Vive tension observée dans certaines parties de Kinshasa samedi 20 mai, particulièrement à Kianza (municipalité de Lemba), point de départ de la marche de protestation à l’appel des quatre leaders de l’opposition Katumbi-Matata-Sessanga-Fayulu, a été le théâtre d’une violente répression policière lors de la dispersion des sympathisants accourus sur les lieux dès les premières heures de la matinée. Bilan : plusieurs blessés enregistrés tant parmi les forces de l’ordre que parmi les manifestants. Des scènes d’une rare violence qui ont rappelé les heures sombres des manifestations similaires, vécues au crépuscule du pouvoir de Joseph Kabila et menées à l’époque par l’UDPS fortement appuyée par l’Eglise catholique à travers son Comité laïc de coordination (CLC). Et pour couronner le tout, le gouverneur de la ville de Kinshasa monte au créneau et décide de porter plainte dès ce lundi contre les organisateurs de la marche pour… «non respect de l’itinéraire». Une première dans les annales de la marche chaotique vers l’établissement d’une véritable démocratie en RDC.
Pour «non respect» de l’itinéraire convenu avec l’hôtel de ville de Kinshasa, le quatuor Katumbi-Matata-Fayulu-Sessanga est en passe d’expérimenter à ses dépens la maxime chiraquienne selon laquelle « la démocratie est un luxe pour les Africains ». Ils doivent faire face à la justice, le gouverneur Gentiny Ngobila comptant les attraire pour avoir délocalisé le lieu de départ de leur marche initialement prévu à « l’arrêt Sakombi » (limite des municipalités de Kintambo et Ngaliema), empruntant les avenues Benseke-Kasa-Vubu pour atterrir à l’YMCA (Matonge, Kalamu).
Passant outre le diktat du gouverneur Ngobila, les quatre leaders, pour des raisons qui leur sont propres, ont résolu de se transporter à Lemba d’où leur cortège devait rejoindre le siège de l’ECIDE de Martin Fayulu sur le Boulevard Triomphal, en diagonale du palais du Peuple. C’était sans compter avec la mobilisation massive des forces de police déployées dans la nuit et qui quadrillaient les quartiers sensibles de la ville.
DES SCENES DE VIOLENCE INSOUTENABLES
Dès le milieu de la matinée, les réseaux sociaux ont publié en temps réel la dispersion des manifestants à coups de gaz lacrymogènes. Parmi les images qui ont le plus marqué les esprits, celle de ce jeune garçon d’une douzaine d’années violenté par des policiers à coups de matraques ou du député provincial Michel « Mike » Mukebayi jeté dans le panier à salade comme un vulgaire sac de manioc. Des hommes en civil portant machettes sous la protection de policiers…
Arrivés sur le lieu, les quatre opposants ont aussitôt été «neutralisés», puis ramenés «à la maison» sous bonne escorte policière. Au cours de leur conférence de presse qui s’en est suivie, ils ont présenté des couilles de balles qui auraient atteint leurs véhicules, annonçant que l’un des gardes du corps de Moïse Katumbi avait été atteint, mais que son pronostic vital n’était pas engagé.
Par la même occasion, ils ont appelé à un sit-in le jeudi 25 mai 2023 au siège de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) que le candidat Matata a qualifié de «mascarade».
AUTOSATISFACTION DE LA POLICE
Dans un communiqué, le commissaire provincial de la police/ville de Kinshasa félicite «les policiers qui se sont bien comportés » et livre le bilan de 30 policiers blessés dont 1 dans un état comateux; 20 individus aux arrêts pour avoir tenté d’incendier le sous-commissariat de Kianza, 1 journaliste blessé, 3 policiers, auteurs de brutalités contre les manifestants et sur mineur, aux arrêts.
Du déjà vu, tant au Congo dit démocratique, les régimes se suivent et se ressemblent. Pire, le suivant bande ses muscles et s’acharne à surpasser le précédent dans sa quête du pouvoir absolu, indifférent à la descente aux enfers d’une société défaitiste et résignée. Ce samedi 20 mai, on a assisté à un sordide replay, un remake des années 2016-2018. Les mêmes tares et pratiques antidémocratiques dont l’UDPS (auréolé de 37 ans de lutte pour la démocratie) et aujourd’hui au pouvoir, accusait hier le régime Kabila sont reproduites avec un génie jamais égalé, même au plus fort de la répression des manifestations des oppositions de jadis.
Au pays de l’éternel recommencement, où tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, l’épée de Damoclès reste dangereusement suspendue au-dessus de la tête de quiconque évoque la cherté de la vie, l’insécurité généralisée, l’organisation chaotique des élections, autant de visions rêvées de politiciens « jaloux des avancées significatives » réalisées en presque cinq ans d’un pouvoir certainement adulé du peuple.
Mais dans leur for intérieur, les responsables des répressions de la moindre manifestation «pacifique» de leurs opposants, place qui était la leur il y a cinq ans à peine, sont conscients de l’adage selon lequel qui n’avance pas recule. Le rappeler dans la rue ne devrait pas donner lieu à une violence revancharde.
Le socialiste français Jean Jaurès le pressentait déjà quand il soutenait devant le parlement de son pays : « Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre comme une nuée dormante porte l’orage ».
Il est bon que les dirigeants congolais d’aujourd’hui, opposants de demain, en prennent de la graine.
Econews