À en suivre les derniers déroulés, l’affaire dénommée «QatarGate», en plein cours d’instruction, semble de plus en plus, se diriger vers un «EuropeanGate » et concerner avant tout des dysfonctionnements au Parlement européen. Le «Qatargate» qui ébranle le Parlement européen montre la grande vulnérabilité des institutions de l’Union. Il existe pourtant des parades. Décryptage.
Le «Qatargate» est une mine de révélations. Il montre à ceux qui l’ignorent encore comment des puissances étrangères tentent de corrompre des politiciens, parfois avec succès, pour imposer leurs intérêts. Il dévoile combien les institutions européennes, par laxisme et par naïveté, sont vulnérables à ces agressions sournoises. Il témoigne qu’à l’heure des cyberattaques et des stratégies d’influence sur les réseaux sociaux les moyens les plus archaïques – en l’occurrence, des valises pleines de billets de banque – sont toujours redoutablement efficaces.
Pendant des jours, le Qatar a été accusé d’arroser copieusement le Parlement européen, après que plus d’un million et demi d’euros ont été retrouvés aux domiciles des deux principaux suspectés de corruption pour le moment : Eva Kaïli, ancienne présentatrice phare de la télévision grecque et promue vice-présidente socialiste du Parlement européen (parmi 14 autres); et Pier Antonio Panzeri, ancien député européen socialiste, homme de réseaux, pilier de l’institution pendant deux décennies et spécialisé sur les questions du Moyen-Orient, et en particulier du Golfe.
Autour d’eux, des ramifications, qui ont vu plusieurs perquisitions menées par le juge belge Michel Claise, aux bureaux ou domicile de Marie Arena, députée européenne belge et socialiste, ainsi que chez Marc Tarabella, actuel député socialiste au Parlement. Il faut y ajouter la mise à l’écrou du conjoint d’Eva Kaïli, Francesco Giorgi, passé aux aveux depuis.
Entre toutes ces personnalités, une toile de confiance, d’amitié, de sympathie, d’intérêts communs semble s’être créée autour d’un homme.
La justice belge a ordonné, le jeudi 22 décembre 2022, le maintien en détention provisoire de l’euro-députée grecque Eva Kaili, inculpée dans une enquête pour corruption impliquant le Qatar qui lui a déjà coûté son poste de vice-présidente du Parlement européen.
Panzeri semble avoir joué le rôle d’acteur clé de cette affaire de corruption, dans lequel auraient trempé des personnes liées au Qatar et désormais au Maroc. Mais pas seulement, puisqu’un ancien oligarque kazakh, Mokhtar Ablyazov, actuellement poursuivi pour le détournement de plusieurs milliards de dollars, se serait acheté également les services de Panzeri, selon le journal L-Post.
Il est suspecté, tout comme l’ancien Commissaire européen à la Migration, Dimitri Avramopoulos de corruption qui figurait dans le «board» de l’organisation au nom cynique de «FightImpunity» de Panzeri. Une enquête a d’ailleurs été lancée récemment par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne.
L’association de Panzeri aurait probablement joué le rôle de caisse enregistreuse des magouilles de nombreux suspects dans cette affaire. La toile tissée par Panzeri serait donc un aimant à cash pour le dit-nommé, dont auraient profité tous les autres membres du réseau.
Cela pourrait également signifier que cette structure est devenue, au sein du Parlement, d’où les éléments graves suspectés de corruption, une quasi-boite de consultance interne qui a proposé ses services en externe. Il paraît donc peu probable que le Qatar soit allé, comme le Maroc, dans ce magma et cet océan des institutions européennes sans que des personnes ne leur aient proposé leur pouvoir et leur capacité d’influence.
Qatargate : un syndicaliste et un ancien commissaire européen ont reçu de l’argent de FightImpunity
Un dirigeant syndical international et un ancien commissaire européen ont avoué avoir reçu d’importantes sommes d’argent d’une ONG qui se trouve au cœur d’une enquête sur les accusations de tentative de corruption du Parlement européen par le Qatar.
L’influence comme le lobbying est perçue en Europe très négativement comparativement aux pays anglo-saxons, à commencer par les Etats-Unis. Mais même en Europe, il y a du lobbying légal à travers des sociétés de communication, des privés, et du lobbying totalement illégal mené par quelques personnes, en pleine infraction des règles des institutions.
En effet, être élu et représentant du peuple en faisant du «lobbying» lucratif est proscrit par l’Union européenne.
Ainsi, nous saurons à l’avenir qui et quels pays ont été en contact avec la structure de Panzeri, par l’entremise, probablement d’intermédiaires notamment français et marocains, si l’on en croit Le Monde.
Quoi qu’il en soit, ce qui est probable est la manière dont quelques barbouzes européens ternissent une institution tout entière alors que les députés de l’UE passent leur temps à donner des leçons en matière de droits de l’homme au monde entier.
Une plainte déposée contre José Bové pour avoir accusé le Maroc de tentative de corruption
Le Premier ministre marocain Aziz Akhannouch a porté plainte mardi (20 décembre) pour «diffamation » contre l’ancien eurodéputé Vert José Bové, qui l’a accusé de tentative de corruption en 2010.
Cela pose aujourd’hui plus que jamais la question de l’intégrité de l’Union certes, mais plus particulièrement encore celle de la politique de lobbying active qui est pratiquée à son égard au cœur même du système.
Rappelons que selon des chiffres du Parlement européen lui-même, l’impact de la corruption à l’échelle européenne de tous les Etats-membres, s’élèverait à près de 1.000 milliards d’euros, soit 6,3% de son PIB total. Ceci prouve que le problème n’est pas tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du fruit.
Plus de 12.500 organisations sont désormais enregistrées auprès du Parlement, représentant plus de 50.000 personnes. Parmi ces organisations : «FightImpunity» de Panzeri, des ONG, des associations d’entreprises, des entreprises, des syndicats et des think-tanks. Cela a de quoi inquiéter d’autant que si le Qatar et le Maroc auraient profité de tout cela, il est fort probable que la Chine, la Russie et les Émirats arabes unis (comme ils l’auraient fait lors des élections américaines) en ont profité aussi.
Aussi, le Parlement européen ne dispose pas d’organe de contrôle interne, contrairement à la Commission européenne, dotée de l’Office Européen de Lutte Anti-Fraude (OLAF). Si le lobbying est plus strictement encadré côté européen qu’américain, il reste encore extraordinairement laxiste. Un article de L’Express le qualifiait même de «passoire face aux risques de corruption ».
Quant au respect de l’Etat de droit, le Parlement critiquait même en février dernier la Commission européenne pour ce fameux «laxisme » à l’égard de la Pologne et de la Hongrie qui le violent en permanence.
Sur ces aspects, il serait donc temps que l’Union européenne se remette en cause.
Sébastien Boussois
Chercheur en relations euro-arabes/terrorisme et radicalisation, associé au CECID (Université Libre de Bruxelles), à l’UQAM (OMAN- Université de Montréal) et pour SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism).