Si Joseph Kabila a avoué n’avoir pas été en mesure de changer l’homme congolais en 18 ans de règne, le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, a, pour sa part, regretté de n’avoir pas réussi à amener la justice à s’imprégner de sa vision d’un Etat de droit. Depuis quelques années, la justice congolaise aligne des procès politiquement motivés qui se terminent généralement en eau de boudin. Vital Kamerhe a été le premier à ouvrir la série avec le procès, dit de 100 jours. Condamné, puis blanchi, le leader de l’UNC (Union pour la nation congolaise) se la coule douce au poste de vice-Premier ministre en charge de l’Economie dans le Gouvernement Sama. D’autres, comme Willy Bakonga, et tout récemment Fortunat Biselele, sont passés par la case justice, avant que leurs peines ne soient totalement commuées. Si certains parviennent à s’extirper de la justice – sans accroc – l’ancien Premier ministre ne bénéficie pas du même privilège. Depuis le lundi 21 août 2023, la Cour constitutionnelle le poursuit dans une nouvelle affaire portant sur le «marché international de Kinshasa». Une négation du droit que fustige l’un de ses avocats, le prof Raphaël Nyabirungu, qui crie à la dérive «d’un Etat de non droit à un non Etat».
«Aujourd’hui, le contraire de l’Etat de droit n’est pas l’Etat de non-droit, mais plutôt le non Etat ». C’est en ces termes que s’exprime le Professeur Raphaël Nyabirungu Mwene Songa sur son compte X (ex-Twitter) au sortir de l’audience à la Cour constitutionnelle sur une nouvelle affaire où est de nouveau attrait son client, l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo. Professeur de droit de renommée indiscutable et avocat également de renom, Nyabirungu exprime là quelque dépit qui l’anime au regard de ce nouveau rebondissement judiciaire qui, manifestement, dépasse désormais son entendement de juriste comme enseignant et comme praticien du droit.
Simplement parce que Me Nyabirungu se trouve confronté àla persistance des travers qui ternissent quotidiennement l’image de la justice congolaise tout en continuant de durcir la peau malgré les propos de détresse du magistrat suprême, Félix Tshisekedi, qui a reconnu la justice congolaise comme étant l’échec de son mandat. Car la nouvelle affaire continue de charrier ce que sont devenues les tares de la haute Cour qui aligne des jurisprudences qui sont devenues ses sources du droit malgré les graves hérésies qu’elles charrient.
Cette nouvelle affaire, qui s’est ouverte lundi 21 août 2023 à la Cour constitutionnelle, en constitue le prolongement avec un justiciable devenu emblématique pour cette haute cour ces trois dernières années : Augustin Matata Ponyo. L’ancien Premier ministre passe à la barre pour la seconde fois après la première, qui remonte à novembre 2021 dans l’affaire dite de détournement des fonds destinés au projet du parc agroalimentaire de Bukanga-Lonzo. Un procès qui était précédé de très peu par une autre affaire liée, elle, au dossier des biens zaïrianisés dont les victimes devaient être indemnisées par l’Etat congolais.
L’issue de ces deux affaires est connue aujourd’hui, même si, dans le fond, Matata Ponyo n’a jamais quitté les allées de la haute Cour. Celle-ci s’était, en effet, déclarée incompétente de poursuivre un ancien premier ministre pour le cas de l’affaire Bukanga-Lonzo, alors que celui de la zaïrianisation n’avait pas dépassé le cap de l’instruction préjuridictionnelle.
D’une affaire à une autre
De Bukanga-Lonzo au marché international en passant par les biens zaïrianisés, la Cour constitutionnelle opère avec les mêmes autorisations de poursuite depuis trois ans.
Résumé ainsi lapi-dairement, cette séquence particulièrement épique de l’histoire du droit tel qu’appliqué à la Cour constitutionnelle renferme bien d’énigmes qui ne cessent d’entretenir des interrogations sur le rôle exact que jour la haute Cour dans l’entretien des équilibres institutionnelles et de la paix sociale. Le cas Matata Ponyo a, en effet, inspiré même des ouvrages dont le dernier, intitulé «Sous la houlette de la Cour constitutionnelle, une ‘jurisprudence’ qui ne peut faire jurisprudence» et porté sur les Fonds baptismaux le 17 juillet dernier, est signé par l’immense professeur Auguste Mampuya Kanun’ka Tshiabo.
L’auteur dit avoir été inspiré, entre autres par l’interpellation dont il a été l’objet par des étudiants à Lubumbashi, qui ne savaient plus à quoi s’en tenir avec le rythme des revirements du droit que leur faisait vivre la justice congolaise en général, et de la Cour constitutionnelle et ses jurisprudences en particulier.
Aujourd’hui encore, les mêmes interrogations revoient le jour avec ce nouveau procès qui démarre dans une opacité qui fait de nouveau craindre sur ce qui peut en ressortir. Déjà, la Cour qui a fixé l’affaire s’est présentée à la toute première audience avec des exceptions à sa propre procédure, laissant entrevoir une impréparation suspecte. En effet, qu’à ce niveau de juridiction, les huissiers de justice se montrent incapables d’instrumenter une assignation à prévenue est plutôt inquiétant. Mais que la Cour vienne le constater devant les justiciables et face à la caméra l’est encore plus.
Mais ce n’est pas tout. Le nouveau procès autour de Matata Ponyo démarre avec un flou autour du chef d’accusation et suscite également des interrogations. En effet, le Sénateur Matata se trouve sous le coup d’une nouvelle démarche du Procureur Général près la Cour constitutionnelle sur le même dossier de Bukanga-Lonzo. Dans son réquisitoire au Sénat qui lui a donné les autorisations de poursuite, Jean-Paul Mukolo Nkokesha évoquait des «faits nouveaux» dans le même dossier Bukanga-Lonzo. Mais pour le procès ouvert, lundi 21 août, l’on parle d’une affaire de détournement de 89 millions Usd destinés à la construction du «marché international à Kinshasa».
Il faut déjà rappeler que pour le premier procès sur ce dossier, Matata avait été poursuivi sous les autorisations accordées pour l’affaire des bienszaïrianisés, ce qui est une entorse à la loi. Cette fois-ci l’on assiste à un cas de figure similaire où le même prévenu, dégarni de ses immunités depuis plus de deux ans, pourrait subir des poursuites sur des préventions autres que celles connues par le Sénat.
On se retrouve ainsi dans une situation de sur-place pour une affaire manifestement coachée dans d’autres officines et qui viennent déferler dans des prétoires désormais dévoyés. Lors du vernissage de son ouvrage consacré aux pratiques du droit par la Cour constitutionnelle, le Professeur Mampuya s’étonnait de ce que le revirement de jurisprudence est devenu une pratique et même une source du droit à la Cour constitutionnelle. A l’occasion, il exprimera son inquiétude d’une discipline (celle de dire le droit) aujourd’hui mal famée dans la société avant d’inviter les Juges à se ressaisir pour sauver leur amour propre et la justice face à ce qu’il dénonce dans son livre en termes de devoir de reconnaissance de ces juges envers ceux qui le leur ont fait devenir.
Quand le droit est taillé en pièces par la plus haute juridiction
De son côté, en date du 12 juillet 2023 lors d’une conférence de presse, Me Nyabirungu Mwene Songa, avait faire savoir que «l’affaire Bukanga-Lonzo est terminée et aucune règle de droit ne permet de la relancer». A moins, poursuivra-t-il, de remettre en cause l’autorité de la chose jugée et consacrer ainsi une violation de la constitution et ses lois de la République.
Me Nyabirungu réagissait, lors de cette conférence de presse au nouveau mandat du Procureur Général près la Cour constitutionnel qui est basé sur des «faits nouveaux» dans la même affaire Bukangalonzo.
Cette affaire est déjà couverte par un arrêt de la même cour qui juge en premier et dernier ressort, et Me Nyabitungu notait que « les acquis de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sont inébranlables » aussi bien sur le plan de l’Etat de droit que sur ceux de la primauté de la constitution sur toutes les autres règles, du principe de la légalité ainsi que de celui de la compétence juridictionnelle d’attribution.
Faisant parler l’arrêt R. Cons 1800 du 22 juillet 2022, celui-ci retenait que «dans le contexte congolais, la Constitution garantit, tant dans son préambule que dans son dispositif, entre autres valeurs : l’Etat de droit, la démocratie pluraliste et les droits humains». Le même arrêt de la même haute Cour retient, en conséquence, que «le constituant n’a pas entendu laisser libre champ aux organes juridictionnels de porter atteinte aux valeurs fondamentales de l’Etat moderne telles que garanties par la Constitution de la République. Et la Cour, comme garde-frontière, a été instituée pour placer les digues afin d’éviter les débordements dans l’œuvre normative de toute autorité publique».
JDW