Face au FMI et à la Banque mondiale, l’Afrique sur sa faim

Malgré des aménagements institutionnels pour lui assurer une meilleure place, l’Afrique demeure frustrée sur les fronts de la dette et du changement climatique.
Les assemblées annuel les de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI) qui se sont tenues à Marrakech, au Maroc, dans la semaine du 9 au 15 octobre ont-elles accouché d’une souris ? La question est posée, car d’aucuns avancent qu’il y a eu beaucoup de paroles et peu d’actes et d’avancées concrets pour des réunions hautement symboliques, puisqu’elles étaient les premières à être organisées sur le continent depuis 50 ans.

Montrer que le FMI et la BM sont à l’écoute du continent
Quoi qu’il en soit, il n’a pas été étonnant de voir illustrer dans les mots et dans les attitudes que l’Afrique était bien au cœur des préoccupations des deux institutions de Bretton Woods. Ainsi, Kristalina Georgieva, directrice générale du Fonds monétaire international, a-t-elle indiqué l’importance qu’elle donnait à l’Afrique dans le développement de l’économie mondiale. «Un XXIe siècle prospère nécessite une Afrique prospère », a-t-elle ainsi déclaré. Ajoutant : « Si nous ne réussissons pas à construire des ponts entre le capital, concentré principalement dans le nord, et les jeunes gens qui sont concentrés principalement dans le sud-est et tout particulièrement en Afrique, nous n’y arriverons pas. »
Pour montrer qu’ils se veulent plus à l’écoute de l’Afrique, les membres du FMI ont annoncé créer un 25e siège au conseil d’administration pour un pays africain, le 3e pour l’Afrique subsaharienne dans le cadre d’une mesure qui deviendra effective dans un an. De quoi rejoindre la Banque mondiale qui a initié une décision dans la même veine dès 2014. Mais est-ce ce que les pays africains attendent à titre essentiel ?

L’épreuve des faits sur le climat et la dette
Au regard des préoccupations mises en avant par les dirigeants du continent, il semble que le compte n’y soit pas.
La première tourne autour de la dette. Regroupée au sein du G24 présidé par Adama Coulibaly, ministre ivoirien de l’Économie et des Finances, à l’instar de nombreux pays en développement, l’Afrique demande « l’annulation de la dette des pays les plus vulnérables et les plus pauvres dont la majeure partie de la dette est due aux banques multilatérales de développement et au FMI ».
Il faut dire que l’attente par l’Afrique d’initiatives concrètes en la matière est très forte, et ce d’autant que plus d’une vingtaine de pays sont confrontés ou sont tout près de basculer dans une crise de la dette. En effet, dans certains pays de la région, le service de la dette représente plus de 40 % du budget de l’État, ce qui rend difficile la réalisation de défis comme assurer un accès à l’eau potable et à l’énergie, faute de capacités d’investissement suffisantes. Ces niveaux insoutenables de dette exigent d’essayer de trouver des solutions dans des négociations de restructuration.
Problème : celles-ci s’avèrent particulièrement corsées au regard des divergences d’intérêt entre la Chine et les membres du Club de Paris, principalement composé de pays occidentaux. Ministre des Finances d’un pays emblématique en matière de surendettement, le Zambien Situmbeko Musokotwane explique alors que son pays tente de finaliser un Si vous combinez ce que l’on dépense en salaires pour nos agents publics et le service de cette dette, cela représente plus de 90 % des taxes collectées. protocole d’accord avec ses créanciers bilatéraux pour restructurer sa dette : «» De quoi illustrer l’acuité de la question.
Après la question de la dette, les pays africains sont très préoccupés par les financements liés aux défis du changement climatique qui s’ajoutent à ceux pour conjurer la pauvreté qui frappe une forte partie de la population sur le continent en raison des fragilités dues aux conflits, aux crises humanitaires et aux conséquences des déstructurations économiques auxquelles l’Afrique doit faire face. Leurs inquiétudes sont d’autant plus fortes qu’ils ont le sentiment que l’urgence financière fait réagir la communauté internationale beaucoup plus promptement pour un pays comme l’Ukraine que pour l’Afrique.

La frustration du sentiment de deux poids deux mesures
Le pays présidé par Volodymyr Zelensky n’a-t-il pas obtenu près de 20 milliards de dollars de la part de la Banque mondiale depuis le début de l’invasion russe en février 2022 ? N’a-t-il pas bénéficié fin mars de la part du Fonds monétaire international (FMI) d’un plan d’aide de 15,6 milliards de dollars, dans le cadre d’un plan plus large, impliquant notamment les pays du G7 et l’Union européenne (UE), pour un montant total de 115 milliards de dollars ?
Cela a conduit un membre d’une délégation africaine aux assemblées annuelles à Marrakech à indiquer que « tout le monde admet qu’il est important d’aider financièrement l’Ukraine mais, dans certains pays, il y a le sentiment que l’urgence est tout aussi importante chez eux sans qu’elle ne soit prise en compte de la même manière ».
Ajay Banga, président de la Banque mondiale, lors de son allocution en session plénière aux Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international à Marrakech dans la semaine du 9 au 15 octobre 2023.
Cette remarque est d’autant plus pertinente que la situation sur le continent demeure toujours tendue. La croissance du PIB par habitant de l’Afrique devant être quasiment stable entre 2015 et 2025, la Banque mondiale n’hésite pas à alerter sur le risque d’une «décennie perdue » pour le continent. De son côté, le rapport régional pour l’Afrique subsaharienne du FMI indique une croissance d’à peine plus de 3 % (3,3 %) en 2023, pour la deuxième année consécutive, avant de remonter à 4 % en 2024, alors que l’inflation demeure supérieure à 10 % dans une quinzaine de pays africains.
Autant dire que, plus que jamais, l’Afrique attend, au-delà d’autres approches plus pertinentes, que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international s’engagent avec elle sur le sentier de paradigmes nouveaux capables de changer la donne stagnante actuelle pour «un monde plus vivable où la pauvreté serait en recul », comme l’a pourtant déclaré le président de la Banque mondiale Ajay Banga dans son allocution en séance plénière lors des assemblées annuelles la semaine dernière à Marrakech.
Avec Le Point Afrique