Les manifestations sanglantes contre la mission onusienne et le drame meurtrier de Kasindi mettant en cause des casques bleus, posent à nouveau la question du départ de la Monusco. Une difficile équation à résoudre au vu de l’importance des Nations Unies dans l’aide humanitaire, et de la dégradation de la situation sécuritaire à l’Est du Congo.
«Monusco dégage !»
La revendication des manifestants à Goma, Butembo ou Uvira la semaine dernière, n’a jamais été aussi clairement exprimée. Le bilan de ces manifestations contre la mission de l’ONU au Congo interpelle également : 15 morts selon le gouvernement, dont trois casques bleus, un peu plus d’une vingtaine d’après le décompte d’organisations de la société civile. Les marches des manifestants contre les installations de l’ONU se sont rapidement transformées en émeutes, puis en scènes de pillage. Jamais le mouvement de protestation contre la Monusco, que la population accuse d’inaction face aux groupes armés, n’avait été aussi virulent et meurtrier.
Ce dimanche, un autre événement, insensé celui-là, s’est produit à Kasindi. « Des militaires de la Brigade d’Intervention de la force Monusco de retour de congé ont ouvert le feu au poste frontalier pour des raisons inexpliquées et forcé le passage », explique un communiqué de la force onusienne. Le bilan est de 2 morts et 14 blessés. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres s’est dit « outré ». Les casques bleus incriminés ont été mis aux arrêts et une enquête conjointe a été ouverte avec les autorités congolaises. Ce second drame impliquant des casques bleus risque de peser lourd dans les relations entre la Monusco et la population congolaise, déjà excédée par l’impuissance de la plus importante et de la plus coûteuse des missions de maintien de la paix dans le monde.
Un bilan contrasté de la présence onusienne
Les habitants de l’Est du Congo dénoncent régulièrement l’insécurité grandissante qui sévit dans la région depuis plus de 20 ans, sans que l’armée congolaise ni les casques bleus ne réussissent à rétablir la stabilité. Plus de 120 groupes armés pullulent dans la zone, deux provinces (Ituri et Nord-Kivu) ont été placées en état de siège depuis plus d’un an sans résultat, la rébellion du M23 a repris les armes au printemps et placé sous son contrôle la ville frontière de Bunagana, et les rebelles ADF ou Codeco continuent de semer la terreur dans les villages de l’Est congolais en toute impunité.
Si le bilan de la Monusco n’est guère reluisant, celui des autorités congolaises l’est encore moins. La mission de l’ONU a certes connu de nombreux échecs, mais elle a surtout permis à la RDC de ne pas sombrer davantage. Les accords de paix de 2003, accompagnés par l’ONU, ont remis le pays sur le chemin de la stabilité, permettant notamment les premières élections libres en 2006. En 2013, la brigade d’intervention rapide de l’ONU a réussi, avec l’aide de l’armée congolaise, à défaire les rebelles du M23, qui s’étaient brièvement emparés de la ville de Goma. Au quotidien, la Monusco assure surtout la logistique et la protection des centaines d’ONG et d’organismes des Nations unies qui opèrent dans l’Est du Congo pour venir en aide aux 5 millions de déplacés qui ont fui l’insécurité et la misère.
Le retrait très politique de la Monusco
A Kinshasa, le pouvoir en place a toujours fait du départ de la Monusco son cheval de bataille. Politiquement, le départ des casques bleus signifierait le retour à la souveraineté pleine et entière des autorités congolaises en matière de sécurité sur l’ensemble de son territoire. Le président Joseph Kabila a très souvent fustigé la présence onusienne qu’il qualifiait «d’ingérence» étrangère, tout en sachant pertinemment que sa présence évitait le pire pour sa population en matière d’accès à l’alimentation, à l’eau potable, à la santé ou à l’éducation. Cette posture populiste anti-ONU a toujours été largement instrumentalisée par les politiques de tout bord pour justifier leurs propres échecs.
Avec le temps et une situation sécuritaire qui n’a cessé de se dégrader ces dernières années, les manifestations qui demandaient d’abord à la Monusco des actions plus musclées contre les groupes armés, se sont aujourd’hui radicalisées pour exiger désormais le départ pur et simple des casques bleus. La position très prudente de l’ONU vis-à-vis du Rwanda, accusé par Kinshasa de soutenir le M23, n’a pas arrangé les choses aux yeux d’une population lassée de devoir subir l’insécurité et la pauvreté depuis plus de 30 ans. Cette frustration et cette colère semblent s’être cristallisées sur la Monusco, dont le mandat n’est pourtant que de soutenir une armée congolaise largement défaillante.
Tshisekedi condamné à un départ progressif
L’hostilité d’une partie de la population, les violentes manifestations et le drame de Kasindi, vont-elles modifier le calendrier de départ de la Monusco ? Pour le moment, il semblerait que non. Le président Félix Tshisekedi souhaiterait bien accélérer le mouvement, et présenter ainsi le départ des casques bleus comme un point positif à son bilan sécuritaire avant les élections de 2023, mais tout comme son prédécesseur, il est bien conscient qu’un départ précipité ne ferait qu’aggraver la situation et risquerait de plonger le pays dans un chaos plus grand.
Pourtant, le gouvernement Sama Lukonde a bien engagé avec les Nations unies un plan de sortie négocié de la mission onusienne. Politiquement, cette annonce permet à Félix Tshisekedi de placer le retrait de la Monusco comme l’un de ses objectifs politiques. Lors du dernier Conseil des ministres du 29 juillet, le Chef de l’Etat a rappelé qu’un plan de départ progressif et échelonné «à l’horizon 2024» avait été signé en septembre 2021. Les casques bleus se sont effectivement retirés du Kasaï en 2021 et du Tanganyika en 2022. Concernant les manifestations anti-Monusco, le président a estimé «qu’une communication appropriée devrait mettre les populations à l’abri des manipulateurs, des ennemis de la République qui agitent les esprits pour le retrait de la Monusco».
Dans cette attaque voilée, on ne sait pas vraiment quelles sont les personnes visées par Félix Tshisekedi. Son allié politique, et président du Sénat, Modeste Bahati qui a appelé la Monusco « à plier bagages » ? L’UDPS local qui a appelé à manifester ? On en doute. Ses opposants politiques qui attendent le moindre faux pas pour fustiger son bilan ? C’est plus certain.
Les espoirs de Tshisekedi dans la force régionale
Du côté des Nations unies, les manifestations de Goma et Butembo n’ont visiblement pas fait changer d’avis le secrétaire général adjoint chargé des opérations de paix, Jean-Pierre Lacroix, qui était à Kinshasa ce week-end. Pour le patron des casques bleus, « la Monusco souhaite créer les conditions du retour de l’autorité de l’État avant qu’elle ne puisse elle-même partir ». C’est dire le chemin qui reste encore à parcourir. Dans le document qui envisage le plan de départ, 18 conditions minimales ont été posées pour effectuer «le retrait progressif et responsable de la Monusco» d’ici 2024. Et à y regarder de plus près, les conditions sont drastiques : réduction sensible des menaces armées, mise en place d’un nouveau programme de désarmement, démobilisation, réintégration communautaire et stabilisation (PDDRCS), rétablissement de l’autorité de l’État dans les zones de conflit, stabilisation des zones minières, la réforme de la justice, mais aussi l’engagement d’organiser des élections crédibles et transparentes en 2023.
La pression est donc grande sur le président Tshisekedi pour atteindre ces objectifs dans les délais. Le point d’étape étant fixé en 2024, soit une année après les élections, le chef de l’Etat estime sans doute pouvoir réussir ce défi lors de son second mandat. Ce qui explique, pour l’instant, l’appel au calme de Félix Tshisekedi à la population. Le président se voit difficilement gérer un départ accélérer de la Monusco en plein état de siège, et 18 mois avant des élections où la mission de l’ONU devrait appuyer logistiquement l’organisation du scrutin. Mais Félix Tshisekedi pourrait bien faire accélérer le mouvement, en comptant sur l’arrivée, cet été, de la force militaire régionale mise sur pied par la Communauté des états de l’Afrique de l’Est (EEAC) à Luanda. Cette force, qui ressemblera comme deux gouttes d’eau à une Monusco-bis, pays contributeurs compris, pourrait se substituer aux casques bleus. C’est du moins la stratégie mise en avant par Félix Tshisekedi pour faire sortir les casques bleus du Congo, tout en continuant d’externaliser sa sécurité à des troupes étrangères.
Christophe Rigaud Afrikarabia