C’est le samedi 18 septembre 2021 que la 5ème édition de la Conférence nationale sur l’énergie s’est clôturée à Lubumbashi, chef-lieu de la province du Haut-Katanga, par une série de recommandations, spécialement adressées aussi bien au Gouvernement qu’aux opérateurs miniers.
Pour le Gouvernement, la Conférence a appelé spécialement l’Etat congolais à : « réviser l’Arrêté interministériel n° 019/CAB/MINETAT- RHE/2020 et n° CAB/MIN/ FINANCES/2020/104 du 15 août 2020 portant fixation des taux des droits, taxes et redevances à percevoir à l’initiative du Ministère des Ressources Hydrauliques et Électricité; améliorer les mécanismes administratifs d’octroi d’actes réglementaires dont principalement les autorisations aux opérateurs économiques du secteur; promouvoir la recherche scientifique en renforçant la collaboration entre le Gouvernement et les chercheurs pour l’amélioration de la qualité des données sectorielles; mettre en place les mécanismes de financement de la SNEL pour améliorer son efficacité ; procéder à la planification et à l’élaboration des études des projets par l’ANSER; tenir des forums de tous les régulateurs nationaux au niveau régional ou sous régional pour envisager une harmonisation des règles sectorielles; cibler les avantages comparatifs pour saisir les meilleures opportunités pour la RDC; veiller sur la prise en compte des aspects environnementaux lors de la signature des contrats des projets énergétiques…».
Alors que l’industrie minière connaît un grand déficit en énergie électrique, la Conférence a invité les sociétés minières à : «développer les modèles économiques pour l’achat auprès des opérateurs locaux en vue de booster le secteur privé congolais; exploiter les avancées apportées par le nouveau contrat-type de concession; faire bénéficier des avantages du décret portant exonérations des projets énergétiques en phase de construction.
Présent à l’ouverture de ces travaux, Albert Yuma Mulimbi, président de la FEC (Fédération des entreprises du Congo), parrain de cette Conférence, a tendu la main aux autorités congolaises pour «co-construire dans l’intérêt bien senti de tous les acteurs des solutions efficaces et réalistes pour répondre aux enjeux du secteur » et enfin, réussir «cette longue marche vers une RDC dotée de son potentiel énergétique (…) après toutes ces années d’atermoiements».
En effet, la loi sur l’électricité de 2014 a donné aux entreprises privées la possibilité de participer à la production, à la distribution et à la vente de l’énergie du pays. Inspirée de cette libéralisation, la Fédération des Entreprises du Congo (FEC) a initié «DRC/NRJ» pour créer une plateforme de partage et d’identifier des nouvelles stratégies de croissance pour le secteur énergétique congolais. Le format de la conférence est conçu pour permettre aux délégués nationaux et internationaux d’échanger et de générer de nouvelles idées sur la manière dont le gouvernement, l’industrie et la finance peuvent travailler ensemble pour fournir une meilleure énergie et, en fin, un meilleur développement, pour tous.
La pandémie mondiale inattendue de Covid-19 a considérablement accru les défis actuels du secteur énergétique congolais et a créé de nombreux nouveaux challenges. Ces chocs économiques provoquent d’une part un ralentissement majeur des investissements et le secteur de l’énergie a été sévèrement touché. Les effets négatifs de la crise pourraient s’étendre bien au-delà de 2021. D’autre part, l’augmentation rapide de la demande d’énergie présente plusieurs défis tels que : l’augmentation des investissements adéquats ; coopération régionale; les accords commerciaux transfrontaliers, l’harmonisation de la réglementation et la nécessité de nouvelles solutions énergétiques pour assurer un développement durable.
L’objectif de la conférence était donc de trouver des solutions pour croître les investissements énergétiques en RDC et d’identifier les stratégies post-Covid-19 pour les secteurs privés.
Albert Yuma : «Le déficit énergétique aura fait perdre à la RDC 19,22 milliards Usd dans le secteur minier, à l’horizon 2025»
Nous voici ici réunis pour la cinquième édition de cette Conférence nationale sur l’énergie en RDC (DRC NRJ 5) et je tiens à féliciter les organisateurs pour la qualité de l’organisation qui nous est proposée.
Comme vous pourrez le constater à la lecture du programme, cette nouvelle édition ne faillit pas à la réputation de l’événement, tant la qualité et la diversité des panels qui sont une nouvelle fois au rendez-vous, que par les efforts toujours renouvelés pour exposer le potentiel énergétique et industriel du Grand Katanga aux différents acteurs.
Année après année, le besoin d’une telle rencontre se renouvelle. On le constate à l’appétence des acteurs du secteur, publics et je tiens à saluer et remercier la présence nombreuse des autorités politiques ce jour, tout comme celle des acteurs privés, toujours plus nombreux et toujours plus impatients de pouvoir se développer, en proposant une offre énergétique ou en en bénéficiant pour leurs projets.
D’ailleurs si je pouvais me permettre une recommandation, je crois qu’il serait opportun d’associer une troisième catégorie de participants, la Société civile. Pas celle qui bloque les projets, je vous rassure, mais celle qui représente les préoccupations des citoyens, qui devraient être les premiers bénéficiaires d’une offre stable, régulière, suffisante, accessible en énergie et qui sont donc très directement intéressés à nos échanges. N’oublions jamais que l’énergie, c’est la lumière, c’est la conservation des aliments, c’est la santé, c’est l’emploi, c’est l’éducation, en un mot, c’est le développement.
A la limite, la question qu’on pourrait se poser serait de savoir si cette affluence, cet engouement, cet engagement de la part de l’assistance est le témoignage d’une manifestation de contentement ou de frustration ?
Pour ma part, je crois pouvoir dire, qu’au jour où nous parlons, il s’agit plutôt de frustration. Celle d’acteurs qui n’ont cessé de plaidoyer depuis si longtemps pour permettre le développement du secteur énergétique sans que des résultats concrets soient venus couronner leurs efforts.
Tenez, en 2007, la FEC avait rédigé un Livre Blanc, que nous avions remis au Gouvernement en 2008, sur l’Etat des lieux de l’économie congolaise : problèmes et pistes de solutions qui plaidait déjà pour la libéralisation du secteur de l’énergie.
Plusieurs années plus tard et après avoir participé à de nombreuses rencontres avec les plus hautes autorités de l’état, les ministres sectoriels, les présidents ou commissions compétentes des deux Assemblées, le comité de pilotage pour l’amélioration du climat des affaires, le cadre permanent de concertation économique, les journées économiques et les concertations nationales, en 2014 fut adoptée la Loi relative au secteur de l’électricité et en permettant la libéralisation du secteur que nous n’avions cessé d’appeler de nos vœux.
A l’époque de l’adoption, je disais : «Nous avions proposé, pour remédier au déficit en énergie électrique dans notre pays, la finalisation du processus de la réforme du secteur électricité et eau en vue d’ouvrir le capital des sociétés exploitant actuellement dans ce secteur, aux privés qui apporteraient des capitaux frais nécessaires à leur meilleur fonctionnement. Nous sommes persuadés que l’application de cette loi va résoudre les problèmes du faible taux d’accès de la population à l’énergie électrique situé aujourd’hui à 9% et attirer, à travers des mesures de sécurisation, les investisseurs vers ces secteurs et favoriser une émergence énergétique nationale par le recours à la formule du partenariat public-privé ».
Nous aurions pu nous estimer satisfaits, mais malheureusement cette avancée majeure, nous nous en rendrons compte assez rapidement, n’a constitué qu’une étape sur notre cheminement.
Deux années plus tard, et après un intense travail de lobbying auprès du Gouvernement, deux décrets essentiels à la mise en œuvre de la Loi furent pris par le Gouvernement avec la création de l’Autorité de Régulation du secteur de l’Electricité – ARE – et l’Agence Nationale de l’Electrification et des Services Energétiques en Milieux Rural et Périurbain, ANSER.
Nous pensions une nouvelle fois être arrivés au bout de la route, ce qui n’était malheureusement pas le cas.
Il nous aura encore fallu attendre quatre années supplémentaires pour que l’ARE et l’ANSER soient opérationnels avec l’installation de leurs dirigeants en août 2020 par le Ministre d’Etat, ministre des ressources hydrauliques et électricité.
J’espère donc désormais que nous y sommes et que le potentiel immense de notre pays, tant au niveau de ses besoins, qu’au niveau de son offre puisse être enfin libéré pour le bien de tous. Pourtant, et je me fais le porte-parole de tous les entrepreneurs qui cherchent à se développer dans le secteur, il semble que rien ne se passe malgré la finalisation du cadre législatif et réglementaire. Des d’exemples m’ont été rapportés, de situations dommageables pour le pays d’autorisations non délivrées alors que tout semble place pour lancer des projets utiles à notre économie.
Je vous le demande, mettez tout en œuvre, pour qu’une initiative salutaire pour le pays lancée en 2014 par le Parlement, indispensable à son développement, attendue par tous, ne soit pas inexorablement bloquée par des comportements inappropriés.
Car le manque à gagner est immense pour le pays.
Lors de la troisième édition de la conférence sur l’énergie en 2019, il avait été démontré que le déficit énergétique aura fait perdre à la RDC entre 2014 et 2025 19,22 milliards de dollars à l’horizon 2025 rien que dans le secteur minier, en développement de nouveaux projets, en renforcement de projets existants, mais aussi en perte de valeur pour le pays.
Je voudrais donner un exemple qui d’ailleurs n’avait probablement pas été pris en compte à l’époque, KAMOA. Vous aurez sans doute noté que l’entreprise a obtenu un moratoire de 10 années pour exporter ses concentrés hors de RDC où sont localisés les acheteurs, qui les traiteront localement. Une des raisons avancées, est le manque d’Energie pour développer une fonderie locale suffisamment importante pour pouvoir traiter tous ces concentrés.
L’Etat et la Nation tout entière perdent au moins trois fois d’une telle situation. Une première avec la valeur commerciale des exportations qui est inférieure à celle des produits finis et qui entraine des revenus moins importants pour l’Etat, mais suffisamment intéressants pour les partenaires qui transportent ces concentrés et les traitent dans leur pays. Une seconde avec la perte du processus de transformation locale qui créé de l’emploi et de l’activité économique et une troisième avec l’énergie qui pourrait être produite localement et qui n’est pas vendue. Il y en aurait probablement une quatrième qui est l’impossibilité de transformer localement les métaux produits finis, en produits à valeur ajoutée, mais c’est plus un gain potentiel qu’un gain direct.
De la même manière dans KICO – dont GECAMINES est l’actionnaire – nous cherchons avec notre partenaire depuis 2018 à développer une production de métaux locaux, notamment le zinc, mais l’argument du manque d’énergie nous est toujours opposé.
Et évidemment, il n’y a pas que les mines, il y a aussi l’industrie, l’agro-industrie et tous les secteurs économiques, dont l’énergie est un facteur de production essentiel.
A cette cinquième édition de la «DRC NRJ 5 », il sera cette fois-ci question de démontrer qu’au-delà du déficit énergétique qui caractérise le secteur et qui obère son développement, il faut y ajouter le problème de qualité de fourniture de l’énergie, et son corollaire financier.
En effet, nos opérateurs subissent non seulement le manque d’énergie, mais aussi, quand ils en bénéficient, cette énergie peut être de mauvaise qualité dans le réseau sud notamment, due aux actes de vandalisme commis sur les lignes par les inciviques et le manque d’application de la maintenance préventive dans le réseau.
Les sociétés minières subissent cela de plein fouet avec des arrêts intempestifs de leur production et les surcoûts attachés. Mais il faut également penser aux populations qui sont en général les dernières desservies sur les lignes. Comment peut-on tolérer qu’au manque d’électricité récurrent, on leur fasse en plus subir des coupures régulières qui les empêchent de vivre paisiblement et cela en raison soit de l’incivisme de certains, soit de l’incurie d’autres, deux problèmes qui devraient pouvoir être réglés.
Notre objectif cette année – au cours de cette nouvelle édition – sera donc de témoigner tant auprès des décideurs que des investisseurs, de l’urgence d’agir le plutôt possible et dans le développement des nouvelles capacités, et dans la fiabilisation de la qualité de fourniture de l’électricité.
Cette analyse est basée sur les indisponibilités d’énergie dans le secteur minier durant le trois dernier mois, juin, juillet et août 2021, qui ont été caractérisés par une altération de l’offre énergétique moyennes inférieure de 25% par mois, soit dans le secteur 180 heures de coupure sur 720 heures du mois.
Avec un besoin de 1.300 MW correspondant à 748.000 MWh par mois, les indisponibilités par mois ont représenté 185.000 MWh de manque, soit 325 MW non disponibilisés.
Sachant que un (1) MW génère 4,7 millions de dollars par an, si la tendance actuelle demeurait la même pendant une année, la RDC perdrait 1,5 milliards de dollars par an, dans une analyse purement statique par ailleurs. C’est donc un manque à gagner, une perte, à laquelle la République, vous en conviendrez tous, devrait échapper.
Quels sont les axes sur lesquels nous attirons votre attention ? Quels sont ceux qui brident la capacité d’investissement dans le secteur et sur lesquels nous souhaiterions que vous puissiez prendre des actes de nature à libéraliser le secteur pour qu’enfin, nous ayons une offre énergétique en rapport avec notre pays continent.
Premier axe de progrès la fiscalité.
Nous ne comprenons pas la hauteur des taux des droits, taxes et redevances à percevoir qui ont été fixés par l’Arrêté interministériel n°019/CAB/MINETAT-RHE/2020 et n°CAB/MIN/FINANCES/2020/104 du 15 août 2020 à l’initiative du ministère des Ressources Hydrauliques et Electricité.
Il s’agit d’une industrie naissante. Nous connaissons tous les difficultés budgétaires de l’Etat, mais il ne faut pas briser la dynamique à l’œuvre dans une phase de ramp-up. Prenez le code minier de 2002 – heureusement rectifié en 2018 sur lequel il y avait beaucoup à dire – mais sa réussite principale aura été de permettre le développement de l’industrie grâce à une fiscalité attractive Il est désormais temps que ces investissements profitent à tous, ce qui n’a pas été le cas excepté pour les investisseurs, et c’est l’objet du code révisé de 2018.
Si les opérateurs qui rentrent dans ce nouveau marché – qui n’est pas encore mature il faut le rappeler– se voient appliquer une fiscalité de marché mature, il est fort à craindre qu’ils ne soient découragés. Je rappelle que si la demande est connue pour l’industrie minière, la solvabilité de toute une classe de consommateurs n’est pas encore avérée et le modèle est à développer. Il est donc à craindre que cette fiscalité dissuasive ne permette pas l’émergence d’une offre élargie à tous les consommateurs.
Nous souhaiterions donc engager des discussions pour adapter cette fiscalité à la situation du marché pendant sa phase de démarrage et la réévaluer ensuite.
Autre motif d’incompréhension, la nécessaire publicité et les mécanismes de publicité d’appels d’offres imposés aux investisseurs. Ces mécanismes sont également des freins au développement de projets intégrés. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un marché mature et les investisseurs souhaitent pouvoir proposer des solutions qu’ils maitrisent.
Ne mettons pas la charrue avant les bœufs sur ces questions, nous pourrons toujours faire une évaluation dans quelques années du système, mais la priorité c’est la fourniture d’énergie qui est principalement renouvelable. Nous ne sommes pas dans le secteur minier où ce qui est extrait, est non renouvelable. Nous avons ici, notamment pour l’hydroélectricité, le choix de faire évoluer nos politiques sans que le passé ne soit irréversible. Il serait donc nécessaire de réfléchir à des processus plus adaptés au développement de cette industrie.
Par ailleurs, nous souhaiterions également des améliorations dans les secteurs suivants :
- Une amélioration du fonctionnement de l’Autorité de régulation du secteur de l’électricité (ARE) et de l’Agence nationale des services énergétiques dans les milieux rural et périurbain (ANSER) grâce notamment à une meilleure représentation de leurs représentations dans les provinces à fort développement des projets énergétiques. Cela permettrait sans aucun doute un meilleur suivi et un meilleur traitement des dossiers.
- Une accélération dans la délivrance des documents administratifs et des autorisations aux opérateurs économiques, car il est difficilement concevable que des investisseurs qui viennent prendre des risques souffrent de temps de traitement de leur dossier sans commune mesure avec le temps nécessaire à la décision administrative.
- Nous militons pour l’adoption d’une grille tarifaire concertée avec les opérateurs du secteur ;
- Nous souhaiterions une meilleure coopération d’affaires entre les sociétés locales œuvrant dans le secteur de l’énergie et les sociétés minières établies en RDC pour conclure des contrats d’achat d’électricité ;
S’agissant enfin de la sécurité, nous demandons aux autorités compétentes de prendre les mesures qui s’imposent pour remédier à cette situation inacceptable où le peu d’énergie dont les opérateurs disposent est vandalisé et soustrait à la production, ce qui impacte tout le monde négativement, sans exception.
Je vous souhaite d’excellents travaux. Je vous souhaite et vous recommande de valoriser au mieux le temps de présence parmi nous de si nombreuses autorités ministérielles et leurs conseillers, que je remercie à nouveau de nous avoir fait l’honneur de leur venue, pour co-construire dans l’intérêt bien senti de tous les acteurs des solutions efficaces et réalistes pour répondre aux enjeux du secteur et qu’enfin, cette longue marche vers une RDC dotée de son potentiel énergétique, puisse enfin passer après toutes ces années d’atermoiements en mode opérationnel.
Lubumbashi, le 17 septembre 2021
Albert Yuma Mulimbi
Président de la FEC