Les décennies qui se sont écoulées depuis la conférence de Berlin de 1885 ne semblent pas avoir modifié grand-chose au statut d’État-comptoir attribué à l’actuelle République Démocratique du Congo (RDC) par les plénipotentiaires réunis alors dans la capitale allemande autour du chancelier Otto Von Bismarck. Du point de vue des Occidentaux, tout se passe comme si, 137 ans après, le bassin du Congo était toujours resté une « res nullius », un bien sans maître confiné dans la vocation de pourvoyeur des industries du Nord en matières premières sans contrepartie.
Le Grand Kivu et la province de l’Ituri ont été pendant longtemps des territoires agricoles, pastoraux et touristiques qui se développaient pacifiquement. Jusqu’à l’explosion du développement des sciences de l’information et de la communication et à la course effrénée consécutive aux nouveaux métaux rares indispensables au développement de l’industrie électronique et numérique.
Dans l’hémisphère Nord de la planète, la plupart des puissances ne se sont guère embarrassées des principes du droit international pour se hisser au diapason de cette transition technologique. Certaines d’entre elles s’évertuent à créer les conditions idoines pour se ménager de confortables réserves de ces minerais (coltan, lithium etc.) même au prix de la déstabilisation de la partie du monde qui en était le plus gorgée, en l’occurrence le Grand Kivu et l’Ituri. C’est le sens du bouleversement géostratégique qu’ils tentent d’imposer dans la région des Grands Lacs africains par lequel passe le curseur de la sous-traitance occidentale depuis le Zaïre de Mobutu grâce aux nouvelles têtes de pont que sont devenues les principautés militaires rwandaises et ougandaises depuis le début des années 90.
Stratégies de mainmise sur l’Est de la RDC
Diverses approches stratégiques et tactiques visant à assurer la mainmise des firmes occidentales du numérique et de la technologie de pointe sur le Congo ont été expérimentées, y compris le démembrement de pans entiers de cet État africain décrété sur on ne sait quelle base «trop grand pour être dirigé à partir de Kinshasa» par des chroniqueurs comme Peter Pham du think tank américain Atlantic Council que l’administration américaine de Donald Trump a eu le toupet de désigner un moment comme Envoyé spécial pour la région des Grands Lacs, confirmant ainsi les suspicions de Patrice-Emery Lumumba qui dès l’aube de l’accession du Congo à la souveraineté nationale et internationale avait mis ses compatriotes en garde contre les projets de balkanisation du pays caressés par l’ancienne métropole coloniale belge et ses alliés occidentaux.
Le père de l’indépendance congolaise qui venait de rafler la majorité parlementaire aux premières élections démocratiques organisées en RDC luttait alors avec son bloc nationaliste contre la scission du Katanga minier à laquelle s’affairaient un quarteron de néocolonialistes belges et américains dont les idées suprématistes semblent avoir traversé les soixante dernières années. C’est la seule justification plausible du paradoxe d’un pays «scandale géologique», mais classé au deuxième rang des pays les plus pauvres de la planète dans lequel la RDC est délibérément maintenue.
C’est par cette grille de lecture que l’on peut appréhender le fait qu’un pays comme le Rwanda du président Paul Kagamé ait pu être nanti de moyens militaires et logistiques au-delà de ses capacités propres, qui lui permettent depuis un quart de siècle de tenir la dragée haute au Congo-Kinshasa dont les moyens de défense sont réduits à la portion congrue grâce à des restrictions cyniques imposées par un système onusien totalement contrôlé par les mêmes suprématistes occidentaux.
La malédiction des minerais
Qu’il s’agisse de Simon Kimbangu, Patrice-Emery Lumumba, Joseph Kasa-Vubu, Mobutu Sese Seko, Laurent-Désiré Kabila ou Joseph Kabila Kabange hier, ou de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo aujourd’hui, ou encore des dirigeants à venir du grand Congo, toute velléité émancipatrice de la RDC est manifestement vouée à se fracasser sur ces pesanteurs géostratégiques que quelques analystes attribuent à une prétendue «malédiction des minerais».
Jusqu’à ce jour, les Congolais sont parvenus, bon an, mal an, à faire échec à cette prédiction pessimiste et à préserver la survie et l’intégrité territoriale de leur pays maintes fois remises en cause en exprimant massivement leur refus catégorique de voir ce «don béni» de leurs aïeux être taillé en pièces par qui que ce soit. Les «rébellions» congolaises initiées via le Rwanda et l’Ouganda dans la deuxième moitié des années 1990 par des officines néolibérales occidentales désireuses de désintégrer la RDC n’ont pu réaliser ce funeste dessein que grâce à cette ferme volonté des Congolais de tous bords de ne pas prêter le flanc à la dislocation de leur pays.
Au-delà des barricades des particularismes communautaires et des querelles philosophiques et idéologiques, c’est in fine le front patriotique qui a permis à la nation congolaise de réussir un spectaculaire rebond chaque fois que les adeptes de la balkanisation l’avaient mis à genoux et semblaient prendre le dessus. Les acteurs politiques et autres leaders d’opinions congolais qui, obnubilés par des prébendes que les ennemis du Congo leur distribuent, croient et font croire en la «générosité » du Rwanda de Paul Kagame et de ses complices pour leurs compatriotes victimes d’un prétendu «déficit de gouvernance» de Kinshasa découvrirons bientôt qu’il s’agit d’une répétition de l’histoire qui nécessite le même réflexe de cohésion nationale.
Silence assourdissants des Congolais manipulés
Depuis la résurgence de l’agression rwandaise par le biais fictif du M23, certains Congolais manipulés par divers milieux d’influence qui financent les agresseurs de leur pays s’illustrent par un silence assourdissant qu’ils ne rompent que lorsqu’il s’agit de profiter de la désolation ainsi occasionnée pour tirer à hue et à dia sur les institutions en charge de la défense et de la sécurité nationales.
Qui a entendu Moïse Katumbi et ses affidés lever le ton contre l’agression et les prédations que subit la RDC ? Même le «lumumbiste» Franck Diongo, qui se gargarise du titre de «chercheur sur des questions sécuritaires de l’Est de la RDC» a, après avoir disserté le 28 octobre passé au cours d’un point de presse autour d’un plan pusillanime de sortie de crise, remis une couche, 48 heures plus tard, en qualifiant le Président Félix Tshisekedi de «véritable agent de l’exécution de la balkanisation du Congo».
Le Chef de l’État congolais serait coupable à ses yeux d’avoir seulement expulsé l’ambassadeur rwandais Vincent Karega au lieu de déclarer carrément la guerre au Rwanda comme s’il suffisait de céder à la rodomontade ambiante en déclarant la guerre à un assaillant par procuration pour la gagner…
La même antienne avait été embouchée par certains autres opposants, à l’instar d’Alain Bolodjwa, qui ne trouvent pas mieux que de profiter de la situation défavorable pour se propulser sous les feux de la rampe dans l’espoir futile de se mettre en valeur aux yeux des masses congolaises excédées par les agressions subies de manière incessantes depuis plus de 25 ans.
Fayulu, un pas en avant un pas en arrière
Martin Fayulu, inconsolable depuis son échec à l’élection présidentielle de décembre 2018, a nagé dans les mêmes eaux troubles sur les antennes de RFI et de France 24 lorsque, répondant aux questions de Christophe Boisbouvier et de Marc Perelman, il avait attribué la dernière escalade militaire des suppôts rwandais du M23 au pouvoir à Kinshasa (sic !). Avant de revenir à la raison le 30 décembre par une déclaration sur son compte twitter unanimement saluée par les internautes congolais dans laquelle il a affirmé que «la gravité de l’agression de la RDC par le Rwanda exige un réveil patriotique urgent, l’unité de la classe politique congolaise sur ce sujet et des sanctions immédiates de la communauté internationale à l’encontre du Rwanda comme c’est le cas en Ukraine». Dont acte.
Quelques heures plus tôt, c’était au tour de l’ancien 1er ministre Adolphe Muzito de se fendre d’un plan de sortie de crise en dix recommandations, dont le point d’orgue est, selon ce leader de Lamuka, de «mobiliser le peuple contre cette guerre d’agression rwandaise sur toute l’étendue du territoire national pour barrer la route à l’occupation».
Il appert de plus en plus clairement que hormis une poignée de concitoyens à la loyauté partagée entre le Congo et d’autres entités étatiques, une sorte d’union sacrée contre l’agression rédhibitoire rwandaise qui étouffe le Congo depuis plus de 25 ans et qu’il ne viendrait à aucun observateur objectif l’idée d’attribuer la paternité au président Félix-Antoine Tshisekedi qui ne préside aux destinées de ce pays que depuis un peu plus de trois ans aujourd’hui, pas plus qu’elle n’a été le fait de l’ancien président Mobutu Sese Seko et de ses successeurs Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila Kabange.
A cet effet, l’occasion est propice pour les Congolais, à quelque chapelle qu’ils appartiennent, de se ranger derrière l’actuel garant de l’unité nationale et du bon fonctionnement des institutions pour faire front contre tous les agresseurs, et maintenir au zénith nos forces de défense et de sécurité qui pourraient, de la sorte, se battre avec la conscience d’avoir toute la nation derrière elles. Faute d’un tel sursaut patriotique, il deviendra de plus en plus laborieux pour notre pays de sauver son intégrité territoriale menacée par une myriade de sangsues sans foi ni lois dont les ramifications s’étendent depuis l’hémisphère Nord de la planète jusqu’aux frontières orientales de notre pays.
Lambert Mende Omalanga
Député national