Dans l’affaire Bukanga-Lonzo, la Cour constitutionnelle, siégeant en matière répressive, s’est déclarée incompétente à poursuivre l’ancien Premier ministre, Matata Ponyo Mapon, et ses co-accusés, à savoir l’ancien ministre délégué aux Finances, Patrice Kitebi, et le Sud-africain Christo Grobler, directeur-gérant d’Africom Commodities. Malgré la décision de la haute Cour, Matata peine à retrouver toute sa liberté de mouvement. Lundi dernier, il était devant la presse, dénonçant une Justice qui l’a finalement rendu prisonnier dans son pays. A lui de clamer : «Je suis devenu un prisonnier politique dans mon propre pays». Voici l’essentiel de sa conférence de presse et sa lecture des faits du dossier Bukanga-Lonzo.
1. Pendant près de sept mois, je suis resté prisonnier politique dans mon propre pays, privé du droit de me déplacer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, du fait d’une décision de Monsieur Jean-Paul Mukolo, procureur général près la Cour constitutionnelle.
2. Pour mémoire, à quatre reprises, par ses réquisitoires successifs dans un intervalle de deux mois (28 avril, 12 & 15 mai, et 24 juin 2021), il a saisi tantôt l’Assemblée nationale et le Sénat, tantôt le Sénat seul, pour obtenir la levée de mes immunités et l’autorisation des poursuites.
3. A cet effet, par mon tweet du 7 mai 2021 depuis Conakry où je me trouvais, et malgré l’appel des multiples personnes qui tentaient de m’en dissuader, j’avais levé l’option de revenir au pays pour y faire face à la justice, avec ferme détermination de prouver mon innocence.
4. Comme vous le savez, le Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo est l’un des ambitieux projets pour lequel je me suis personnellement investi, sous la houlette du chef de l’Etat de l’époque, afin d’amener notre pays à une autosuffisance alimentaire. Fort malheureusement, le projet s’est heurté à une opposition farouche de certains opérateurs économiques qui ont utilisé quelques hommes politiques congolais pour le saboter. Il s’est arrêté juste après mon départ en décembre 2016.
5. Aussi, peut-on réellement comprendre pourquoi, en lieu et place des vrais auteurs de cette déconfiture qui ont contribué à l’arrêt du projet et qui sont connus parce que circulant dans le pays, on a pris l’option de poursuivre et déranger les personnes qui ont contribué de manière efficace et efficiente à son démarrage, en ce compris moi-même?
6. Notez que c’est à ma propre demande qu’a été conduit l’audit technique et financier de ce parc. Mon objectif était de mettre l’opinion tant nationale qu’internationale à l’abri des mensonges longtemps distillés par les fossoyeurs de l’économie congolaise.
7. Pour atteindre des objectifs politiques, on a recouru aux services de l’Inspection générale des finances et du Parquet général près la Cour constitutionnelle; et j’espère que, sept mois après, l’opinion tant nationale qu’internationale l’a bien compris.
8. Ayant échoué d’obtenir du Sénat (Cfr décision de refus de la plénière du 16 juin 2021 votée par 49 contre 46), la levée de mes immunités et l’autorisation des poursuites sur l’affaire Bukanga-Lonzo, un dossier fictif sur le détournement de deniers publics lors du paiement de l’indemnisation des personnes physiques et morales victimes des biens zaïrianisés, a été ouvert et instruit en toute irrégularité. En témoignent :
A. L’invitation reçue du Bureau du Sénat, à présenter mes moyens de défense, le 5 juillet 2021, à la suite du quatrième réquisitoire portant le n° 1617/RMPI/0003/PG C.CONST/BM/2021 du 24 juin 2021, déposée le 28 juin 2021 en complicité avec le bureau du Sénat et me notifiée le même 28 juin à 18h30, après la clôture inattendue de la session;
B. Le premier avocat général Mokola Pikpa a reconnu lors de la séance du procès à la Cour constitutionnelle du 8 novembre dernier que le Parquet général a attendu la fermeture de la session du Sénat pour déposer un réquisitoire à mon encontre. On s’y imagine que cela s’est fait en intelligence avec le bureau du sénat. Ce qui est regrettable.
C. La décision n° 006/CAB/PDT/SENAT/MBL/HFM/EBD/2021 du Bureau du Sénat intervenue le 05 juillet 2021 sans m’avoir entendu au préalable, ayant autorisé les poursuites et levé mes immunités parlementaires, en violation intentionnelle et flagrante des lois de la République et du Règlement Intérieur du Sénat.
D. La mise en résidence surveillée décidée le 13 juillet, aussitôt levée le 14 juillet, faute pour le procureur général d’avoir réuni des indices sérieux sur ma culpabilité dans ce dossier fictif ; Le procureur général a reconnu personnellement qu’en principe, je devais rentrer en toute liberté à la maison parce que mon dossier était vide et qu’il devait être classé sans suite. Et que c’est pour tenir compte de la pression extérieure qu’il était obligé malgré lui de me mettre en résidence surveillée. Il l’a dit en présence de mon avocat.
E. L’empoisonnement qui s’en est suivi juste après ma comparution au Parquet général près la Cour constitutionnelle et le refus réservé à ma demande d’autorisation de sortie pour un contrôle dans un centre spécialisé à l’extérieur du pays;
F. La décision du classement sans suite du dossier « biens zaïrianisés », malheureusement non concrétisée jusqu’à ce jour par le procureur Général, en dépit de la demande formulée par mes avocats-conseils ; tout ceci en vue de permettre la réouverture illégale du dossier Bukanga-Lonzo pour lequel le Sénat avait déjà refusé toute poursuite judiciaire.
G. Les menaces et chantages à peine voilés du procureur général Jean-Paul Mukolo face à mon refus de coopérer et d’accepter d’être interrogé dans le dossier Bukanga-Lonzo (dont les demandes avaient déjà été refusées par la plénière du Sénat), en conditionnant la levée de l’interdiction de sortie ordonnée par lui à la DGM, contre mon interrogatoire dans ledit dossier non concerné par la Décision du Bureau du Sénat sus-évoquée;
H. Le mandat d’amener ainsi que le mandat de perquisition qui y était attaché, et dont l’exécution par les éléments de la police ont été accompagnés d’une brutalité doublée d’une volonté de causer du tort à moi-même et toute ma famille du fait de l’introduction par effraction de la porte, sans la moindre gêne ni réserve, jusque dans la chambre à coucher.
9. La décision du Procureur général de fouler aux pieds les principes et exigences édictés dans la Constitution et le Règlement intérieur du Sénat, de saisir la Cour constitutionnelle, en ne se focalisant que sur les faits, du reste, truffés de contrevérités que lui a procuré l’Inspection Générale des Finances dans son rapport, sans apporter les preuves du détournement tant vanté.
10. Aujourd’hui, la Cour constitutionnelle, en se déclarant incompétente pour me juger, démontre à suffisance comment la Constitution, les lois du pays, et le règlement intérieur du sénat ont été systématiquement et intentionnellement violés avec la complicité du bureau du Sénat dans le souci de me condamner et de me jeter en prison. Et ceci pour des objectifs politiques bien connus qui n’ont rien à voir avec la gouvernance financière.
11. Je remercie la Cour constitutionnelle et la félicite pour son sens élevé de responsabilité pour avoir dit le droit, et rien que le droit.
12. Je remercie aussi les congolaises et congolais qui m’ont soutenu dans cette dure épreuve de près de sept mois de prison politique dans mon propre pays avec comme seule infraction d’avoir donné l’impulsion à un projet ambitieux d’intérêt national de révolution agricole. Au lieu d’être félicité, je suis par contre accusé de détournement de fonds sans qu’aucune preuve matérielle ne soit donnée.
13. Monsieur Christo Grobler, responsable de l’entreprise Africom ayant géré le Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo est à Kinshasa depuis plus d’un mois. Selon le procureur général et l’inspecteur général des finances, c’est bien monsieur Grobler qui m’a retourné des fonds destinés au Parc de Bukanga-Lonzo. Or, ce dernier, lors d’une interview accordée à deux journalistes d’une chaîne locale, déclare ne m’avoir jamais remis un dollar des fonds destinés au Parc. Comment puis-je détourner des fonds qu’on ne m’a pas remis ? Et qui donc n’ont jamais été dans mes mains.
14. Je demande aux services compétents de l’Etat congolais, aux institutions nationales et internationales spécialisées et à la presse nationale et internationale présentes à Kinshasa de demander à monsieur Christo Grobler avant qu’il ne rentre en Afrique du Sud combien d’argent m’a-t-il remis directement ou indirectement. Ce qui permettra de mettre un terme définitif à cet acharnement politique monté de toute pièce pour des raisons aujourd’hui connues de tout le monde.
15. En effet, selon certaines informations qui nous parviennent, le procureur général près la Cour constitutionnelle aurait transmis le dossier au Parquet général près la Cour de cassation pour instruction nouvelle, contredisant ainsi les termes de son propre réquisitoire réf n°1429/RMPI/0001/PG.C.CONST/MOP/2021 du 15 mai 2021, et confirmant la thèse d’un acharnement politique.
16. En effet, comment imaginer qu’après s’être dessaisi du dossier Bukanga-Lonzo au profit de la Cour constitutionnelle, le parquet général près la Cour constitutionnelle transmettrait encore le dossier dont il est déjà dessaisi à la Cour de cassation ? Surtout que cette dernière s’était déjà déclarée incompétente pour traiter le dossier d’un Premier ministre honoraire. Et c’est bien le même procureur général près la Cour constitutionnelle qui avait confirmé dans un réquisitoire, ci-dessus indiqué, adressé au Sénat que la Cour de cassation était incompétente de traiter les dossiers judiciaires des anciens premiers ministres.
17. Si le parquet général près la Cour de cassation s’était déclaré incompétent il y a cinq mois pour traiter les dossiers judiciaires d’un premier…
ministre honoraire, comment le sera-t-il aujourd’hui alors que la Constitution et les lois du pays n’ont pas changé ?
18. Or, tout le monde le sait, il n’est pas de la compétence d’une Cour de cassation de s’occuper des dossiers judiciaires des anciens premiers ministres. Pourquoi cherche-t-on à violer la Constitution et les lois du pays, en voulant à tout prix déférer un ancien premier ministre devant une juridiction non prévue par les lois du pays ?
19. Et pourtant, à la lecture du prononcé de la Cour constitutionnelle du 8 novembre 2021, il y ressort clairement que la Cour de cassation n’est pas le juge naturel d’un premier ministre honoraire. Et qu’à ce titre, elle n’est pas compétente pour le juger. La Cour de cassation peut-elle enfreindre les lois de la république ?
20. Bien plus, tout le monde le sait, le parquet général près la Cour constitutionnelle a violé la Constitution et les lois de la république en poursuivant un ancien premier ministre, pourtant devenu sénateur, sans l’autorisation préalable du sénat. La Cour de cassation va-t-elle aussi violer la constitution en initiant des poursuites judiciaires contre un sénateur en dépit du refus formel de la plénière du Sénat ?
21. Pendant ce temps, je suis le seul congolais interdit de tout mouvement, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Je n’ai même pas le droit de me faire soigner en dehors du pays. Ceux qui, au même titre que moi, sont concernés par le dossier «Bukanga-Lonzo» ou le dossier «biens zaïrianisés», voyagent à leur aise. J’en ai les preuves. C’est pour vous dire que je suis devenu « un prisonnier politique » dans mon propre pays.
22. De la même façon, mes immunités levées de manière irrégulière, avec la complicité du bureau du Sénat, ne me sont jamais retournées, violant ainsi le règlement intérieur du Sénat. Tout ceci, en vue de justifier une procédure illégale telle que reconnue par la Cour constitutionnelle.
23. Je remercie les Nations Unies, particulièrement son secrétaire général Antonio Guterres et les missions diplomatiques en RDC, pour l’attention particulière portée à mon dossier dans le souci de préserver la paix et la sécurité dans notre pays.
24. Je remercie mes avocats pour m’avoir défendu dans ce dossier. Je remercie tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, m’ont apporté leur concours dans cette épreuve politique.
Fait à Kinshasa, le 29 novembre 2021
Matata Ponyo Mapon
Sénateur