Entre le Gouvernement de Kinshasa et la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco), les relations se tendent et se distendent au gré des évolutions non seulement sécuritaires, mais aussi des enjeux majeurs de politique intérieure, à l’approche des échéances électorales du 20 décembre 2023, dont la présidentielle qui cristallise toutes les passions au sein de la classe politique. Le dernier signe d’apaisement est la déclaration de Christophe Lutundula, vice-Premier ministre (VPM) en charge des Affaires étrangères, qui, répondant à RFI, a déclaré qu’un départ échelonné n’est pas de la précipitation. Surtout, Christophe Lutundula rassure : «La Monusco que l’on croyait sur le départ prendrait bel et bien part au processus électoral « avant, pendant et après les scrutins». Que veut réellement Kinshasa ? Entre le gouvernement congolais et la Monusco, c’est désormais le jeu du chat et de la souris.
Dans sa correspondance adressée au Conseil de sécurité de l’ONU, le vice-premier ministre et ministre congolais des affaires étrangères, Christophe Lutundula, invitait l’instance onusienne à accélérer à la fin de l’année en cours le retrait du territoire de la force de la Monusco présente dans le pays depuis bientôt 25 ans.
Dans la lettre de six (6) pages, Kinshasa réitérait l’option d’accélérer et d’avancer «le retrait accéléré et échelonné, responsable et durable» de la Monusco, conformément au plan de transition convenu entre les eux parties en 2018 et adopté en 2021.
A l’appui de son argumentaire, Christophe Lutundula évoquait la position exprimée par le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui dressait un bilan désastreux de la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC après 25 ans d’une présence continue à travers la Monuc, puis la Monusco. Il admettait par ailleurs une détérioration considérable de la situation humanitaire.
Les relations régionales mouvantes, la résurgence du M23 au Nord-Kivu où les rebelles soutenus par le Rwanda ont installé des administrations parallèles sous le regard impuissant de la Monusco incapable de remplir son mandat de protection des populations civiles.
Le chef de la diplomatie congolaise évoquait dès lors une rupture de confiance entre la force onusienne et les habitants de l’Ituri et du Nord-Kivu débouchant sur des tensions dont la plus récente est la marche projetée contre sa présence et qui s’est soldée par une cinquantaine de morts.
Selon le gouvernement congolais, la perte de crédibilité et de confiance a abouti à la disqualification de la Mission, la Monusco étant devenue un problème et non une solution à la crise. Attitude aggravée par son apathie à assurer l’aboutissement des processus de Luanda et de Nairobi, favorisant indirectement l’ancrage du M23 dans une partie de la province du Nord-Kivu.
L’on se souvient que la position du gouvernement avait entraîné une réaction du directeur politique de la Monusco et qui avait failli déboucher sur une crise diplomatique entre Kinshasa et les Nations Unies.
François Grignon déclarait alors qu’un départ de la Monusco créerait «un vide sécuritaire» qui aurait préjudicié les populations des zones en conflit. Ce qui avait suscité une levée de boucliers des autorités gouvernementales qui reprochaient à «un fonctionnaire» son toupet d’oser répondre à une correspondance adressée à l’instance faîtière des Nations Unies.
COUP DE THÉÂTRE
Pourtant, dans une volte-face inattendue, le ministre congolais des Affaires étrangères, interrogé par RFI, annonce que «la MONUSCO va assurer l’accompagnement du processus électoral». Laissant entendre que «le départ accéléré» n’est apparemment pas à l’ordre du jour immédiat car les casques bleus seraient impliqués dans le processus «avant, pendant et après les élections».
Le revirement de Kinshasa vient prendre à contrepied la déclaration de l’opposant Moïse Katumbi, candidat déclaré à l’élection présidentielle et selon laquelle en exigeant le «départ précipité» de la MONUSCO, le gouvernement chercherait à éloigner un témoin gênant face aux multiples violations des droits de l’homme et des immanquables dysfonctionnements du processus électoral.
L’embellie dans les relations entre le gouvernement et la MONUSCO laisse pendante une interrogation capitale : le nouveau départ ne précise pas si la force onusienne sera amenée à engager des opérations contre le M23 et les autres armées ou si elle devrait se concentrer sur le seul processus électoral.
Christophe Lutundula sur RFI : la Monusco va assurer «l’accompagnement du processus électoral»
Au Congo Kinshasa, le pouvoir et l’opposition polémiquent sur le calendrier de retrait des Casques bleus. Le Président Tshisekedi demande à la Monusco d’accélérer son départ, alors que l’opposant Moïse Katumbi accuse les autorités de vouloir se débarrasser d’un témoin gênant avant les élections du 20 décembre. Qu’en est-il réellement ? Christophe Lutundula est Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Congo. En ligne de Kinshasa, il annonce sur RFI que le pouvoir compte sur les Casques bleus pour sécuriser les élections de décembre. Il est au micro de Christophe Boisbouvier.
Christophe Lutundula, vous avez écrit au Conseil de sécurité pour lui demander d’accélérer le retrait des Casques bleus de votre pays. Pourquoi manifestez-vous tant d’impatience ?
Je pense qu’il n’y a pas d’impatience. Et comme le constate, avec beaucoup de sincérité, le Secrétaire général des Nations unies, la situation ne fait que se dégrader. La tension ne baisse pas, particulièrement au Nord-Kivu. Le nombre de Congolais qui sont soumis aux déplacements forcés est aujourd’hui d’environ quatre millions. Et comme le dit aussi le secrétaire général lui-même, la Monusco, depuis 25 ans, a démontré ses limites de fond et de forme. Et donc, nous avons estimé que, comme nous l’avons dit l’année dernière, il faudra absolument accélérer le retrait, ce qui ne signifie pas le précipiter, il n’y a pas de précipitation, il ne faut pas non plus retarder inutilement le retrait au grand détriment du peuple congolais, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la RDC.
Vous dites : « pas de précipitation ». Du côté de New York et du chef des Casques bleus, Jean-Pierre Lacroix, on dit que des centaines de milliers de Congolais sont protégés presque exclusivement par la Monusco, exemple à Djugu dans l’Ituri, et que le vide sécuritaire leur serait fatal. Est-ce qu’il ne faut pas un retrait graduel ?
Mais j’ai parlé d’entrée de jeu de retrait responsable, ordonné, progressif et réussi. Et on ne peut pas avoir ce retrait si on ne le prépare pas, si on n’intègre pas les aspirations profondes des Congolais – pour lesquels la Monusco a eu la mission première d’assurer la protection, qui ne l’est pas aujourd’hui. Je n’ai pas besoin de démonstration particulière : il y a Kishishe, il y a d’autres localités, qui ont connu des massacres qui ont porté l’horreur à son comble alors que la Monusco était là.
Du côté de l’opposition, le mouvement Ensemble pour la République de Moïse Katumbi vous accuse de vouloir vous débarrasser de la Monusco comme d’un témoin gênant, au moment où les violations des droits de l’Homme se multiplient dans votre pays.
C’est que l’opposition ignore délibérément que dans la programmation du retrait, nous avons déjà un plan de transition, et nous avons retenu, parmi les piliers prioritaires, la sécurité des populations et le processus électoral – dans sa sécurisation, comme dans son appui logistique. Et donc, s’agissant des élections, c’est un faux débat, c’est du mensonge. La Monusco a un travail à faire, et il n’y a pas longtemps, le département des affaires politiques des Nations unies est arrivé ici, il y a à peu près cinq-six mois.
Il y a un plan de travail qui a été convenu avec la Céni, impliquant totalement la Monusco. Donc tout cela, c’est du bluff, ce n’est pas la vérité.
Donc, la Monusco ne partira pas avant les élections du 20 décembre ?
Le retrait est progressif et la Monusco a un travail, c’est l’accompagnement du processus électoral.
L’accompagnement du processus électoral jusqu’au jour du vote, jusqu’au 20 décembre ?
Mais le processus électoral implique les opérations pré-électorales, électorales, et quelque part, post-électorales. La Monusco est là, mais nous disons qu’à la fin de cette année, il faut que le retrait au moins commence.
Monsieur le Vice-Premier ministre, après le Mali, le Burkina, la Guinée, le Niger, voici le Gabon qui est frappé à son tour par un coup d’État militaire. Quelle est votre réaction ?
Nous avons connu les années 90 qui correspondaient au renouveau démocratique en Afrique. Pour nous, la RDC, il n’est pas question de remettre en cause cette révolution démocratique, donc nous sommes fidèles à la position de l’Union africaine, avec toutes les sanctions que l’Union impose. S’agissant de notre région, l’Afrique centrale, nous adhérons totalement à la position qui a été prise par les chefs d’État et de gouvernement lors de la réunion qui s’est tenue en Guinée équatoriale sous la présidence du doyen Obiang Nguema Mbasogo. Ce qu’on fait maintenant, c’est le travail qui a été confié au président Touadéra, c’est de consulter toutes les parties gabonaises concernées, de manière à avoir un schéma de transition rapide, qui permette le retour à la normalité républicaine.
Quand vous dites un schéma de transition rapide, c’est combien de temps ?
J’ai cru entendre que le Premier ministre, qui vient d’être nommé hier, avait indiqué 24 mois, c’est-à-dire deux ans. C’est évidemment aux Gabonais eux-mêmes, plus que quiconque, qu’il appartient de savoir ce qu’ils veulent et de nous donner les indications qu’il faut. En tout cas, nous faisons confiance à notre émissaire, l’émissaire de la communauté, le président Touadéra, et nous espérons qu’il se dégagera un consensus des Gabonais autour de la durée. Si les Gabonais disent deux ans, nous allons prendre acte.
Propos recueillis par Christophe Boisbouvier (RFI)
Econews