En République Démocratique du Congo, l’ancien Premier ministre Matata Ponyo vient de créer un parti, LGD (Leadership et Gouvernance pour le Développement), et annonce sa candidature à la présidentielle de la fin 2023. L’an dernier, le sénateur Matata Ponyo a eu chaud. Il a perdu son immunité parlementaire et a été menacé de poursuites judiciaires et au final, la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente. Mais aujourd’hui, il reste sur ses gardes, car il est toujours sous contrôle judiciaire. Il dénonce un harcèlement du pouvoir contre lui. Privé de déplacement et placé sous statut d’un prisonnier à ciel ouvert à Kinshasa, Matata multiplie des interviews pour faire passer ses idées. La toute dernière, accordée à RFI, n’a pas laissé indifférents ses détracteurs, particulièrement l’Inspection générale des finances (IGF) qui a, dans un communiqué publié en début de semaine, perdu son sang-froid en dévoilant au grand jour ses intentions de nuire à celui qui a décidé de défier le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, à la présidentielle de 2023. Remake.
Vous êtes candidat à la présidentielle de l’an prochain, mais vous n’êtes pas le seul. Qu’est-ce qui vous distingue des autres candidats ?
J’ai été Premier ministre pendant presque cinq ans, entre 2012 et 2016, et cela m’a donné une certaine expérience dans la gestion des affaires de l’État. Je sais que d’autres candidats ont participé à la gestion du pays, mais cette expérience particulière, au niveau de la primature, avec des résultats socio-économiques excellents, fait de moi un candidat particulier.
Quels sont ces indicateurs économiques dont vous êtes fiers ?
D’abord, le taux de croissance économique. Et pendant que j’étais au gouvernement entre 2012 et 2015, le taux de croissance moyen était à un peu plus de 7% alors que la moyenne africaine, au sud du Sahara, était de 3.5. Deuxième indicateur, le taux d’inflation, nous avons réalisé des taux d’inflation les meilleurs possibles en termes de moyenne annuelle. Je dois vous dire qu’il fut même une année, je crois en 2014-2015, nous avons réalisé un taux d’inflation de 0,8% pour toute une année, donc on n’a même pas atteint 1%.
Mais, Matata Ponyo Mapon, est-ce que votre bilan de Premier ministre n’a pas été entaché par le dossier du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo ? L’Inspection générale des finances vous a accusé en novembre 2020 d’être l’auteur intellectuel de la débâcle de ce projet agro-industriel qui s’est terminé par le détournement de plus de 200 millions de dollars.
Vous savez, c’est scandaleux, d’abord, de qualifier quelqu’un de responsable intellectuel. Ça veut dire tout simplement qu’il n’a volé aucun dollar. Parce que quand on dit de quelqu’un « responsable intellectuel », c’est qu’on est incapable de prouver qu’il a détourné un dollar. Deuxièmement, quand on parle de détournement de 200 millions de dollars, lorsque l’on demande à la Banque centrale combien elle a décaissé, ce montant est loin d’atteindre les 200 millions de dollars. Donc, ça veut dire en d’autres termes que ce sont des chiffres que l’on a fabriqué dans le but de nuire. Troisièmement, le parc agro-industriel était géré dans le cadre d’un partenariat public et privé entre le gouvernement congolais et une entreprise sud-africaine spécialisée dans la matière agricole. Et le responsable de cette entreprise a dit clairement lors d’une interview publique, ici en RDC, qu’il n’a jamais remis un dollar à monsieur Matata, que ce soit directement ou indirectement. Donc, en principe, si je me tiens en face d’institutions crédibles, je devrais recevoir des excuses et à la fois de l’inspecteur général des finances et à la fois du procureur général de la Cour constitutionnelle. Et donc je ne pense pas que ce dossier puisse entacher mon bilan socio-économique parce que c’est plutôt un dossier politique qu’un dossier judiciaire au sens strict.
Le problème, Monsieur le Premier ministre, c’est que le projet agro-industriel de Bukanga Lonzo, il a échoué. Notamment parce que la société sud-africaine African Commodities n’a pas rempli toutes ses obligations, or c’est vous qui avez choisi cette société au départ. Est-ce que vous ne le regrettez pas ?
Ce n’est pas une débâcle due à une mauvaise gouvernance. Jusqu’en 2016, quand j’ai quitté le gouvernement, ce projet fonctionnait normalement. N’oubliez pas que le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo a délivré des produits agricoles qui ont été distribués dans la ville de Kinshasa et qui ont permis même de réduire le prix de la farine de maïs, dans la ville de Kinshasa. C’est, tout simplement, parce que les importateurs de produits qui devaient faire l’objet de production, donc, au parc agro-industriel se sont syndiqués, se sont donc réunis pour contrecarrer la réalisation de ce projet, en complicité avec certains opérateurs politiques malheureusement congolais. Et ce projet, aussitôt que nous avons quitté le gouvernement, on l’a arrêté. L’opérateur économique sud-africain African Commodities l’a dit, ici, à Kinshasa lorsque que le gouvernement Matata était en fonction, ce projet a fonctionné à merveille. Mais il faut poser la question aux détracteurs de ce parc agro-industriel, qui étaient en complicité avec les importateurs de ces produits agricoles et ces opérateurs politiques congolais, ils sont connus, ils se promènent ici pour avoir réussi à mettre fin à un projet salvateur pour la population congolaise.
En juillet dernier, les sénateurs ont levé votre immunité parlementaire, en novembre, la Cour constitutionnelle a finalement renoncé aux poursuites contre vous, mais aujourd’hui le président de cette Cour constitutionnelle vient de quitter ses fonctions. Est-ce que vous ne craignez pas d’être rattrapé un jour par la justice de votre pays ?
Dieu merci, la Cour constitutionnelle a conclu que toutes les poursuites qui étaient menées contre moi, que ce soit dans le dossier Bukanga Lonzo, que ce soit dans le dossier des biens zaïrianisés, sont non-conformes à la Constitution. Et l’article 168 alinéa 2 de la Constitution dit clairement que tous les dossiers non-conformes à la Constitution sont nuls de droit. Ça veut dire tout simplement qu’au jour d’aujou-rd’hui, si la Constitution était appliquée, mais écoutez je serais libre et j’aurais recouvré toutes mes immunités et tous mes mouvements. Tous les rebondissements qui se font à la Cour de cassation ou ailleurs, mais ce sont des rebondissements anticonstitutionnels, ce sont des violations flagrantes des lois du pays dans l’objectif uniquement de pouvoir condamner quelqu’un qui n’a détourné aucun dollar.
Donc, vous craignez toujours des poursuites judiciaires ?
Tout le monde sait aujourd’hui, que, pour atteindre monsieur Matata, on peut violer toutes les lois du pays. Ça devient un harcèlement, une obsession, surtout après avoir déclaré ma candidature à la présidentielle, donc il faut me condamner.
Et vous êtes toujours sous contrôle judiciaire ?
Scandaleusement, je suis interdit de sortir de mon pays alors que l’opérateur économique African Commodities est rentré en Afrique du Sud et fait des mouvements de va-et-vient entre l’Afrique du Sud et la RDC. On comprend très bien que c’est une interdiction plutôt politique que judiciaire.
Mais qu’est-ce qui vous prouve que derrière tout ça il y a un complot politique contre vous ?
L’arrêt de la Cour constitutionnelle a mis fin à toutes les poursuites judiciaires, mais pourquoi alors mes libertés ne sont pas rétablies ?
La première personnalité politique que vous avez rencontrée depuis que vous avez déclaré votre candidature, c’est l’opposant Martin Fayulu. Est-ce que votre parti LGD, Leadership et gouvernance pour le développement, pourrait s’allier avec le parti Lamuka de Martin Fayulu pour présenter un candidat unique à la présidentielle à un seul tour de l’année prochaine ?
Il est prématuré de le dire. Le parti vient d’être créé, la décision du congrès a été prise pour que nous ayons un candidat à la présidentielle. Je pense qu’il nous reste encore une année et demie avant que l’élection présidentielle se tienne, donc ces questions des alliances, je crois que ce sont des questions qui seront discutées le moment venu.
Oui, mais à la différence des poids lourds de l’opposition comme Moïse Katumbi, Joseph Kabila, comme Martin Fayulu, vous n’avez pas de troupes, vous n’avez pas de députés nationaux, vous n’avez pas de députés provinciaux. Comment allez-vous faire campagne ?
Oui, mais il ne faut pas être amnésique. Lorsque Monsieur Fayulu Martin a été candidat à la Présidence de la République, il n’avait pas un nombre de députés comme vous le souhaitez. Je ne pense pas que, pour être candidat aux élections, il y ait une condition qui dit qu’il faut avoir des députés ou des sénateurs. Ce n’est pas une condition, donc pour moi ça ne pose pas de problème.
Pour l’instant, vous y allez seul ?
Pour le moment, nous sommes seuls.
Est-ce que vous ne craignez pas que votre candidature apparaisse comme celle d’un technocrate qui n’a pas l’ancrage et le réseau nécessaire ?
Je ne pense pas et je crois que le travail que j’ai fait au profit de la population congolaise, d’abord en tant que ministre des Finances, mais aussi en tant que Premier ministre, m’a permis d’être connu par les Congolais qui ont apprécié la qualité de ce travail. Donc, je ne me présente pas comme un inconnu.
Et si vous êtes élu, quel sera le changement le plus important que vous apporterez à ce pays ?
Le changement le plus important, c’est adjoindre à la politique économique un leadership de qualité, un leadership trans-relationnel, mais aussi une gouvernance de qualité. Et nous pensons que le binôme leadership-gouvernance est un binôme qui est à mes yeux de pouvoir créer une synergie dont le pays a besoin. Donc l’idéologie politique de LGD, c’est la social-démocratie, c’est-à-dire la libre entreprise, un capitalisme adossé à une prise en charge sociale. Donc si LGD prend le pouvoir, il va pouvoir favoriser effectivement une économie compétitive qui n’oublie pas le secteur social, mais qui vise essentiellement les repositionnements sur la trajectoire d’une économie émergente d’ici 30 ans.
Avec RFI