Fuite en avant ou opération rachat ? Difficile à dire. On sait néanmoins qu’après les manifestations hostiles contre la Monusco, suivi d’une tragédie impliquant les casques bleus de l’ONU au poste frontalier de Kasindi, dans la province du Nord-Kivu, la Monusco a vu sa côte de popularité péricliter de manière drastique. Pour l’ONU, c’est non seulement sa crédibilité qui est en jeu, mais aussi son avenir en République Démocratique du Congo. Il fallait bien poser un geste fort pour calmer la colère de la population congolaise. C’est apparemment ce qui vient d’être fait avec la position clairement affichée d’un groupe d’experts qui reconnait, preuves à l’appui, l’agression du Rwanda contre la RDC. A Kinshasa, on s’en félicite. Mais, le Gouvernement veut voir le Conseil de sécurité des Nations Unies franchir le Rubicon en posant des gestes forts contre Kigali. « Nous espérons que les conclusions seront vite tirées pour mettre fin à l’ingérence du Rwanda et ramener une paix durable », a indiqué Patrick Muyaya, porte-parole du Gouvernement.
Le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) a siégé mardi à huis clos à New York (Etats-Unis) au sujet de la situation explosive dans l’Est de la République Démocratique du Congo.
Dans cette partie du pays, le Rwanda s’est installé militairement avec son valet, le M23. Puis, comme si cela ne donnait pas satisfaction, des militaires de l’armée régulière rwandaise ont traversé impunément la frontière. Ils ont même participé à des combats contre les positions des FARDC.
Enfin, les Nations Unies ont finalement un rapport des experts engagés pour faire ce travail de documentation. Ce rapport apporte des détails sur la manière d’opérer des RDF (Rwanda Defence Army), l’armée rwandaise, sur le sol congolais.
Avec des images à l’appui des témoignages, le rapport est documenté que les militaires rwandais combattent les FARDC à l’intérieur des frontières congolaises. En réalité, les experts onusiens ont apporté les preuves irréfutables de la présence rwandaise en RDC. Ils ont aussi apporté la preuve qu’il y avait une forte dose de tolérance des agissements du Rwanda qui viole impunément la souveraineté de la RDC. Des membres des RDF ont mené des attaques conjointes avec des combattants du M23 contre l’armée congolaise et des groupes armés congolais, et ont fourni aux rebelles des armes, des munitions et des uniformes.
En relation internationale, il y a des conséquences à tirer.
Les experts de l’ONU ont finalement crevé l’abcès. Ils ont crucifié Kigali, habitué à des dénégations systématiques de leur présence militaire à l’intérieur des frontières congolaises. Aujou-rd’hui, il est démontré que cette présence est une réalité. Kinshasa a eu enfin gain de cause. Son cri de détresse a fini par réveiller les Nations Unies de son profond sommeil.
Les masques tombent
Elle a certes pris trop de temps, mais le plus important est que les Nations Unies ont enfin donné gain de cause à la RDC qui continuait à condamner l’activisme du Rwanda derrière la pseudo rébellion menée par le groupe terroriste de M23.
Un groupe d’experts de l’ONU sont arrivés à la conclusion que l’armée rwandaise est intervenue dans l’Est de la RDC ces derniers mois, directement et en soutien à des groupes armés, principalement le M23 depuis novembre 2021, selon ce rapport transmis au Conseil de sécurité des Nations Unies.
Les experts sont formels sur un point et notent que Kigali a également «fourni des renforts de troupes au M23 pour des opérations spécifiques, en particulier lorsque celles-ci visaient à s’emparer de villes et de zones stratégiques ».
A ce titre, le rapport de ce groupe d’experts renvoie dans les cordes les autorités rwandaises et détaille, preuves à l’appui, l’implication directe du Rwanda «unilatéralement ou conjointement avec les combattants du M23» dans la partie Est de la RDC.
Se basant sur des vidéos, photos amateurs et des témoins oculaires, présents lors de l’invasion de Bunagana, le groupe d’experts onusiens confirment la présence des forces armées rwandaises et/ou du transfert de leurs équipements au M23, dans et autour de cette cité, situé à environ 50 km de la ville de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu.
Le groupe soupçonne également une assistance de l’Ouganda aux rebelles du M23. A ce propos, le groupe ajoute que «des témoins oculaires et des chercheurs ont rapporté une complaisance passive, a minima, de l’armée ougandaise à la frontière, qui a permis aux combattants du M23 de traverser la frontière» pour attaquer la ville.
Plus explicite, le rapport précise qu’« à plusieurs reprises, des images aériennes ont montré de grandes colonnes comptant jusqu’à 500 hommes armés à proximité des frontières de la RDC, du Rwanda et de l’Ouganda, se déplaçant de manière très organisée et portant une tenue et un équipement militaires standardisés (uniformes et casques très similaires à ceux des RDF)», les forces armées rwandaises.
Deux semaines avant l’assaut sur Bunagana, le 25 mai, la plus grande base militaire congolaise dans le territoire de Rutshuru était sous un feu nourri d’obus de mortier et d’armes automatiques. Le Groupe est d’avis que « le M23 et les RDF ont conjointement attaqué le camp des FARDC à Rumangabo ».
Estimées à environ 900 à 1.000 hommes, les colonnes rwandaises ont «coupé la RN2 pendant plusieurs jours» et «attaqué et délogé les FARDC de leurs positions» le long de cette route, vitale pour Goma.
La réaction de Kinshasa n’a pas tardé. Interrogé par TV 5 Monde, le ministre congolais de la Communication et Médias, Patrick Muyaya Katembwe, a vivement réagi au rapport du groupe d’experts des Nations Unies qui confirme le soutien du Rwanda aux terroristes du M23.
«La vérité finit toujours par triompher. Nous nous réjouissons des conclusions du travail du groupe d’experts des Nations Unies», a dit le porte-parole du Gouvernement. Kinshasa attend désormais le Conseil de sécurité de l’ONU au tournant : «Nous espérons que les conclusions seront vite tirées pour mettre fin à l’ingérence du Rwanda et ramener une paix durable».
Kigali botte en touche
Comme à ses habitudes, le Rwanda a rejeté en bloc « les allégations» contenues dans le rapport du groupe d’experts des Nations Unies.
«Le Rwanda ne peut pas commenter un rapport non publié et non validé», peut-on lire dans un communiqué, en anglais, publié depuis Kigali.
Dans ce communiqué, Kigali dit agir en position de sa défense pour la sécurité de son territoire et de sa population. Par conséquent, Kigali dit s’inscrire dans le processus régional pour la paix et la stabilité, «bénéfique» aussi au Rwanda qu’aux pays de la sous-région.
La roue tourne
En organisant la fuite de ce rapport, le Conseil de sécurité de l’ONU a voulu mettre tout le monde devant la réalité. Plus personne ne pourra donc prétendre ignorer que l’armée rwandaise opère en RDC.
Hasard de calendrier, cette fuite vient de se faire juste au moment où le secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, est annoncé en RDC, avant de boucler sa tournée africaine par le Rwanda.
Ce rapport arrive également au moment où la mission onusienne en RDC, la Monusco, fait face à des manifestations hostiles qui ont fait une trentaine de mort et plusieurs blessés. Après la publication de ce rapport, il y a bien des questions qui taraudent les esprits : Est-ce juste une opération de charme des Nations Unies pour calmer un peuple en colère ? Serait-ce la preuve d’un changement de tactique de l’ONU ? Pas facile d’y répondre pour l’instant.
A Kinshasa, on se félicite néanmoins des conclusions du groupe d’experts de l’ONU qui corroborent la thèse maintes fois défendue par le gouvernement congolais.
Kigali serait-il déjà dos au mur ? C’est encore prématuré de l’affirmer. Reconnaissons néanmoins qu’après ce rapport, les lignes vont fondamentalement bouger.
La diplomatie congolaise doit donc se mettre en mouvement, une copie de ce rapport en main, pour sensibiliser les capitales du monde à l’agression de la RDC qui dure plus d’un quart de siècle. Trop, c’est trop !
Econews