Le Gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC), dirigé par la Première ministre, Judith Suminwa Tuluka, a présenté, lors de son investiture le 12 juin 2024 à l’Assemblée nationale, un programme, qualifié d’«ambitieux », chiffré à 92,9 milliards dollars US sur cinq ans (2024-2028). Dans les termes du Président de la République, Felix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, ce programme est «une vision, mieux une ferme prédisposition pour l’action déclinée à travers les six engagements contenus dans le projet de société que je vous ai présenté au moment de solliciter vos suffrages ». Pour rappel, ces engagements, réitérés par le Chef de l’Etat dans son discours d’investiture le 20 janvier 2024 sont, notamment : (i) créer plus d’emplois et réduire le sous-emploi ; (ii) protéger et renforcer le pouvoir d’achat des ménages congolais ; (iii) mieux protéger le citoyen congolais ; (iv) construire une économie plus diversifiée et plus compétitive ; (v) assurer plus d’accès aux services de base ; (vi) renforcer l’efficacité des services publics. Analyse.
Le Programme d’Actions du Gouvernement a pour double objectif de : (i) consolider les acquis du premier mandat du Président, Felix-Antoine Tshisekedi, en vue de parachever l’avènement d’un Congo plus uni, mieux sécurisé, à la souveraineté affirmée et plus prospère ; (ii) poser durablement les jalons d’un Congo émergeant dans lequel l’autorité de l’Etat est consolidée, la solidarité renforcée et les villes connectées. Pour atteindre ce double objectif, le programme est articulé autour de six piliers stratégiques correspondant aux engagements du Chef de l’Etat. Ces piliers sont : (i) créer plus d’emplois et protéger le pouvoir d’achat des ménages ; (ii) protéger le territoire national et sécuriser les personnes et leurs biens ; (iii) aménager le territoire national en vue d’une connectivité maximale ;(iv) garantir l’accès aux services sociaux de base ; (v) renforcer les capacités des services publics et ; (vi) gérer durablement et de manière responsable l’écosystème face aux changements climatiques. Les actions centrées sur ces six orientations stratégiques seront complétées par la mise en œuvre de trois initiatives présidentielles, à savoir la construction et la réhabilitation des routes de desserte agricole dans le cadre du PDL-145T, le renforcement des Chaînes de valeurs agricoles dans le cadre de l’Agenda de Transformation Agricole (ATA) et l’assainissement des villes.
La question principale au cœur des préoccupations de tous les congolais est celle de savoir si la mise en œuvre effective de ce nouveau programme est susceptible de délivrer les résultats attendus, en particulier la protection du pouvoir d’achat et la création d’emplois décents pour tous. L’objectif de cette tribune est de partager nos réflexions et convictions sur cette question fondamentale, en focalisant notre analyse sur le premier pilier du programme – « Créer plus d’emplois et protéger le pouvoir d’achat des ménages ». Nous tentons d’évaluer dans quelle mesure les actions envisagées sous ce pilier sont combinées de façon à maintenir la stabilité du cadre macroéconomique tout en garantissant un développement économique par la transformation structurelle, deux objectifs connus comme étant en tension dans le court terme, bien que complémentaires à long terme.
En quoi ce programme est-il différent de ceux mis en œuvre par les Gouvernements passés ?
Dès l’abord, Il est éminemment important de relever à juste titre que poursuive simultanément la réalisation du double objectif – assurer la stabilité du cadre macroéconomique et la transformation structurelle de l’économie – constitue une innovation majeure de ce programme du Gouvernement. Pour la première fois après plusieurs décennies, ce programme reconnait explicitement que le cadre de politique macroéconomique conventionnel qui a dominé les programmes passés en RDC, axé presqu’exclusivement sur le maintien de la stabilité macroéconomique, était inadéquat pour déclencher et accélérer le processus de transformation structurelle de l’économie. Le Gouvernement confesse publiquement que les efforts de stabilisation du cadre macroéconomique du pays depuis plusieurs décennies n’ont pas suffisamment facilité la croissance soutenue et inclusive, la création d’emplois et la protection du pouvoir d’achat. Par conséquent et pour corriger cet écueil, le nouveau programme intègre une leçon importante apprise par les économistes et décideurs politiques après plus de quatre décennies de focalisation excessive sur les politiques de stabilisation macroéconomique, à savoir que la gestion macroéconomique devrait se fixer à la fois comme objectifs principaux la stabilisation et le développement, et que les résultats des politiques macroéconomiques devraient également être évalués par rapport aux objectifs de développement. Dans un contexte où les besoins de développement sont considérables pour le pays, cette vision à long terme est donc à saluer si elle est ancrée dans une réelle stratégie nationale développement.
La deuxième innovation, et non la moindre, est l’approche holistique et multidimensionnelle des actions envisagées pour réaliser progressivement la transformation structurelle de l’économie congolaise. L’accent mis par le Gouvernement sur la transformation structurelle de l’économie reflète un large consensus qui existe aujourd’hui parmi les économistes et praticiens du développement selon lequel, dans les pays en développement comme la RDC où il persiste des écarts importants de productivité entre secteurs (par exemple, agriculture, industrie manufacturière, service), la transformation structurelle constitue un moteur puissant pour une croissance économique rapide, durable et inclusive. En l’absence de transformation structurelle, il n’y aurait que croissance sans développement, comme le Gouvernement de Madame Judith Suminwa Tuluka l’a constaté avec profond regret. En effet, c’est à travers le processus continu d’allocation des ressources allant de secteurs caractérisés par une faible productivité vers ceux à productivité et valeur ajoutée élevée que la productivité totale s’accroit dans l’ensemble de l’économie et améliore la croissance économique.
Le Gouvernement dirigée par Madame Judith Suminwa Tuluka semble donc engagée dans une nouvelle approche qui requiert que les politiques macroéconomiques soient appliquées de manière cohérente les unes aux autres et en coordination avec d’autres politiques sectorielles de façon à trouver une résolution du compromis à court terme entre les objectifs de politique macroéconomique de stabilisation et de développement économique à long terme. Néanmoins, l’analyse minutieuse de différentes axes stratégiques retenues pour assurer la stabilité du cadre macroéconomique et la transformation structurelle de l’économie démontre que le Gouvernement aura besoin d’opérer un changement radical de paradigme pour mettre en œuvre cette nouvelle approche de gestion macroéconomique du pays. L’adoption et la mise en œuvre réelle d’une approche conciliant l’objectif de stabilité du cadre macroéconomique et celui de développement à long terme par la transformation structurelle requièrent l’abandon des politiques de stabilisation standard qui ont eu pour effets, depuis plusieurs décennies, de supprimer l’accroissement de la demande globale de l’économie (consommation des ménages, investissements par les entreprises, dépenses publiques, exportations), sans véritablement lever les contraintes qui limitent la capacité d’offre (production nationale, importations) ni attirer des investissements privés vers des secteurs à potentiel de croissance dynamique.
Les axes de politique macroéconomique inscrits dans le Programme sont-ils cohérents avec l’approche privilégiant simultanément la stabilité du cadre macroéconomique et le développement à long terme ?
Nous pouvons relever que bien qu’il existe potentiellement des mesures possibles pour assurer la protection du pouvoir d’achat, les actions envisagées à court terme dans le programme du gouvernement restent liées essentiellement à l’objectif d’assurer la stabilité du cadre macroéconomique à travers l’amélioration de la gestion des finances publiques, le renforcement des instruments monétaires, de change et développement du système financier national, la poursuite de la mise en œuvre des réformes structurelles macroéconomiques. Il s’agit là encore de politiques de stabilisation standard qui reflètent les discours académiques et politiques dominant en RDC et dans beaucoup de pays africains. Ces discours tendent à interpréter l’objectif de «stabilisation» de manière simpliste comme «parvenir à la stabilité des prix » et d’évaluer les politiques macroéconomiques principalement en termes de maintien de la stabilité des prix. Cette tendance est probablement le résultat des politiques macroéconomiques dérivées de la théorie générale de Keynes qui étaient très axées sur la mission de maintenir la demande globale tout au long des cycles économiques. En effet, telle que conçue par Keynes, la stabilisation macroéconomique implique, avant tout, le maintien de la demande globale proche du niveau de plein emploi tout au long des cycles économiques, sous l’hypothèse que l’économie opère dans une situation proche de plein emploi.
Cependant, Il y a aujourd’hui un consensus émergeant parmi les macro économistes du développement que même si le fait de désigner la stabilité des prix comme l’objectif principal est souvent rationalisé dans les discours des économies développées, cette tendance est injustifiable pour les pays à faible revenu disposant d’importantes réserves de ressources inutilisées destinées à être utilisées comme actifs productifs.
Dans ces pays, tout comme en RDC, les résultats de toute politique macroéconomique devraient également être évalués par rapport aux objectifs de développement. Le cas de la RDC nous montre clairement qu’après plusieurs décennies, une focalisation excessive sur le maintien de la stabilité des prix, sous couvert de garantir des « fondamentaux macroéconomiques sains », n’a pas facilité la transformation structurelle de l’économie. Elle a eu pour effet de supprimer la croissance de la demande globale effective en la maintenant à des niveaux très bas. Ainsi, il y a eu peu d’investissements publics productifs et soutenus en vue d’attirer les investissements privés. Par ailleurs, la provision de biens publics est restée très médiocre et les dépenses sociales liées à la santé et à l’éducation maintenues à des niveaux anormalement très bas.
Il est évident qu’il faut beaucoup de temps pour remédier aux contraintes d’offre étant donné que les investissements productifs tant spécifiques à un secteur qu’à l’ensemble de l’économie impliquent une période de gestation considérable. Dans ces conditions et devant une demande excédentaire par rapport à l’offre dans des secteurs et qui donne lieu à des environnements d’inflation élevée, la tentation est forte pour recourir à l’austérité budgétaire et à une politique monétaire restrictive en vue de stabiliser le cadre macroéconomique. Toutefois, comme le soutiennent à juste titre les économistes adeptes de l’approche du cadre macroéconomique favorable à la transformation structurelle, l’application des instruments des politique fiscale et monétaire dans une approche de stabilisation standard impliquant une suppression sévère de la demande globale effective ne serait pas efficace pour arrêter les tendances inflationnistes résultant des contraintes de l’offre et/ou entraînée par les prix élevés des denrées alimentaires et autres produits importes qui prévalent en RDC. Dans un tel contexte où la demande globale est excédentaire en raison de goulots d’étranglement spécifiques au secteur du côté de l’offre et d’une capacité d’absorption inadéquate dans l’ensemble de l’économie, ces économistes soutiennent que mettre l’accent aussi bien sur l’augmentation de l’offre et de la capacité d’absorption de l’économie à travers des investissements productifs que sur d’autres mesures de régulation prudentielle et reformes structurelles peut constituer une politique de stabilisation importante et une alternative efficace à des politiques fiscales et monétaires visant à limiter l’ accroissement de la demande globale effective.
Au-delà de l’objectif de rendre la gestion des finances publiques transparente, efficiente et redevable, la politique fiscale dans le cadre de la nouvelle approche de gestion macroéconomique adoptée par le Gouvernement doit devenir un instrument véritablement au service de la transformation structurelle et du développement économique. La politique fiscale doit être mise à contribution au-delà de l’objectif de mobiliser les ressources internes et de donner des signaux sur les orientations économiques du Gouvernement. Plus que jamais, elle doit améliorer la productivité des ressources existantes et la compétitivité de l’ensemble de l’économie. Sans investissements publics rigoureux destinés à améliorer la productivité et sans acquisition de compétences, de technologies et de connaissances dans de nouveaux secteurs en évolution dynamique, il n’y aura pas de transformation structurelle et de développement économique en RDC.
Ainsi les actions envisagées sous le pilier pertinent du programme doivent s’étendre pour inclure des incitations aux entreprises publiques et privées qui investissent dans le renforcement des compétences techniques de leurs employés, dans la recherche et développement pour renforcer leur capacité d’innovation technologique et commerciale. Les régimes de fiscalité et de redevances administratives peuvent etre rationalisés pour améliorer la compétitivité des entreprises nationales et éviter d’alimenter par l’action publique des tensions inflationnistes à travers des structures de prix très complexes.
Les mesures spécifiques envisagées dans le Programme pour accélérer la transformation structurelle de l’économie sont-elles pertinentes et effectives pour la réalisation de cet objectif ?
Notre analyse des actions inscrites sous les six axes stratégiques du programme montre que ces dernières ne sont pas suffisantes pour atteindre cet objectif. La RDC est parmi les économies de l’Afrique Sub-saharienne les moins diversifiées et les moins compétitives. L’indice dit d’« Economic Fitness » adopté pas très longtemps par la Banque Mondiale, et qui est une mesure de la diversification économique d’un pays et de sa capacité à produire des biens complexes sur une base compétitive à l’échelle mondiale, montre que la RDC était classée dans la dernière quartile parmi les160 pays pour lesquels les données étaient disponibles jusqu’en 2018. La RDC a perdu 31 places au classement, allant de 101ème en 1995 au 142ème rang en 2018. Cette perte de compétitivité avec un niveau déjà faible d’« Economic Fitness » signifie que la RDC est parmi les pays dont l’économie est structurellement moins dynamique en termes de diversité de sa structure productive et sa transformation vers des secteurs les plus dynamiques. De tels pays ont tendance à souffrir de la pauvreté persistante, de faibles capacités productives, d’une croissance erratique et moins prévisible, d’une faible valeur ajoutée et de difficultés à se moderniser et à se diversifier plus rapidement que les autres.
Le passage de la RDC à une économie émergente n’est possible que par une transformation de l’ensemble du système socio-économique du pays, compris comme un processus de développement impliquant des changements dans de multiples dimensions, y compris sa matrice de production, ses infrastructures matérielles, sa structure sociale, son cadre institutionnel et ses relations avec son environnement extérieur. Une telle transformation va bien au-delà des simples changements de composition sectorielle de la production ou de l’emploi comme cela est généralement décrit dans les textes classiques de l’économie. Comme souligné dans le rapport 2017 de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique et par d’autres économistes, compte tenu des déficits massifs dans les domaines clés dont les ressources humaines, les infrastructures et l’environnement institutionnel, ce n’est que grâce à des processus de changement multidimensionnel que les pays Africains dont la RDC pourraient passer de structures « enclavées » et « fragmentées», caractérisées par la fragilité et la vulnérabilité associées aux activités informelles, vers une économie bien articulée.
S’il est vrai que certaines actions envisagées sous l’ensemble de piliers du programme sont susceptibles d’accélérer et de contribuer à long terme au processus de transformation tel que compris ci-haut, il n’est pas évident que les actions envisagées sous le sous pilier spécifique à la transformation de l’économie sont de nature à accélérer une transformation structurelle rapide de l’économie et de changer sa trajectoire de croissance pour un Congo émergeant à l’horizon 2030, voire même 2035. Tout au moins, si elles sont mises en œuvre avec succès et dans le délai du programme, les actions telles que la modernisation et développement des secteurs de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage, la création et développement des PME peuvent certes contribuer à la sécurité alimentaire, l’amélioration des revenus des ruraux pauvres et la réduction du chômage et sous-emplois, mais elles ne peuvent engendrer une transformation structurelle favorable au développement que si elles augmentent considérablement la productivité dans ces secteurs et s’il y a de nouvelles activités dynamiques à productivité plus élevée pour absorber la main d’œuvre libérée du secteur traditionnel et informel. Ces types d’actions ont été inscrites et mises en œuvre dans les programmes passés avec comme résultat l’exode rural et l’expansion des activités fragiles dans le secteur informel où la productivité est nettement inférieure au secteur de l’agriculture, pêche et élevage.
Ceci est aussi vrai pour les actions envisagées pour le renforcement des liens commerciaux avec les partenaires régionaux et internationaux, la valorisation du potentiel touristique du pays, etc. Elles peuvent certes contribuer à l’intégration régionale et mondiale du pays tout en améliorant sa balance commerciale. Mais dans le cadre d’un pays qui a une base de production très réduite et n’exporte que quelques en perte de compétitivité au fil des années, il n’est pas évident que ces actions vont accélérer la transformation attendue de l’économie vers des secteurs dynamiques.
Le Développement d’un secteur industriel compétitif et diversifié constitue véritablement un levier principal du programme pour la transformation de la structure productive mais risque d’échouer si la stratégie adéquate n’est pas adoptée.
Pratiquement aucun pays n’a évolué d’un statut de revenu faible à celui de revenu élevé sans pour autant transformer simultanément son système économique d’une économie agraire ou basée sur les ressources naturelles vers une économie basée sur l’industrie ou les services modernes. Par ailleurs, des études sur l’expérience des pays qui ont connu de longs épisodes de croissance économique rapide et durable (c’est-à-dire un taux de croissance du PIB réel de 7 pour cent par an ou plus pendant 25 ans ou plus), à l’instar des économies émergentes de l’Asie, montrent notamment que : (i) contrairement à l’idée centrale de la théorie classique du commerce international inspirée par David Ricardo, le développement économique va de pair avec la diversification productive et non la spécialisation; (ii) historiquement, l’industrialisation et les exportations de produits manufacturés ont été les leviers les plus fiables d’une croissance rapide et durable; (iii) les industries manufacturières ont la particularité de faciliter une convergence économique inconditionnelle, c’est-à-dire quelles que soient la qualité des politiques et des institutions en place.
Les actions envisagées par le Gouvernement pour le développement d’un secteur industriel compétitif et diversifié, telles que l’assainissement du climat des affaires, le renforcement et la généralisation des normes de production, l’aménagement des espaces industriels, le développement des ressources humaines sont certes essentielles pour atteindre l’objectif poursuivi, mais elles doivent être complétées par des politiques sectorielles et des partenariats public-privé (PPP) pour des investissements dans des programmes ciblés destinés à lever des contraintes qui limitent la compétitivité industrielle et le rendement des investissements privés dans l’amélioration de leurs capacités d’innovation. A cet égard, l’importance d’une politique et stratégie industrielle ainsi que la promotion d’un système national d’innovations pour la RDC n’est pas à démontrer. Le Document de la politique et des stratégies industrielles 2019-2023 ainsi que le Plan Directeur d’Industrialisation qui en est le bras opérationnel constitue un point d’encrage important pour guider le développement industriel dans les différentes zones identifiées.
Toutefois, il y a deux erreurs fatales que la RDC doit éviter dans ses efforts de développement industriel. Premièrement, en dépit de ses ressources minières énormes, la RDC doit éviter la tentation de relancer son développement industriel sur la base exclusivement de son avantage comparatif statique dans ses dotations relatives en ressources préexistantes. Pratiquement tous les pays dont le modèle d’intégration dans l’économie mondiale est resté basé sur l’avantage comparatif statique en ressources naturelles n’ont pas connu une transformation structurelle ni expérimenté une croissance et un développement économique durable.
Deuxièmement, quelle que soit la taille de son marché intérieur, la RDC doit éviter une stratégie d’industrialisation basée sur la substitution des importations (ISI) qui viserait à développer la capacité industrielle en protégeant les producteurs nationaux de la concurrence étrangère. Même s’il y a aujourd’hui une renaissance de la stratégie d’ISI dans certains pays qui ont été les plus grands bénéficiaires de l’ouverture commerciale et de l’intégration mondiale (exemple de la Chine, de l’Inde, etc.), les conditions de succès d’une telle stratégie ne sont pas présentes dans les pays en développement comme la RDC. Comme l’attestent les leçons des expériences passées, dans les pays aux institutions de faible qualité, la stratégie d’lSI a souvent donné lieu à des activités de recherche de rente à travers lesquelles les gouvernements agissent sous couvert de la stratégie pour accorder des faveurs aux industries nationales sur la base de leurs intérêts politiques plutôt que de calculs économiques rationnels. Avec un marché intérieur plus pauvre (en termes de demande globale effective) et moins intégré, la stratégie serait plus risquée et vouée à l’échec en RDC. Doté d’une base industrielle faible, voire inexistante, la RDC pourrait accélérer son développement industriel et sa diversification en s’intégrant dans les chaines de valeur régionales et mondiales et en renforçant son orientation vers la promotion des exportations de produits manufacturiers.
Quel est donc le message clé à retenir de notre réflexion et analyse?
Les politiques macroéconomiques dérivées de la théorie générale de Keynes ont dominé la gestion macroéconomique en RDC depuis les années du lancement des programmes d’ajustement structurel imposés par les institutions de Bretton Woods. Ces politiques, très axées sur la mission de maintenir la demande globale de l’économie tout au long des cycles économiques, n’ont pas réussi à accélérer, voire même déclencher une transformation structurelle dont le pays avait tant besoin pour une croissance rapide, durable et inclusive de son économie. En dépit de l’environnement inflationniste et de réchauffe sur le marché de change, le Gouvernement dirigé par Mme Judith Suminwa Tuluka a courageusement adopté une nouvelle approche du cadre macroéconomique qui reconnait explicitement qu’il est impossible de soutenir le processus de transformation structurelle et du développement économique avec une demande globale effective qui ne croit pas ou est maintenue à des niveaux anormalement très bas.
Néanmoins, alors même que le programme du gouvernement semble avoir adopté une nouvelle approche de gestion macroéconomique, les mesures envisagées dans le cadre des politiques fiscales et monétaires suggèrent que dans la pratique le Gouvernement n’est pas prêt à rompre avec les mesures de stabilisation standard à court terme qui ont largement dicté dans le passé le cadre de gestion macroéconomique au prix de la suspension des efforts de développement. Dans la mesure où la demande effective globale se contracterait fortement, une application prolongée de politiques d’austérité budgétaire et de contraction monétaire au nom de la « stabilisation du cadre macroéconomique» est préjudiciable à la transformation structurelle et au développement. En attendant que les investissements massifs attendus améliorent la capacité d’offre nationale, il est souhaitable que le Gouvernement explore des mesures de protection du pouvoir d’achat des ménages par des mesures alternatives, y compris la rationalisation (basée sur une évaluation analytique minutieuse) des prélèvements fiscaux et divers redevances qui alourdissent la structure de prix, des réglementations prudentielles pour garantir le fonctionnement transparent et concurrentiel du marché , la gestion des taux de change et d’autres outils politiques.
Un des points forts du programme que nous avons relevé est son approche holistique à la transformation structurelle par des actions touchant à des aspects productifs, infrastructurels, sociaux et institutionnels impliqués dans un processus de transformation de l’économie. Dans un contexte où le Gouvernement fait face à des ressources très limitées pour le financement de son programme, la RDC doit placer l’industrialisation et la diversification de l’économie vers des secteurs dynamiques au centre de ses actions destinées à accélérer la transformation structurelle et le développement économique. Cela est possible si le pays capitalise sur les expériences passées pour adopter une stratégie réaliste d’industrialisation qui tient compte de conditions de son marché intérieur, de la qualité de ses institutions et d’exigences pour saisir les opportunités émergentes dans son environnement.
En conclusion, pour la RDC, la poursuite simultanée de la stabilisation macroéconomique et du développement à long terme repose sur une combinaison intelligente de politiques macroéconomiques et sectorielles, de réformes structurelles, de règlementations prudentielles, d’investissements stratégiques grâce à des partenariats gagnant-gagnant de renforcement des institutions et d’inclusion sociale. Une approche intégrée et coordonnée est essentielle pour réaliser ces objectifs de manière durable et efficace.
Franck Luabeya Kapiamba (Economiste)
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