Dans le sillage de la première Rencontre des entrepreneurs francophones organisée par le Medef, 27 patronats concrétisent leur volonté de faire plus d’affaires.
La Francophonie économique (enfin) sur les rails ? En ouverture de l’université d’été du patronat français, en août dernier, le Mouvement des entreprises de France (Medef) avait organisé à l’hippodrome de Paris-Longchamp une Rencontre des entrepreneurs francophones, avec pour objectif affiché de créer une « communauté francophone d’affaires ». Il faut dire que la prise de conscience du poids de l’espace économique francophone est réelle ces dernières années, sauf que, jusqu’ici, les patronats francophones n’avaient pas de réseau structuré. C’est désormais chose faite avec le lancement de l’Alliance des patronats francophones, regroupant 27 organisations patronales.
Une Francophonie conquérante
Et pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : les 54 pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie représentent 14 % de la population mondiale, 16 % du PIB, près de 14 % des ressources minières et énergétiques, et 20 % du commerce des marchandises. En pratique, « deux pays partageant des liens linguistiques tendent à échanger environ 65 % plus que s’ils n’en avaient pas », expliquait, déjà en 2014, Jacques Attali, auteur d’un rapport d’importance sur la question.
Huit ans après, les lignes n’ont que très peu bougé, d’où l’enjeu de rallier plus d’acteurs à la cause, comme le Medef qui possède un réseau solide. « Finalement, notre espace s’est beaucoup construit sur les questions culturelles, éducatives, politiques, mais assez peu sur la question économique », dresse comme constat Fabrice Le Saché, vice-président du Medef.
Il y a deux ans, le président sénégalais Macky Sall, invité du Medef, a secoué l’organisation patronale, en pointant le faible niveau du flux des échanges entre économies francophones. Un défi posé au Medef et aux membres de cet espace linguistique, extrêmement hétérogène réparti sur cinq continents, allant du Canada, au Laos, en passant par la République démocratique du Congo ou l’Algérie. « Il a fallu passer à l’action, dans un contexte où les pays essayent de diversifier leurs alliances et dans un monde qui est en transformation avec des tensions géopolitiques fortes », explique Fabrice Le Saché, au bout du fil, quelques jours après le lancement officiel de l’Alliance des patronats francophones, qui a eu lieu à Tunis, le 22 mars dernier.
Une étape cruciale dans un contexte où le français est sérieusement concurrencé par l’anglais, évidemment, et désormais le mandarin. Plus curieux, c’est sur le terrain où se joue l’avenir de la Francophonie, c’est-à-dire en Afrique, que cette concurrence est la plus visible. Dernièrement, le parcours du Rwanda, entré dans le Commonwealth en 2009, est observé avec grand intérêt par d’autres États, notamment le Gabon. Bien qu’il n’est pas rare de voir en Afrique, un pays adhérer à plusieurs organisations en même temps. Ces dernières années, une nouvelle langue s’est rapidement répandue, d’abord dans les programmes scolaires et de plus en plus dans le monde des affaires, c’est le mandarin, devenu quasiment un passeport recherché pour accéder à des bourses d’études pour la république populaire de Chine, ou de meilleurs emplois dans les entreprises chinoises installées sur place. Ce nouveau contexte a poussé le Medef et les autres organisations patronales francophones à tracer leur sillon.
De nombreux avantages
«En fait, la francophonie est une carte en plus et pas une carte en moins ou une carte contre une autre, ajoute-t-il. Nous pensons que c’est un avantage comparatif, voire compétitif. Par exemple, lorsqu’un appel d’offres est émis en français pour un projet d’infrastructure au Sénégal, c’est un avantage pour des entreprises marocaines, pour des entreprises ivoiriennes, malgaches, québécoises, wallonnes, françaises, etc. Il faut le souligner ».
En effet, le continent africain, en particulier, représente une opportunité, car c’est la zone géographique la plus dynamique de la francophonie en termes de démographie et de croissance. Selon l’OIF, le nombre de francophones est estimé à 300 millions à l’échelle mondiale. Ce chiffre passera à 700 millions en 2050 et à plus d’un milliard en 2065. On note que, parmi l’ensemble des locuteurs du français, 85 % seront en Afrique. Mais, «il n’y a pas de dividende linguistique automatique de la démographie», avait prévenu Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef.
«Il y a des disparités entre les économies de l’espace francophone, mais il y a aussi des points de jonction. Et à Tunis, raconte Fabrice Le Saché, nous avons été frappés par la prédominance de sujets qui préoccupent, finalement, la majorité des patronats, comme celui de la formation professionnelle, les problèmes de recrutement, les problèmes de l’inadéquation des formations et du marché du travail, souligne-t-il. En fait, quel que soit le pays ou quelles que soient les organisations, les mutations technologiques viennent frapper de la même façon toutes les entreprises, et donc la langue partagée doit devenir un facteur de facilitation de tous ces flux », déroule, celui qui est également le patron d’Aera, premier fournisseur et négociant indépendant de certificats environnementaux d’Afrique.
Parmi les terrains où se jouera le sort de la francophonie économique, il y a ceux du numérique, des financements, de la mobilité des biens et des personnes, du travail. Des domaines, sur lesquels planchent déjà des groupes de travail dédiés, mis en place par l’Alliance des patronats francophones. L’idée est «d’identifier les grands projets francophones », trace Fabrice Le Saché. « Et parmi les valeurs ajoutées de notre organisation, nous pouvons citer des débats très concrets, en tout cas dans un stade avancé, par exemple sur le partage des coûts dans le transport maritime, la libre circulation, notamment pour les francophones », complète Fabrice Le Saché, qui croit fermement aux rencontres d’affaires et échanges de visu. «Ça fait la différence ! Certains patronats, même de pays voisins, ne se voyaient pas, ou très rarement et depuis la REF, ils se voient beaucoup plus ».
Le ministre tunisien des Affaires étrangères, Othman Jerandi, a qualifié la signature de l’accord sur la création de l’Alliance d’«étape très importante», qui prépare le terrain pour l’organisation de la 18e édition du Sommet de la francophonie, prévu en novembre 2022 à Djerba, dans l’est de la Tunisie. En attendant, le grand rendez-vous donné à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Econews avec Le Point Afrique