger sur le sens social des objets et sur le rôle historique et contemporain des acteurs sociaux qui les produisent, les échangent, les accumulent». (Wastiau, B., 2000 : 79) En premier lieu, il faut rejeter l’image exotique de l’Afrique, détruire une vision du monde fabriquée au cours de plusieurs siècles. La question fondamentale, selon Boris Wastiau est de savoir « pourquoi représenter l’Afrique et ses habitants dans le Musée ? » (Wastiau, B., 2000 :80) Il faut arriver à établir un véritable dialogue culturel. Il s’agit de gérer les biens culturels qui appartiennent à la fois à ceux qui les ont produits, à leurs héritiers et à ceux qui les conservent.
Le Musée organise des activités culturelles et pédagogiques pour prendre connaissances de certaines réalités africaines d’aujourd’hui et de s’interroger sur la place de l’Afrique dans le monde actuel. Des outils interactifs, des ateliers sont proposés aux écoles primaires et secondaires. 80 chercheurs se consacrent à étudier l’Afrique à travers les sciences naturelles et les sciences humaines. Il y a la voix de l’institution, mais aussi l’interprétation des scientifiques et des visiteurs. Nous avons rencontré Sabine Cornelis qui a trouvé qu’en 2005 les mentalités n’évoluent pas vite sur certains aspects : « Au fond, nous espérions avec toutes ces informations faire un peu changer les mentalités, et que, à la sortie de l’exposition, que ce soient des Européens qui aient traversé cette exposition ou des Africains, on ait au fond une espèce de démythification de cette image qu’on avait de l’autre, qu’on ait un petit peu changé son image qu’on avait de l’autre et qu’on trouve…qu’on finisse par trouver un terrain d’entente et que, avec des débats comme ceux-ci, nous puissions progresser pour vivre ensemble, et dépasser cette période coloniale ? » (Roger, A., 2008 : 91)
Entre collectionneurs et collectionnés, il faut instaurer un dialogue constructif dans le sens de l’interculturalité. Les lieux de mémoire sont des sites d’interaction entre la mémoire et l’histoire. Ils incarnent une volonté d’évocation et de conservation de traces. Mais dans le cadre de la rénovation du musée, nous nous sommes confrontés à la difficulté de recueillir les informations sur les critères de sélection des pièces qui vont « partir » et celles qui vont rester. Spontanément, le service de muséologie nous fait savoir que la pirogue va rester, mais que l’homme léopard pourrait disparaître. Au fur et à mesure que les questions deviennent plus précises, la réponse devient moins claire. Nous nous sommes aperçu nos questions dérangent un peu ceux qui s’occupent de la future mise en scène.
L’exposition de Tervuren de 2005 porte encore la mémoire de la monstration des Congolais lors des expositions universelles. Les congolais étaient « chargés d’incarner, dans divers spectacles symboliques, les bienfaits de l’œuvre coloniale. » (Jacquemin, J-P, 2011 :354). Pour arriver à la connaissance mutuelle entre Congolais et Belges, il faut un long parcours qui n’exclut pas « la persistance de ce qu’on appelle le racisme « ordinaire » ni la résurgence de vieux préjugés au moment des crises violentes qui ont secoué le Congo-Zaïre, pas plus que les montées diverses de xénophobie qui sévissent dans toute l’Europe et restent mollement combattues». (Jacquemin, J-P, 2011 :357)
D’où l’intérêt de se pencher sur les recouvrements et les décalages entre ces différents registres. La représentation du passé colonial n’est pas homogène. Elle est émaillée de tensions, de contradictions, de tentatives de légitimation, mais aussi de recherche de consensus. Loin de figer les représentations partagées par les individus, les autorités nationales font face à une complexification des jeux d’influence entre groupes porteurs de différentes mémoires. Les collections actuelles du Musée de Tervuren ne correspondent plus aux idées ni aux réalités contemporaines. Il faut sortir de la logique de stratification. La muséologie actuelle continue cependant à marquer des gens et à transmettre certains clichés au sujet de l’Afrique, de ses habitants et du passé colonial. L’enjeu se situe dans une dialectique entre l’histoire et le vécu pour arriver à une vraie mémoire. Un groupe peut se donner les mêmes repères mémoriels sans pour autant partager les mêmes représentations du passé.
Pour une co-construction sur le fond d’un héritage
Daniel Sibony constate aussi que la fraternité est toujours contextualisée. Il y a de moments qui invitent à fraterniser pour défendre un droit, par exemple. Mais une fois, le droit arraché, on revient au quotidien. Le droit à l’existence doit s’écrire dans l’histoire, se conserver et se transmettre. L’évolution du temps ne doit pas confiner la tradition aux restes « fossiles ». (Sibony, 2012 :189). Et même alors, la recherche du trésor perdu peut devenir stimulante pour construire du neuf. L’appel à construire un nouvel humanisme peut retentir fort à travers l’art congolais et toute la symbolique qui l’entoure. Symbolique dans le sens de relier la tradition à la modernité en se posant de bonnes questions et en apportant des réponses originales aux défis vécus actuellement dans l’environnement local et mondial du Congolais et du Belge. Symbolique dans le sens métaphorique tel que développé par Lakoff et Johnson. Les métaphores sont des instruments de compréhension. Leur lien avec la vérité mérite d’être étudié. Lakoff et Johnson écrivent : « La vérité nous aide à vivre et à agir» (Lakoff et Johnson, 1985 :170). L’acquisition de la vérité est fondée sur notre compréhension du monde. Or le sens d’une catégorie est lié au contexte. Donc, la compréhension exige un fondement dans l’expérience. La vérité n’est pas absolue. Elle diffère d’un système conceptuel à un autre. La prise en compte de notre corporéité dans la cognition facilite notre communication interpersonnelle, notre compréhension de soi, nos rituels, notre expérience politique et esthétique.
Le Congolais devrait arriver à des intégrations conceptuelles, des schémas conceptuels. Par conséquent, les inventions de la génération précédente doivent être enrichies par la génération suivante. Pour une bonne intelligente collective, il faut repartir les rôles socialement et savoir utiliser les artefacts et les technologies qui résolvent nos tâches externes. Par-là changer notre rapport à l’environnement. Pouvons-nous rendre compte même de manière partielle de l’hypothèse de Tomasello sur la notion d’effet cliquet : « La transmission culturelle empêche tout retour en arrière : chaque génération se développe en héritant des outils matériels et intellectuels crées par les générations antérieures » ? Une question qui déborde certes le cadre de cet article et qui interpelle non seulement tout Congolais, mais surtout les décideurs congolais. Michael Tomasello souligne le rôle fondamental, chez les humains, de l’apprentissage culturel et social s’appuyant sur le langage, la représentation symbolique et le développement symbolique dans la transmission et le maintien des acquis. (Plateau, S., 2006). Puissent ces quelques lignes féconder les réflexions pour arriver à une mémoire apaisée entre le Congolais moderne et son héritage colonial, entre l’homme de la tradition entrainé dans la dynamique de la mondialisation.
Abbé Bruno Saleh
Prêtre du diocèse de Kasongo (Maniema). chercheur en Théologie pratique, DEA en théologie et Master en information et communication. Cet article est le fruit d’une recherche sur les lieux des savoirs et des mémoires in situ au musée de Tervuren en 2012 en Belgique.