Si l’adage dit « Autres temps, autres mœurs », en République Démocratique du Congo, c’est plutôt « autre temps, autre droit » qui semble guider les institutions judiciaires. L’affaire Matata Ponyo et le récent revirement de la Cour constitutionnelle en sont une illustration criante. Une justice qui se contredit, se renie et se plie aux exigences politiques perd bien plus que sa crédibilité : elle perd son âme.
Lancé en 2021, le feuilleton judiciaire de l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo, accusé dans le scandale du Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, a fini par ressembler à une parodie de justice. D’abord déclarée » incompétente » en novembre 2021 pour juger un ancien chef du Gouvernement, la Cour constitutionnelle a opéré une spectaculaire volte-face un an plus tard, s’autoproclamant soudain habilitée à le faire.
Comment expliquer un tel revirement, sinon par des pressions politiques ? La Cour, censée incarner l’intégrité du droit, a piétiné ses propres principes, créant une jurisprudence dangereuse. Aujourd’hui Matata, demain qui ?
Cette instrumentalisation ouvre la voie à une justice sélective, où les verdicts dépendent non pas des faits, mais de la proximité avec le pouvoir.
Le problème n’est pas que Matata Ponyo soit innocent ou coupable – la justice a tranché. Le scandale, c’est que les règles du jeu changent en cours de partie. Une institution qui se déjuge ainsi perd toute légitimité. Pire, elle envoie un message glaçant : en RDC, la justice n’est pas un rempart contre l’arbitraire, mais un instrument au service de ceux qui gouvernent.
Cette dérive n’est pas sans conséquences. Si aujourd’hui, c’est un opposant qui est visé, demain, ce pourrait être un proche du régime tombé en disgrâce. Une justice politisée finit toujours par se retourner contre ses manipulateurs.
Le Président Félix Tshisekedi lui-même a reconnu que la justice congolaise était ‘’malade ». Mais les déclarations ne suffisent pas. Il faut des actes, allant dans le sens d’une réforme profonde de la magistrature, garantissant l’indépendance des juges, de la fin des procès téléguidés, où les verdicts sont dictés par l’Exécutif, sans oublier le respect strict de la chose jugée, sans retournements opportunistes.
Sans cela, la RDC continuera d’offrir au monde le triste spectacle d’une justice à deux vitesses, où les puissants sont protégés et les disgraciés condamnés selon les humeurs du moment.
Une nation ne se construit pas sur des verdicts variables, mais sur des principes intangibles. En bradant son indépendance, la Cour constitutionnelle a porté un coup sévère à la démocratie congolaise. Il est temps de restaurer la justice dans son rôle premier : protéger les citoyens contre l’arbitraire, et non servir les calculs politiques.
Car demain, quand le pouvoir changera de mains, ceux qui applaudissent aujourd’hui pourraient bien se retrouver dans le box des accusés. L’histoire est un éternel recommencement.
FK