C’est une lettre presque intemporelle qui date de 1965, écrit par le cardinal Albert Malula, alors abbé de La Sainte Église Catholique Romaine. Replacé dans le contexte électoral de 2023, la lettre colle exactement aux réalités actuelles. Elle n’a pas pris de rides.
58 ans après, cette lettre pastorale montre aussi que l’Église Catholique a toujours été au milieu du village pour éclairer ses brebis, prêt à accompagner les chrétiens catholiques à participer aux destinées du pays.
Intemporelle de cette lettre pastorale que tout Congolais devait lire avant d’aller exprimer sa voix, le 20 décembre prochain, dans les urnes.
Lettre pastorale à l’occasion des prochaines élections du 22 mars 1965
(ŒUVRES COMPLETES VOL.6, pp. 327-329) ; Parole de Dieu : Mt 23 : 1-11
Mes chers diocésains,
Dans quelques jours, vous serez appelés aux urnes à choisir ceux qui prendront en mains les destinées de notre pays. C’est un acte d’une grande importance.
Nous, nous ne faisons pas la politique.
Mais pasteur de vos âmes par vocation divine, il est de votre devoir de vous rappeler vos obligations des chrétiens en face des élections.
Il s’agit d’un vrai patriotisme.
Les chrétiens plus que tous les autres hommes doivent aimer véritablement leur pays. Une façon de montrer cet amour,
C’est de bien choisir ceux qui doivent gouverner le pays. C’est pourquoi nous disons à tous nos chers diocésains : « Allez aux urnes ».
Mes chers diocésains, l’expérience des quatre années passées dans la misère doit vous avoir ouvert les yeux, et vous avoir fait saisir l’importance et la nécessité de faire un bon choix de ceux que vous voulez rendre responsables de votre bonheur devant Dieu, l’Afrique et le monde. Il ne s’agit pas seulement de choisir, mais de bien choisir.
Tout d’abord, nous vous demandons de ne pas vous laisser prendre par ceux qui voudront rabâcher devant vous des slogans verbeux que vous connaissez : «Nationalisme, colonialisme, impérialisme !».
Ensuite, dans l’accomplissement de votre devoir de citoyens, vous ne vous laisserez pas conduire par des motifs d’intérêt personnel et par des considérations tribales.
Celui qui, pour se faire élire, cherche à corrompre les autres au prix d’argent n’agit pas en vrai patriote.
Il poursuit en effet son intérêt personnel; il manque de charité et de respect à l’égard de son prochain, dont il se sert comme un vil instrument pour atteindre ses visées égoïstes.
Celui qui se laisse corrompre manque aussi à son devoir de bon citoyen parce qu’il place son bien personnel au-dessus des intérêts de son pays; il se dégrade en même temps parce qu’il renie sa dignité d’homme libre en se laissant acheter.
A la veille des élections, il est de notre intérêt de vous signaler un autre mal: le tribalisme. Un tribaliste est celui qui cherche à favoriser les hommes de sa tribu uniquement parce qu’ils sont de sa tribu et écarte les autres uniquement parce qu’ils ne sont pas de sa tribu. L’expérience de quatre années nous a montré que c’est le tribalisme qui est la cause des compétitions égoïstes, des divisions, des jalousies, des haines, des actes de violence et de meurtres. C’est encore le tribalisme qui a placé souvent aux postes de commande des hommes dépourvus de connaissances rudimentaires et de capacités que requièrent les responsabilités qu’ils ambitionnent.
Ceux que vous choisissez doivent posséder les qualités requises pour gouverner.
Voici les principales :
1° «Le sens du bien commun et de la justice»
Les quatre années que nous avons vécues dans la misère nous ont appris à discerner les dirigeants soucieux du bien de la masse congolaise d’avec ceux qui ne pensent qu’à eux-mêmes.
Le sens du bien commun fait en sorte que l’homme soit capable de se dépasser; il élève l’homme au-dessus des intérêts de sa famille, de sa tribu ; il le prédispose à fixer comme but final de ses activités politiques le bien de tous, surtout le bien des pauvres.
2° La compétence
Tout le monde n’est pas né pour être chef.
Mais l’orgueil fait pousser l’homme à se surestimer ses qualités; il empêche d’en reconnaitre ses limites; et ainsi beaucoup se croient capables d’être à la tête du pays.
La gestion de la chose publique dans le monde moderne devient de plus en plus difficile et complexe.
Elle exige de celui qui veut qui veut l’assumer des connaissances indispensables que tout le monde n’a pas.
Vous mettrez donc à la tête de notre pays des hommes qui, en plus de leur expérience de la vie, ont prouvé aux yeux de tous qu’ils possèdent des connaissances suffisantes pour gérer les affaires publiques.
3° «L’honnêteté et l’honorabilité».
Des hommes à moralité douteuse seront aussi des politiciens douteux.
La compétence seule ne suffit pas; il faut y joindre des qualités morales sérieuses: le respect de Dieu et de ses lois, l’honnêteté, l’honorabilité.
L’homme que vous placez à la tête du pays doit savoir et reconnaitre que l’autorité dont il est investi vient finalement de Dieu.
Un jour, il devra rendre compte de Dieu de la façon dont il aura veillé au bien commun de son pays.
Sa nouvelle fonction exige donc de lui l’obéissance aux lois divines, la maitrise de soi et de ses passions pour se mettre au service de son peuple.
Sa nouvelle fonction publique doit être avant tout une occasion pour lui de servir son peuple mais non pas de l’asservir pour s’enrichir.
Cela exige de celui qui accède aux fonctions publiques un désintéressement continuel, une grande maitrise de ses passions.
L’expérience de quatre années d’indépendance, vous a appris à connaitre les hommes politiques de notre pays.
Choisissez parmi eux les hommes qui ont prouvé qu’ils possèdent le sens du bien commun, les connaissances requises pour gouverner le pays dans les circonstances actuelles, le respect de Dieu et de ses lois, le respect des autres et de leurs biens.
Voilà mes chers diocésains, ce que j’ai voulu vous dire.
C’est mon devoir de vous éclairer.
«Je le fais avec l’unique souci de rechercher les meilleurs moyens de procurer la paix et le bonheur à tous les habitants de notre pays.»
Albert Malula
Cardinal de La Sainte Église Catholique Romaine