Après le massacre de plus de 50 civils le 30 août, avant une journée de manifestation interdite, les interrogations sont nombreuses sur le rôle de la Garde républicaine qui se retrouve sur le banc des accusés. Cette tuerie, qui n’est pas la première pour les forces de sécurité congolaises, pointe une nouvelle fois les dysfonctionnements au sein d’une armée régulière, responsable de la majorité des exactions contre les civils au Congo.
Plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ont rapidement donné la mesure de la répression sanglante qui s’est déroulée le 30 août à Goma, alors qu’une manifestation contre les casques bleus de la Monusco et la force est-africaine devait être organisée par le mouvement politico-religieux Wazalendo. Une marche interdite par les autorités en raison de l’état de siège dans la région. Sur la première vidéo, on voit d’abord des soldats de la garde républicaine entassant des corps dans la benne d’un camion militaire. Une seconde vidéo montre des tirs nourris d’armes automatiques, dignes de scènes de guerre, dans un nuage de fumée, puis des militaires traînant les victimes au sol. Les vidéos laissent peu de doute sur la violence des exactions commises par l’armée et le nombre important de victimes. Le bilan avancé par les autorités est extrêmement lourd : une cinquantaine de morts, plus de 70 blessés et 130 arrestations. Il s’agit sans aucun doute de la répression la plus sanglante commise par les services de sécurité congolais sous le mandat de Félix Tshisekedi.
Les autorités justifient les violences
Les autorités congolaises donnent très vite une première version de la tuerie de Goma. Kinshasa accuse d’abord le mouvement mystique Wazalendo d’être à l’origine des violences, notamment pour avoir lynché un membre des forces de l’ordre. L’armée indique également qu’elle redoutait que les manifestants soient infiltrés par les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda voisin. Le porte-parole de l’armée congolaise au Nord-Kivu a même affirmé que « les manifestants étaient armés » et que les soldats avaient « opéré de la manière la plus professionnelle possible ». Mais les vidéos et les témoignages recueillis par la presse racontent une toute autre histoire.
« Des exécutions sommaires et systématiques »
Contrairement aux affirmations de l’armée, les premiers témoignages affirment que l’opération militaire, menée par des membres de la garde républicaine, s’est déployée au milieu de la nuit autour de la station de radio du mouvement Wazalendo, bien avant une quelconque manifestation. Six personnes y seront tués. Les militaires, coiffés des bérets rouges de la garde républicaine, se rendent ensuite au petit matin dans une église de la secte. Les témoins interrogés par le site de la RTBF expliquent qu’il n’y avait « aucune arme, aucune machette et donc, aucun objet qui peut blesser » dans l’église. « Ils avaient juste prévu leur marche pacifique, et en pleine préparation, ils ont été attaqués et tués » raconte un autre témoin, qui dénonce des « exécutions sommaires et systématiques ».
La garde républicaine s’invite pour maintenir l’ordre
Devant l’ampleur de la tuerie, les autorités ont dépêché en urgence le ministre de l’Intérieur et celui de la Défense sur place. Un procès en flagrance a été organisé deux jours plus tard à l’encontre de deux officiers supérieurs de la garde républicaine et quatre autres militaires. Pendant ce temps, le gouverneur militaire du Nord-Kivu, le général Constant Ndima a été rappelé à Kinshasa pour être entendu. Selon nos informations, le gouverneur a expliqué qu’il avait d’abord chargé la police nationale d’encadrer la marche. Mais c’est par téléphone qu’il est prévenu par le responsable de la garde républicaine stationnée à Goma, que les troupes d’élites seraient finalement déployées pour gérer la situation. Qui a donné l’ordre à la garde républicaine, censée essentiellement protéger le chef de l’Etat, de venir faire du maintien de l’ordre à Goma ? Les regards se tournent vers Ephraïm Kabi, le patron de la garde républicaine, mais aussi vers les plus hautes sphères de la présidence. Pour l’instant, seul le commandant de la garde républicaine à Goma, le colonel Mike Kalamba Mikombe, est sur le banc des accusés au procès.
Conflit interne dans l’armée
Dans les événements de Goma, les dissonances qui règnent dans l’armée ont éclater au grand jour pendant les auditions des militaires sur le banc des accusés. Après trois jours de procès, où le ministère public s’est évertué à expliquer que les soldats avaient agi de manière « isolée », en dehors de toute « action étatique », le chef des renseignements militaire de Goma a contesté la chronologie de la tuerie. Franck Mutunda était sur place devant les locaux de la radio du mouvement religieux. Il affirme que la garde républicaine n’a pas commencé à tirer sur les membres des Wazalendo après le lynchage du policier, mais bien avant, le policier ayant été tué en représailles de l’assassinat des six personnels de la radio. Le patron des renseignements militaires de la zone affirme également que le chef la garde républicaine l’a empêché de négocier avec les membres de la secte et que les bérets rouges l’auraient même violemment désarmé.
L’armée toujours dysfonctionnelle
Depuis l’arrivée de Félix Tshisekedi, il est très difficile de démêler l’écheveau complexe de la chaîne de commandement de l’armée congolaise. Sa lente reprise en main de la hiérarchie militaire a d’abord dû s’appuyer sur les officiers encore fidèles à Joseph Kabila. Le nouveau chef de l’Etat a pu en écarter certains, comme Célestin Mbala ou l’énigmatique John Numbi, toujours en fuite au Zimbabwe et dont le nom continue de circuler lorsque l’on parle de possible coup d’Etat ; mais Félix Tshisekedi n’a pas pu se débarrasser de l’essentiel des officiers supérieurs, le plus souvent issus des rébellions passés. Sa principale marque d’autorité a été de nommer Franck Ntumba à la tête de la Maison militaire. L’officier supérieur a largement court-circuité la hiérarchie pour s’imposer comme le véritable donneur d’ordre au sein des FARDC, quitte à avoir plutôt mauvaise réputation dans la troupe. Dans l’affaire de Goma, Franck Ntumba est en première ligne, puisque la garde républicaine dépend directement de la présidence. L’opposition dénonce directement la responsabilité du chef de l’Etat.
Des FARDC en roue libre ?
Le drame de Goma nous rappelle encore une fois l’état de déliquescence dans lequel se trouve l’armée congolaise, capable des pires exactions contre les civils. Il ne faut pas oublier que, selon l’ONU, les forces de sécurité congolaise (armée, police) sont le premier facteur d’insécurité au Congo… avant les groupes armés. Plus de 50% des exactions et des violations des droits de l’homme sont le fait de militaires ou de policiers. Goma n’est pas le premier massacre où des membres de la garde républicaine sont impliqués. La répression a toujours été féroce et le plus souvent le fait d’excès de zèle de quelques subalternes qui pensent ainsi contenter leur patron. On peut rappeler la répression sanglante contre la secte Bundu dia Kongo en 2008 et 2020, contre les adeptes du pasteur Mukungubila en 2023 ou encore plus récemment contre les militants de l’Unafec, à Lubumbashi, en mars dernier. Dans toutes ces affaires, les auteurs des exactions sont restés pour la plupart impunis. La tuerie de Goma jette également un regard cru sur la cacophonie endémique et les luttes intestines qui règnent au sein d’une armée disparate. On peut alors se poser la question de savoir qui contrôle vraiment les FARDC ? Personne ne semble vraiment avoir la réponse. Joseph Kabila a perdu de son influence et Félix Tshisekedi n’en a visiblement pas complètement la maîtrise. De quoi inquiéter à trois mois d’une élection présidentielle sous haute tension.
CHRISTOPHE RIGAUD – (AFRIKARABIA)