C’est peu de dire que les « objectifs de développement durable sur l’eau et l’assainissement » sont loin d’être atteints. Il est urgent de les reprioriser.
Publié en mars de cette année par «UN Water», le rapport qui pointe l’état d’avancement des «Objectifs de développement durable sur l’eau et l’assainissement » (ODD 6) mérite plus qu’un simple commentaire dans un média spécialisé. Il nous interpelle sur l’écart croissant du discours aux actes et tente d’alerter sur le sujet négligé de l’accès à l’eau.
Le court terme s’est imposé malgré la dimension vitale de l’eau
La pandémie de Covid-19 a remisé au second plan – au mieux – les réalités de terrain et l’impérieux besoin de remettre cet accès à l’eau potable et à l’assainissement à la place qui est la sienne puisque vitale par essence. Obnubilés par des effets instantanés de peurs, les politiques de tous bords placent la vaccination en toute priorité et tous azimuts.
Il est vrai que socialement la maladie génère par son degré d’incertitudes et d’absence d’issue certaine, visible, bornée dans le temps, un niveau de doute que beaucoup ne sont plus prêts à supporter. De même, économiquement, la pandémie a bouleversé nos modèles de croissance et les organisations de cycles économiques bien rodés depuis cinquante ans.
Les priorités des agendas ont été profondément revues, les budgets aussi, et le court terme s’est imposé quasi naturellement dans une forme d’indifférence qui questionne sur notre sens des responsabilités vis-à-vis des générations plus jeunes.
Pourtant, bien au-delà du rôle premier de l’eau et de son accès à tous dans la lutte contre cette terrible pandémie, l’accès à une eau saine tient une place essentielle dans le développement économique, une place vertueuse ; et la gestion équilibrée et durable de l’eau est un vecteur clé dans les équilibres mondiaux et le développement durable.
Des enjeux humains évidents, renforcés par la crise sanitaire
Développer l’accès à un eau de qualité, promouvoir un assainissement des eaux usées et améliorer ainsi l’hygiène est crucial pour contenir la propagation du Covid-19 et d’autres maladies. En 2021, 40 % de la population ne dispose pas d’une installation de base avec eau et savon à la maison, ce qui signifie que trois milliards de personnes ne peuvent pas se laver les mains correctement. 25 % des établissements de santé dans le monde ne disposent pas d’un accès stabilisé à l’eau, et 60% des mêmes établissements ne disposent ni d’eau courante, ni de savon, ni de solution hydroalcoolique (chiffres 2016). 47 % des écoles dans le monde ne disposent pas d’installations pour le lavage des mains avec eau et savon.
Ces chiffres, déjà alarmants en eux-mêmes, masquent pourtant des disparités régionales très fortes retrouvées dans les statistiques sanitaires : 75 % de la population en Afrique subsaharienne ne dispose pas d’installations pour se laver les mains à la maison, 72 % pour l’ensemble des Pays les moins avancés (PMA) «contre seulement» 40 % à l’échelle mondiale. Une forêt de chiffres… et des réalités oubliées. L’Afrique paye le plus lourd tribut.
Pour résumer ce point critique en un seul indicateur, évoquons le taux de mortalité infanto-juvénile de 76 pour mille en Afrique subsaharienne, de 63 pour mille pour l’ensemble des PMA, mais de «seulement» 7.000 pour les pays de l’OCDE : voilà qui donne une idée de l’enjeu et des efforts ! Et de ce qui nous sépare du Nord au Sud, sans aucune équité…
Des intentions affirmées et répétées
Les liens entre accès à l’eau et amélioration des conditions d’hygiène et de santé et développement économique, entre amélioration de l’environnement et attractivité territoriale sont maintenant devenus évidents et ne font plus aucun doute chez la plupart des acteurs du développement. Dans de nombreux pays, en Afrique(s) comme ailleurs, le développement de l’accès à l’eau est annoncé comme étant au cœur du développement de ces pays; dans la plupart des pays développés, et chez toutes les institutions de développement, ce même accès à l’eau est souvent placé au cœur des stratégies.
C’est ce qui transparaît clairement des «plans nationaux de développement stratégique», ces fameux plans d’avenir de nombreux pays élaborés à l’échelle nationale et soutenus par les bailleurs de fonds.
L’eau est à la base du développement humain, économique et du développement durable, triptyque vertueux de la croissance inclusive : plusieurs études soulignent le lien entre faiblesse du secteur des services essentiels de l’eau et de l’assainissement et leurs impacts sur les conditions de santé, d’éducation et le surcoût humain engendré pour la population.
Sur ce point, l’indicateur pertinent est celui du le temps passé – essentiellement par les jeunes filles – aux corvées d’eau, temps gaspillé au détriment de l’accès à l’éducation de base et au développement humain et qui ne se réduit toujours pas.
Des enjeux géopolitiques et de développement durable
Plus de 60 % des flux d’eau douce dans le monde sont produits par des bassins transfrontaliers, rendant incontournable la coopération internationale sur ces eaux. Changement climatique croissant et aggravation des stress hydriques dans de nombreuses régions menacent les progrès en faveur du développement durable et augmente leur vulnérabilité.
Disons-le : force est de constater que malgré l’importance des enjeux, malgré les intentions et les annonces effrénées, au rythme actuel, ce n’est qu’au XXIIIe siècle – au mieux – que les objectifs de développement durable en matière d’accès à l’eau potable pourront être atteints en l’état connu des prévisions.
Aujourd’hui, au XXIe siècle, 30 % de la population mondiale manque toujours d’accès à ce service vital et il faudrait multiplier par 4 les financements sur ces secteurs d’ici 2050 pour atteindre l’objectif d’un accès universel et équitable à l’eau potable.
Aujourd’hui, ce sont 55% des habitants de notre planète qui n’ont pas accès à des infrastructures d’assainissement et 80 % des eaux usées qui restent déversées sans traitement dans notre environnement, rivières, mers, sous-sols. Voulons-nous rester aveugles et sourds aux conséquences déjà présentes ?
Où allons-nous ?
Malgré ces enjeux et les intentions annoncées, les engagements de l’aide publique au développement consacrée au secteur de l’eau ont chuté ces dernières années après avoir constamment et significativement augmenté jusqu’à l’adoption en 2015 par les Nations unies de ces objectifs : ceux-ci sont passés de 6 à 13 milliards de dollars US entre 2000 et 2015.
La France, a par exemple, fait évoluer ses priorités pour l’APD en 2018 autour de la stabilité internationale, du climat, de l’éducation, de l’égalité femmes-hommes et de la santé… l’eau et l’accès à l’eau n’en font plus partie en tant que tels !
Déjà, en 2017, l’ONU alertait : «Les pays ne parviendront pas à atteindre les objectifs mondiaux consistant à garantir un accès universel à l’eau potable et à l’assainissement à moins que des mesures ne soient prises pour utiliser les ressources financières de manière plus efficace et redoubler d’efforts en vue d’identifier de nouvelles sources de financement ».
La Banque mondiale estimait (en 2017) que « pour atteindre les cibles mondiales des ODD, les investissements pour les infrastructures doivent tripler et atteindre 114 milliards de dollars US par an, chiffre qui n’inclut pas les coûts de fonctionnement et d’entretien ». Alors oui, nous en sommes loin quatre ans plus tard.
Une date s’impose : mars 2023
Face à cette situation, une date s’impose à nous et ne peut être manquée : mars 2023. La conférence internationale sur l’eau qui se tiendra sous l’égide des Nations unies va sonner comme un rappel incontournable à la tenue des engagements pris par les États.
Maintenant que les enjeux sont bien connus et partagés, les chiffres connus et non contestés, il est largement temps de placer le sujet du développement de l’accès à l’eau et à l’assainissement au cœur des priorités de développement en Afrique (s) et dans les pays émergents, et hors compétition.
Devant ! Mobilisons une véritable « énergie d’avenir » qui soit celle de nous réconcilier sur la vraie priorité. La nôtre à tous, universellement partagée.
Patrice Fonlladosa (Président du think tank (Re)sources, ancien président Afrique du Medef International)
Rémi Bourgarel (Membre du think tank (Re)sources, président de Services For Environment)