A un peu plus de six mois de l’élection présidentielle, le principal conseiller de l’opposant Moïse Katumbi, Salomon Kalonda, est incarcéré depuis le 30 mai pour« atteinte à la sûreté de l’Etat». Une accusation «montée de toute pièce» selon ses avocats, qui risque d’affaiblir l’ancien gouverneur du Katanga, candidat à la présidentielle de décembre.
Cela fait maintenant plus de 13 jours que le «conseiller spécial» de l’opposant Moïse Katumbi, Salomon Kalonda, a été interpellé sur le tarmac de l’aéroport de Kinshasa et immédiatement incarcéré. Il a fallu attendre 5 jours pour que les autorités congolaises avancent les premières charges qui ont été retenus contre le bras droit de Katumbi. Pour justifier cette arrestation, les renseignements militaires sont venus s’expliquer devant les médias, ce qui est loin d’être anodin pour l’interpellation d’un conseiller politique. Il faut dire que les griefs avancés par Kinshasa à l’encontre de Salomon Kalonda sont particulièrement lourds et nombreux. Le conseiller spécial du riche homme d’affaires est accusé d’avoir détenu illégalement une arme de poing de 9 mm pendant les manifestations réprimées du 20 mai. On lui reproche également «de se faire sécuriser sans autorisation par des éléments de la force armée de la RDC».
«Renverser Félix Tshisekedi au profit d’un Katangais»
Plus grave selon les autorités congolaises, la saisie du téléphone de Salomon Kalonda aurait révélé des contacts «permanents et fructueux avec les officiers du mouvement terroriste M23/RDF, mais également avec des officiels rwandais». Des «contacts directs» auraient été établis avec le major Ngezi Fred, proche de Sultani Makenga, le chef militaire du M23, ainsi qu’avec Jean-Marie Runiga, le patron de la branche politique de la rébellion et l’ancien ambassadeur rwandais Vincent Karega. Toujours d’après les renseignements militaires, l’objectif de cette collusion avec la rébellion, était de renverser Félix Tshisekedi «au profit d’un ressortissant katangais», province d’origine de Moïse Katumbi. Salomon Kalonda, est donc accusé «d’atteinte à la sûreté de l’État, de détention illégale d’armes et d’incitation des militaires à commettre des actes contraires au devoir et à la discipline».
Perquisitions en cascades
S’en suit alors un rebondissement dont seules les affaires judiciaires congolaises ont le secret. 9 jours après l’interpellation de Salomon Kalonda, l’ancien Premier ministre et opposant Matata Ponyo, révèle que le pistolet ramassé par la police lors de la manifestation de l’opposition appartenait à son garde du corps, et non au conseiller spécial de Moïse Katumbi. Ces derniers jours, des perquisitions à répétition se sont déroulées dans les différentes résidences de Moïse Katumbi et Salomon Kalonda à Kinshasa, mais aussi dans leur fief de Lubumbashi. Des perquisitions qui se sont déroulées en l’absence d’avocats. Au sein de la majorité présidentielle, on estime que les accusations de tentative de déstabilisation sont assez graves pour savoir si le camp Katumbi cache des armes ou non.
«Un copié-collé de l’affaire des mercenaires»
Kinshasa n’a pas encore communiqué sur les résultats de ces perquisitions, mais les proches de l’ancien gouverneur du Katanga, craignent que des armes soient dissimulées par les membres de la garde républicaine dans les domiciles perquisitionnés. Ils redoutent un mauvais copié-collé de «l’affaire des mercenaires» qui s’était déroulé sous Joseph Kabila. En 2016, en pleine crise pré-électorale, les autorités congolaises avaient accusé Moïse Katumbi d’avoir voulu recruter 600 mercenaires pour déstabiliser le pouvoir. Une affaire qui s’était terminée en queue de poisson puisque la justice avait décidé d’abandonner les poursuites devant l’absence de preuves.
L’opposition dans le viseur du pouvoir
Derrière l’arrestation de Salomon Kalonda, qui réfute toutes les accusations le concernant, c’est évidemment Moïse Katumbi que l’on cherche à affaiblir. A bientôt 6 mois de la présidentielle de décembre dans laquelle le président Félix Tshisekedi brigue un second mandat, les opposants sont de plus en plus malmenés. Les manifestations contre le pouvoir sont le plus souvent interdites, reportées et réprimées lorsqu’elles ont lieu. Et Moïse Katumbi fait partie des candidats déclarés particulièrement visés par le pouvoir. Un projet de loi, proposé par Noël Tshiani, cherche à l’écarter de la course à la présidentielle pour ne pas être Congolais «de père et de mère». Et ses déplacements sont le plus souvent entravés, comme au Kongo-Central où le gouverneur avait interdit son entrée dans sa province pour des «raisons de sécurité».
Conseiller de Katumbi depuis plus de 20ans
La mise à l’écart de Salomon Kalonda est clairement un coup dur pour Moïse Katumbi à quelques mois des élections de décembre. Salomon Kalonda est sans doute le plus proche conseiller, et homme de confiance de l’ancien gouverneur depuis plus de 20 ans. Salomon Kalonda s’est notamment occupé des enfants de Moïse Katumbi à Bruxelles. Mais cet homme de l’ombre conseille surtout le célèbre homme d’affaires dans ses nombreuses sociétés, mais aussi au sein de son club de football, le TP Mazembe dont il assure la direction financière. Omniprésent, il accompagne Moïse Katumbi dans tous ces déplacements.
Porte d’accès incontournable vers Moïse Katumbi
Salomon Kalonda connaît également très bien l’ensemble de la classe politique congolaise, notamment Félix Tshisekedi, pour avoir été de tous les combats de l’opposition et de toutes les négociations. Il a été très proche de Fortunat Biselele et Jean-Claude Kabongo, les deux hyper-conseillers du président Tshisekedi, aujourd’hui tombés en disgrâce. Mais Salomon Kalonda est avant tout le passage obligé pour accéder à Moïse Katumbi, une «porte d’accès» et une «courroie de transmission incontournable» pour faire passer les messages à l’ancien gouverneur de la riche province minière. Les tractations secrètes et diplomatiques de l’homme d’affaires n’ont aucun secret pour lui.
Collusion avec le Rwanda ?
La mise à l’écart de Salomon Kalonda risque donc de compliquer la candidature de Moïse Katumbi à la présidentielle. En interne tout d’abord, pour le bon fonctionnement de la campagne électorale, mais aussi sur le front politique. Car en accusant Salomon Kalonda de collusion avec le Rwanda, qui soutient les rebelles du M23, le gouvernement fait passer un message, qu’il distille déjà depuis plusieurs semaines, selon lequel le président d’Ensemble n’aurait jamais dénoncé «l’agression du Rwanda», ni jamais «critiqué Paul Kagame», le président rwandais. Sur France 24, le très porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, avait déclaré que «l’un des candidats, celui d’Ensemble, n’a pas clairement cité le Rwanda depuis le début de la crise». Si Moïse Katumbi a clairement soutenu l’armée congolaise «qui se bat avec courage face aux M23», le patron d’Ensemble a toujours été très prudent vis-à-vis de Kigali, notamment en déclarant sur Twitter que «la guerre n’apporte jamais de solution». Un tweet largement critiqué par les soutiens du chef de l’Etat.
« Faire de Katumbi « le candidat de Kigali»
L’accusation de «trahison» de Salomon Kalonda tombe à point nommé pour les pro-Tshisekedi à la veille d’une campagne électorale qui s’annonce à couteaux tirés entre majorité et opposition. Visiblement, le camp présidentiel cherche à faire de Moïse Katumbi «le candidat de Kigali». Un argument de campagne choc qui pourrait bien faire mouche alors que le conflit est toujours dans l’impasse dans l’Est du pays, où plus de 6,2 millions de déplacés sont réfugiés à l’intérieur de leur propre pays. La collusion avec Kigali tend à devenir le meilleur moyen d’écarter les opposants politiques ou les entourages encombrants. En attendant, le conseiller de Moïse Katumbi pourrait bien rester un certain temps entre les mains de la justice, à l’instar des ex-conseillers présidentiels Fortunat Biselele, ou de François Beya, accusés eux aussi «d’intelligence avec l’ennemi», qui sont en prison ou en «exil médical» depuis plusieurs mois. Ce week-end, Salomon Kalonda a été transféré à la prison militaire de Ndolo. Ce que dénoncent ses avocats, qui n’ont toujours pas pu le rencontrer.
Christophe Rigaud – Afrikarabia