Matata

Matata Ponyo : « On ne peut pas rechercher un État de droit et au mĂȘme moment tolĂ©rer la mĂ©connaissance publique des dĂ©cisions de la Cour constitutionnelle par un citoyen »

𝐂𝐞 đȘ𝐼𝐞 𝐣𝐞 đ©đžđ§đŹđž est que jamais les hautes juridictions judiciaires du pays n’ont Ă©tĂ© mises Ă  dure Ă©preuve comme dans le dossier Matata. En effet, plus le temps passe, plus les motivations profondes du procĂšs se dĂ©voilent; ce qui met en mal l’État de droit dans le pays.

Loin d’ĂȘtre un dossier judiciaire, il apparait au grand jour qu’il s’agit plutĂŽt d’un dossier fonciĂšrement politique. Sinon, comment peut-on imaginer qu’un arrĂȘt rendu par la Cour constitutionnelle, la plus haute juridiction du pays, puisse ĂȘtre contestĂ© par l’organe judiciaire chargĂ© de son application, Ă  savoir le Parquet gĂ©nĂ©ral prĂšs la Cour ?

Et pourtant la loi organisant le fonctionnement de cette Cour, en son article 94, stipule Ă  son alinĂ©a 2 ce qui suit : « ils (les ArrĂȘts) sont immĂ©diatement exĂ©cutoires ». Et Ă  son alinĂ©a 3, il rajoute ceci : « Le Procureur gĂ©nĂ©ral en poursuit l’exĂ©cution ». Or, ce dernier a refusĂ© d’exĂ©cuter l’ArrĂȘt de la Cour au grand Ă©tonnement de neuf juges composant cette institution.

Le Procureur gĂ©nĂ©ral a rĂ©cupĂ©rĂ© le dossier de force directement du greffe de la Cour et l’a rĂ©transfĂ©rĂ©, contre le grĂ© de la Cour, au parquet prĂšs la Cour de cassation, en violation de la Constitution et de la loi organisant le fonctionnement de la Cour constitutionnelle. L’objectif Ă©tant de trouver Ă  tout prix une juridiction capable de condamner Monsieur Matata. C’est cela l’État de droit !

𝐂𝐞 đȘ𝐼𝐞 𝐣𝐞 đ©đžđ§đŹđž est que jamais on n’a vu dans ce pays, une institution ou une personnalitĂ© de haut rang rĂ©cuser publiquement la compĂ©tence de la Cour constitutionnelle Ă  interprĂ©ter un article de la Constitution. Et pourtant, c’est une compĂ©tence constitutionnellement reconnue uniquement Ă  cette importante institution qui regorge d’éminents professeurs, juristes et autres professionnels du secteur.

Curieusement, le prĂ©sident du SĂ©nat, Modeste Bahati Lukwebo, lors de la plĂ©niĂšre du SĂ©nat le 9 dĂ©cembre 2021, a soutenu publiquement que la Cour constitutionnelle a mal interprĂ©tĂ© l’article 164 de la Constitution.

L’opprobre a Ă©tĂ© ainsi jetĂ© par le prĂ©sident du SĂ©nat aux neuf juges de la Cour pour leur incapacitĂ© Ă  interprĂ©ter un article de la Constitution. Mais, selon le sĂ©nateur Evariste Boshab, professeur de droit constitutionnel, c’est bien le prĂ©sident du SĂ©nat qui a fait une interprĂ©tation erronĂ©e de cet article.

Face au silence incompréhensible de la Cour constitutionnelle, la population se pose la question de savoir à qui elle doit croire quant au contenu exact de cet article. Aux neuf juges de la Cour ou au Président du Sénat, constitutionnaliste de circonstance ?

Il est vrai qu’il se dĂ©gage de l’article 10 de la Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle que le Juge constitutionnel prĂȘte serment de « 
garder le secret des dĂ©libĂ©rations et des votes, de ne prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation Ă  titre privĂ© sur les questions relevant de la compĂ©tence de la Cour constitutionnelle et de n’entreprendre aucune activitĂ© mettant en cause l’indĂ©pendance, l’impartialitĂ© et la dignitĂ© de la Cour ».

Nous estimons cependant, que l’État de droit exige qu’en de telles circonstances, la Cour constitutionnelle rompe son silence mythique et Ă©difie davantage les citoyens, car elle est la seule institution compĂ©tente en la matiĂšre. Les contrevĂ©ritĂ©s distillĂ©es par le PrĂ©sident du SĂ©nat sont de nature Ă  semer la confusion au sein de l’opinion tant nationale qu’internationale.

Cette attitude qui est constitutive de rĂ©bellion Ă  l’égard de l’arrĂȘt de la Cour, porte naturellement atteinte Ă  la dignitĂ© des membres de la Cour que le lĂ©gislateur voudrait pourtant intangible Ă  la lecture du serment que prĂȘtent lesdits membres. C’est cela l’État de droit.

𝐂𝐞 đȘ𝐼𝐞 𝐣𝐞 đ©đžđ§đŹđž est que l’on ne peut pas rechercher un État de droit et au mĂȘme moment tolĂ©rer la mĂ©connaissance publique des dĂ©cisions de la Cour constitutionnelle par un citoyen, soit-il, chef d’une haute institution, pourtant tenu Ă  l’obligation de rĂ©serve.

Ce mauvais prĂ©cĂ©dent constitue un risque de dĂ©rapage trĂšs Ă©levĂ© pour le pays, car, les dĂ©cisions de la Haute Cour deviennent contestables en fonction de la position que l’on occupe !

Bien plus, le prix Ă  payer pour les gĂ©nĂ©rations futures est Ă©norme parce que dĂ©sormais, l’incertitude plane sur le caractĂšre obligatoire des arrĂȘts la Cour. Comment le PrĂ©sident du SĂ©nat peut-il soustraire d’office le SĂ©nat de la zone d’exĂ©cution des actes posĂ©s par la Cour ? En effet, ce dernier, lors de la plĂ©niĂšre suscitĂ©e du 9 dĂ©cembre, a dĂ©clarĂ© publiquement que le SĂ©nat n’était pas concernĂ© par l’ArrĂȘt RP 0001 de la Cour constitutionnelle sur le procĂšs Matata. Tout simplement, parce que la dĂ©cision rendue Ă©tait en faveur de ce dernier.

Les dĂ©cisions de la Haute cour sont-elles acceptables et exĂ©cutoires en fonction du jugement que l’on souhaite recevoir d’elle ? Or, la Constitution, en son article 168, stipule que « les arrĂȘts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immĂ©diatement exĂ©cutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, Ă  toutes les autoritĂ©s administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers ».

Le silence constatĂ© de toute part, surtout de la Cour constitutionnelle et de la PrĂ©sidence de la RĂ©publique face Ă  cette rĂ©bellion du PrĂ©sident du SĂ©nat est trĂšs inquiĂ©tant et remet en cause les perspectives d’un vĂ©ritable État de droit. Une rĂ©action appropriĂ©e s’impose pour rĂ©tablir la crĂ©dibilitĂ© entachĂ©e de cette institution quant aux dĂ©cisions qu’elle a prises et qu’elle est appelĂ©e Ă  prendre.

Ne faut-il pas l’oublier, la Cour constitutionnelle est le juge naturel du PrĂ©sident de la RĂ©publique et du Premier ministre en fonction, et qu’à ce titre les dĂ©cisions les concernant ne devraient souffrir d’aucune incertitude.

Par ailleurs, n’oublions pas que la mĂȘme Cour est compĂ©tente en matiĂšre Ă©lectorale, pour les Ă©lections lĂ©gislatives nationales et celles prĂ©sidentielles; que partant, c’est elle qui en proclame les rĂ©sultats dĂ©finitifs. Ne creuse-t-on par la tombe Ă  la dĂ©mocratie et Ă  l’Etat de droit avec de telles attitudes ?

𝐂𝐞 đȘ𝐼𝐞 𝐣𝐞 đ©đžđ§đŹđž est que la Constitution est la loi suprĂȘme du pays. C’est l’expression de la volontĂ© du peuple tout entier. A ce titre, elle est au-dessus de tout le monde.

Elle doit donc ĂȘtre observĂ©e et appliquĂ©e par tous dans sa totalitĂ© et non en partie, Ă  tout moment et non quand on veut. Si certaines autoritĂ©s, Ă  cause de leur position institutionnelle, peuvent se dire publiquement non concernĂ©es par la Constitution lorsqu’elles n’y trouvent pas d’intĂ©rĂȘt et ne recourir Ă  celle-ci que quand ça les intĂ©resse, ce n’est plus la Constitution.

Ça devient un livre ordinaire comme tous les autres qui ne valent que le prix de l’encre et du nombre des pages qui s’y trouvent. A terme, la Constitution perd sa crĂ©dibilitĂ© et sa puissance publique, comme on l’a vu par le passĂ© au cours de la DeuxiĂšme RĂ©publique.

Ça devient un instrument au service des plus forts qui ne reprĂ©sentent qu’une frange marginale de la population. Un outil en dĂ©faveur des plus faibles qui constituent la majoritĂ© du peuple. Il importe par consĂ©quent de veiller Ă  son application sans faille, ce qui consoliderait la fondation de la justice dans le pays.

La justice Ă©lĂšve les nations, dit-on. Elle constitue le socle des vieilles dĂ©mocraties et des Ă©conomies Ă©mergentes. Elle conditionne en rĂ©alitĂ© l’État de droit dont la RDC a besoin pour prĂ©tendre s’inscrire sur la trajectoire de l’émergence et du dĂ©veloppement.

Mercredi, 5 janvier 2021

Augustin Matata Ponyo Mapon

SĂ©nateur

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