Au siège des Nations unies à New York, Omar Hilale est la bête noire des officiels algériens. … C’est que M. Hilale, diplomate de carrière, connaissant le système des Nation Unies pour avoir été d’abord ambassadeur du Royaume au bureau de l’ONU à Genève de 2008 à 2014, avant d’être nommé à New York en avril 2014, parle toujours preuves à l’appui. Homme de dossiers, infatigable travailleur, M. Hilale explique dans cette interview exclusive les derniers développements du dossier du Sahara marocain, avec la résolution 2654 du Conseil de sécurité en date du 27 octobre 2022, l’implication algérienne et surtout l’infiltration iranienne dans la région du Maghreb, notamment à travers la fourniture de drones aux séparatistes du polisario et autres groupes terroristes. Entretien.
La dernière résolution du Conseil de sécurité, votée le 27 octobre 2022, constitue un vrai tournant de nature à accélérer le règlement de la question du Sahara Marocain. Quelle lecture en faites-vous?
La résolution 2654 n’est pas vraiment un tournant mais une étape importante dans le processus de règlement de la question du Sahara. Elle est structurante dans l’arsenal des résolutions du Conseil de sécurité.
Espérons, comme vous le dites, qu’elle sera de nature à contribuer au règlement de la question du Sahara Marocain. Si ça ne tenait qu’au Maroc, nous œuvrerions pour le règlement définitif de ce différend régional aujourd’hui avant demain. Cependant, pour y parvenir nous aurons impérativement besoin des autres partenaires, particulièrement l’Algérie, qui persiste à se dérober de sa responsabilité première dans la poursuite et la solution de ce conflit artificiel.
S’agissant de sa substance, cette résolution a ancré de manière irréversible plusieurs fondamentaux, notamment: La prééminence de l’Initiative marocaine d’autonomie, dans le cadre de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale du Royaume, comme seule solution à ce différend régional; La solution de la question du Sahara Marocain ne peut être que politique, réaliste, pragmatique, durable et de compromis; L’enterrement définitif du référendum, auquel l’Algérie et son groupe armé séparatiste le Polisario s’agrippent toujours à contre-courant de la légalité internationale, incarnée par les résolutions du Conseil de sécurité; La centralité du processus des tables rondes, avec ses quatre participants, le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie et le Polisario, et dans le même format mis en place par l’ancien Envoyé personnel Horst Köhler; La confirmation du rôle de l’Algérie, en tant que partie principale à ce différend régional, en l’enjoignant à s’engager avec l’Envoyé personnel du Secrétaire général Staffan de Mistura.
En effet, pour la première fois, le Conseil de sécurité appelle l’Algérie, en tant que «partie concernée», à développer et clarifier sa position afin d’avancer vers la solution de ce différend. Il s’agit d’une sommation à l’Algérie, tant par le Conseil de sécurité que par le Secrétaire général de l’ONU, dans son dernier rapport, de lever ses obstacles et ses conditions préalables pour la reprise du processus des tables rondes. Et enfin, la grave préoccupation de la communauté internationale quant à la renonciation par le Polisario au cessez-le-feu en lui ordonnant de s’y conformer.
C’est la première fois que l’Algérie est visée directement, le Conseil de sécurité l’appelant nommément à faciliter le recensement de la population. Comment percevez-vous cette interpellation?
Vous avez tout à fait raison, l’Algérie est instamment interpellée pour faciliter le recensement de la population à Tindouf. Le renforcement de cette disposition dans le corps de la résolution 2654, exprime l’exaspération à l’égard du refus de l’Algérie, depuis près d’un demi-siècle, de permettre au HCR d’enregistrer cette population. Cette interpellation pose une question fondamentale, pourquoi l’Algérie craint-elle tellement l’enregistrement? La réponse est simple, l’Algérie prend le risque de renier ses engagements internationaux en tant que pays hôte, violer les règles statutaires de la Convention de Genève de 1951 sur le Statut des Réfugiés et refuser d’obtempérer aux résolutions du Conseil de sécurité, dans le seul but de camoufler la vérité de La Palice, qui est le nombre gonflé des séquestrés de ces camps.
Plus personne ne croit les chiffres avancés par l’Algérie aux agences humanitaires. Ces camps ont connu une forte hémorragie de leur population vers la mère patrie, le Maroc, ou l’Europe. Seuls restent sur place moins de 30.000 séquestrés.
Les aides humanitaires destinées à la population séquestrée à Tindouf font aussi partie des points soulevés dans la dernière résolution. Cela veut dire quoi pour vous et comment les séparatistes du Polisario peuvent-ils se justifier?
Cette disposition dans la résolution est une reconnaissance par le Conseil de sécurité des affirmations et preuves fournis par le Maroc depuis des décennies au sujet des détournements des aides humanitaires par les dirigeants du Polisario et du Croissant rouge algérien.
Cet appel responsabilise les agences humanitaires internationales et les ONG humanitaires dans l’acheminement et la distribution directe de l’aide humanitaire à ces populations comme seul et unique moyen de mettre fin à ces détournements. Il survient après plusieurs rapports d’investigation accablants du HCR, de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et d’autres ONG internationales humanitaires et, comme le dit le proverbe, «il n’est jamais trop tard pour bien faire». Le Maroc espère que les agences humanitaires ne céderont pas au diktat du Polisario, en s’assurant, par leur pratique onusienne, de la mise en œuvre des recommandations du Conseil de sécurité. Le Maroc restera vigilent et exigeant sur cette question, comme il l’a toujours été depuis la découverte de ce scandale dans les années 80.
Juste après l’adoption de la résolution, vous avez donné une conférence de presse où vous avez soulevé le danger que constitue la livraison de drones iraniens au Polisario. Avez-vous des preuves sérieuses?
Les liens du Polisario avec les groupes terroristes armés sont avérés. Plusieurs rapports sécuritaires et de think tanks les confirment.
Bien plus, Monsieur le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, Nasser Bourita avait alerté la communauté internationale, depuis plus de 4 ans, de l’existence de contacts directs entre le Hezbollah, l’Iran et les milices du Polisario. C’est ce qui a poussé le Royaume à rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran. Le Maroc se devait de défendre sa souveraineté et intégrité territoriale face à l’ingérence iranienne.
S’agissant de la véracité de l’acquisition de drones par le Polisario, cela a été annoncé par le soi-disant «chef de sécurité intérieure du Polisario», le 2 octobre 2022, en Mauritanie, qui a déclaré que les milices du Polisario allaient se doter de ces gadgets militaires. Ces informations n’ont pas été démenties, ni par le chef séparatiste du Polisario ni par son parrain l’Algérie. Ce qui veut tout dire sur leur véracité.
Vous avez dit que ces livraisons, au cas où elles s’avéraient vraies, constituent une menace pour toute la région. Pourquoi?
Comme je l’ai indiqué, le Polisario compte des membres qui ont créé des organisations terroristes ou qui ont rejoint des groupes terroristes existants, tel que «Abou Walid al-Sahraoui», chef de «l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS)», ce qui en fait l’une des principales menaces à la sécurité dans la bande sahélo-saharienne et le pourtour méditerranéen.
Si l’Iran, premier État sponsor du terrorisme au monde, entraine les éléments du Polisario et leur procure un soutien militaire, c’est pour pouvoir mieux infiltrer l’Afrique du nord et, in-fine, la déstabiliser. Comme ce fut le cas au Moyen-Orient.
Faut-il rappeler que le Secrétaire général de l’ONU a, dans son rapport publié en juin 2020, confirmé que les armes utilisées pour attaquer l’Arabie saoudite, en septembre 2019, étaient d’origine iranienne? Le rapport a, également, confirmé que certaines armes et matériels connexes saisis au large des côtes du Yémen en novembre 2019 et février 2020 étaient d’origine iranienne.
L’Iran cherche donc à attiser les conflits en Afrique, comme il le fait déjà dans d’autres régions du monde, ce que le Maroc ne permettra jamais. Car si des drones iraniens parviennent en Afrique du Nord, elles poseront un danger gravissime sur l’ensemble du Maghreb et, partant, la région sahélo-saharienne, qui est déjà déstabilisée par des groupes terroristes. Bien plus, cela pourrait avoir un impact, également, sur la sécurité du voisinage direct européen, qui est à à peine 14 km des côtes marocaines.
Heureusement, les pays arabes ont pris conscience du spectrum de l’ingérence iranienne en créant un quartet de pays arabes qui a pour objectif le suivi de la crise avec l’Iran. Il avait émis, en mars 2022, une recommandation entérinée par le Conseil des ministres arabes des Affaires étrangères exprimant leur solidarité avec le Maroc et condamnant la fourniture d’armes et l’entraînement des milices séparatistes du Polisario par l’Iran, pour porter atteinte à l’intégrité territoriale du Maroc.
Lors du dernier Sommet arabe, tenu à Alger les 1er et 2 novembre, notre ministre a souhaité inclure une forte référence condamnant les interférences iraniennes dans les affaires internes des pays arabes. Malheureusement, l’opposition ferme du président du Conseil, le ministre algérien Ramtane Lamamra, n’a pas permis de s’accorder sur une forte expression arabe contre l’Iran. Aussi, le Sommet s’est-il contenté de s’aligner sur un compromis rejetant toutes les formes d’interférences extérieures. Ce qui inclut celles de l’Iran.
La résolution a bénéficié du vote de 13 membres contre deux abstentions. Cela signifie-t-il pour vous que la clôture de ce dossier approche? D’autant plus que la prééminence de la proposition marocaine d’autonomie a été encore une fois consacrée?
Ce n’est un secret pour personne que l’adoption de chaque résolution du Conseil de sécurité est précédée, dans les coulisses, par une bataille diplomatique acharnée entre le Maroc et l’Algérie, tant à New York que dans les capitales des pays membres du Conseil de sécurité. Grâce à la diplomatie royale agissante, convaincante et proactive, le Maroc a toujours gagné ses batailles. Cependant, il y a encore un long chemin avant de gagner définitivement «la guerre» que nous impose notre voisin algérien.
En effet, les adversaires du Maroc restent accrochés à des paradigmes devenus obsolètes. La position dogmatique de l’Algérie et du Polisario entrave le processus politique et compromet sérieusement la mission de l’Envoyé personnel. Malgré cette adversité féroce, le Maroc a pu engranger des acquis diplomatiques importants que sont principalement la confirmation de la prééminence de l’Initiative d’autonomie, dans les 19 résolutions du Conseil de sécurité, depuis 2007 et l’avènement d’une alliance internationale de plus de 90 pays soutenant cette Initiative, dont deux membres permanents du Conseil de sécurité (les Etats-Unis et la France) et plusieurs pays africains, arabes, latino-américains, etc. Une dynamique positive à laquelle se sont récemment joints 11 pays de l’Union européenne.
Nous espérons que cette alliance en faveur de l’Initiative marocaine d’autonomie convaincra l’Algérie de retourner aux tables rondes, car il n’y pas d’alternatives à ce processus initié par l’ex président Horst Köhler. Il n’y a également aucune alternative à l’Initiative d’autonomie, dans le cadre de la souveraineté du Maroc et de son intégrité territoriale.
Le Maroc peut-il s’attendre à un engagement plus ferme des Etats-Unis et surtout de la France pour «imposer» le projet marocain?
Je ne dirais pas «imposer» mais convaincre. C’est avec cet esprit de compromis et de bonne foi que le Maroc a mis l’Initiative d’autonomie sur la table en 2007. Nous l’avons toujours réitéré, l’Initiative d’autonomie est un document négociable, de quelques pages, comportant les grandes lignes d’un modèle novateur et avant-gardiste de gestion des affaires locales de manière autonome.
L’Algérie et son protégé, le groupe armé séparatiste le Polisario, sont instamment conviés à retourner aux tables rondes et à présenter des propositions pour enrichir ce document.
Les statuts d’autonomie dans le monde ont permis de régler plusieurs différends territoriaux et conflits internes dans une trentaine de pays. Aujourd’hui, 38 statuts d’autonomie sont mis en œuvre avec succès. Je voudrais citer l’exemple de la région d’Aceh, en Indonésie. Le mouvement séparatiste d’Aceh a mené une longue guerre pour l’indépendance de cette région. Toutefois, ces séparatistes ont bien compris que leur objectif est utopique et qu’ils feraient mieux de négocier «l’autonomie spéciale» offerte par l’Indonésie.
Ce qui a débouché sur l’adoption du «Mémorandum d’accord d’Helsinki du 15 août 2005». Depuis qu’ils ont déposé les armes et accepté l’autonomie, ils gèrent leur région dans la paix et la réconciliation, en pleine harmonie avec le pouvoir central à Jakarta.
Ce que nous attendons de l’Algérie et de son groupe séparatiste armé le Polisario, c’est qu’ils reviennent à la raison et qu’ils s’inspirent des autres situations dans le monde où l’autonomie a pu ramener la paix et la réconciliation. Le Polisario a intérêt à déposer, à son tour, les armes, à l’instar du groupe indépendantiste d’Aceh et des autres groupes séparatistes en Europe, en Asie et en Amérique latine et à obtempérer aux résolutions du Conseil de sécurité pour parvenir, dans le cadre des tables rondes, à un accord qui permettra de mettre fin à ce différend régional, qui a paralysé la construction du Maghreb, depuis plus de quatre décennies.
Le temps joue contre les adversaires de notre intégrité territoriale, car cette Initiative d’autonomie n’a pas vocation de rester indéfiniment sur la table des négociations. Comme a dit Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste: «Le Maroc restera dans son Sahara et le Sahara demeurera dans son Maroc jusqu’à la fin des temps».
Le Secrétaire général de l’ONU a mentionné la question des enfants soldats dans les camps de Tindouf. Quels sont vos commentaires sur ce point?
Effectivement, le Secrétaire général a confirmé, pour la première fois, le recrutement des enfants soldats dans les camps de Tindouf, en mentionnant cette question dans son dernier rapport au Conseil de sécurité sur le Sahara Marocain.
Cette confirmation rend justice au Maroc en confortant ses appels incessants, pour attirer l’attention de l’ONU et de la communauté internationale sur l’enrôlement forcé d’enfants soldats, y compris des filles, par le Polisario. Cet embrigadement se poursuit dans les camps de Tindouf, sur le sol algérien, en toute impunité et en violation flagrante des résolutions du Conseil de sécurité et des conventions et instruments internationaux. Le recours au recrutement d’enfants soldats par le Polisario rappelle la stratégie diabolique de l’organisation terroriste daech au Moyen-Orient et du BokoHaram au Nigeria et au Cameroun. L’embrigadement et l’utilisation d’enfants soldats est la pire violation des droits de l’enfant. Il est considéré par la Cour pénale internationale comme un crime de guerre.
Les nombreux messages d’alerte lancés par le Maroc ont permis une prise de conscience internationale de la question du recrutement de ces enfants soldats. A ce titre, de nombreux articles de presse et communiqués ont été publiés, étayés par des enregistrements vidéo et des photos, pris sur les sites même du Polisario et que l’Algérie n’a pas démentis.
Il est grand temps que la Commission européenne s’intéresse, à son tour, à cette question afin de préserver l’innocence des enfants, assurer leur scolarisation et leurs droits élémentaires et leur offrir un avenir meilleur, autre que la préparation à la guerre. C’est une obligation d’assistance à des enfants en danger.
Pour sa part, le Maroc continuera sa campagne de sensibilisation sur les violations des droits des enfants des camps de Tindouf. Les pays, comme l’Algérie, qui accueillent, arment, soutiennent et financent des groupes armés qui recrutent des enfants, assument la plus grande responsabilité juridique et pénale de cette violation flagrante des droits de l’enfant. De ce fait, ils en seront tenus pleinement responsables, par la communauté internationale, au même titre que les groupes armés.
Avec Maroc Hebdo