Élections incertaines : Tshisekedi sur les traces de Kabila

En République Démocratique du Congo, organiser les élections dans le délai constitutionnel a été toujours un casse-tête. En 2016, Joseph Kabila, alors président de la République, n’a pas été en mesure de se conformer à ce délai, l’obligeant ainsi à aligner deux cycles de dialogue qui l’ont amené successivement à la cité de l’Union africaine, avant les pourparlers directs du Centre interdiocésain. Deux ans ont été perdus dans les tractations avant que ces élections ne se tiennent finalement en décembre 2018. Comme si l’histoire avait tendance à se répéter, pour le  quatrième cycle électoral de la troisième République, la Céni, sous la présidence de Denis Kadima, pourrait se retrouver dans les mêmes conditions que son prédécesseur, Corneille Nangaa. Craignant un glissement, plus qu’évident, Denis Kadima a pris le soin d’alerter les deux chambres du Parlement (Sénat et Assemblée nationale). Comme Kabila, le Président Félix Tshisekedi est en train d’emprunter – à petits pas certes – le chemin du glissement. Tout comme Kabila, il passera aussi par la case dialogue pour sécuriser son siège présidentiel. Kabila l’a fait en son temps, Tshisekedi semble se retrouver sur ses traces.

Econews

Encore une fois, le président de la Commission

électorale nationale indépendante (Céni), Denis Kadima, a alerté sur les risques de ne pas organiser les élections dans le délai constitutionnel. Il l’a dit au président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso N’Kodia Pwanga, qui l’a reçu en audience, le lundi 7 mars 2022, accompagné de son bureau et des membres de l’Assemblée plénière.

Au sortir de ces échanges, Denis Kadima en a fait le point en ces termes : «Le message est clair. Nous sommes la Commission électorale nationale indépendante qui travaillons pour un processus électoral de qualité et, pour ce faire, nous ne le faisons pas seul. Nous collaborons avec plusieurs autres institutions. C’est pour cela, dans un récent passé, vous nous avez vus rencontrer le Chef de l’État, le Premier ministre. Et aujourd’hui, c’est au tour de venir voir le président de l’Assemblée nationale ».

Qu’est-ce à dire ? Le président de la Céni s’en explique : « Vous savez le rôle que cette institution joue, non seulement par rapport à notre désignation, mais aussi par rapport au travail proprement dit, notamment, toutes les questions liées à la loi. C’est à ce niveau que ça se fait et c’est dans ce cadre-là que nous sommes venus voir le speaker de la Chambre basse du Parlement, discuter de la collaboration qu’il y aura entre les deux institutions. Vous savez sans doute que la CENI conseille le Parlement en matière électorale et puis, il y a bien des choses que l’on peut discuter avec les autorités parlementaires ».

Y a-t-il des lois qui sont encore en suspens au niveau du Parlement pour aider la Céni à mieux accomplir sa tâche ? Denis Kadima n’y pense pas : «Aucune loi n’est en souffrance». En tout cas, pour l’instant. «Il peut y avoir de réforme, le cas échéant, nous savons qu’il y a une proposition de loi, nous allons l’analyser à notre niveau et discuter avec l’Assemblée nationale», a-t-il dit.

D’ores et déjà, il se sent déjà en difficulté et voudrait voir les deux chambres du Parlement placer la Céni dans les conditions de remplir sa mission. «Nous espérons que, durant cette session de mars, une discussion devra avoir lieu et devons avancer jusqu’au point d’avoir les réformes, le cas échéant, parce que les réformes en soi ont un impact sur les opérations. Plus tôt c’est fait, plus tôt on avance», alerte le président de la Céni.

Après l’Assemblée nationale, Denis Kadima et tous les nouveaux animateurs de la Céni ont poursuivi leur ronde au Sénat, à la rencontre de Modeste Bahati Lukwebo, son président.

Obstacles en vue

A la chambre haute du Parlement, Denis Kadima demande des textes qui lui permettraient de bien tenir ces délais. Sans une loi électorale, il est impossible à la Céni d’organiser des élections.

La première leçon est que l’histoire veut se répéter. Ces épisodes sont connus de tous. Les sorties de Denis Kadima alertent sur le décor du glissement, une stratégie utilisée en son temps par Joseph Kabila, alors président de la République.

Le président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, s’est aligné – volontairement ou par la force des choses – sur les traces de son prédécesseur, en ce qui concerne l’organisation des élections générales.

A quelques mois des élections générales de 2023, des tentatives, des manœuvres dilatoires se mettent en place pour s’assurer un glissement du calendrier électoral afin de prolonger le bail dans les institutions issues des élections de décembre 2018.

Si le régime Kabila s’est lancé sur cette voie après plus de 15 ans d’exercice du pouvoir, on ne comprend pas pourquoi le régime UDPS plante le décor d’un glissement du calendrier électoral aux conséquences imprévisibles, potentiellement dangereuses et fatalement contre-productives ?

Plutôt que de se concentrer sur la construction du bilan de l’actuel mandat, qui court encore, le Président de la République l’a plombé en annonçant sa candidature pour un deuxième mandat. Du coup, tous les faits et gestes de son camp sont scrutés et surtout analysés en tenant compte de l’état d’esprit d’un Président-candidat.

C’est ainsi qu’on a vu des députés battant pavillon Union sacrée de la nation s’illustrer dans des projets de révision de la Constitution, afin d’allonger la durée du mandat présidentiel de cinq (5) à sept (7) ans avec effet immédiat. A la manœuvre, la commission juridique de l’UDPS et le président de la Commission juridique de l’Assemblée nationale, l’élu UDPS André Mbata.

Comme si cela né suffisait pas, le député Steve Mbikayi, ancien «kabiliste», devenu Tshisekediste extrémiste, ne jure que par une révision de la Constitution pour allonger le mandat présidentiel.

L’un des brillants juristes de la classe politique congolaise, Christophe Lutundula, actuellement vice-Premier ministre des Affaires étrangères, a déclaré ouvertement être avec Félix Tshisekedi. L’opinion reconnaît en lui l’homme par qui la réduction des tours de la présidentielle à un seul était arrivée à la présidentielle de 2011. L’histoire se répète !

La pression populaire

La révision de la Constitution est un couteau à double tranchant. Qui s’y frotte s’y pique. Il ne fallait pas plus pour que Joseph Kabila, alors Président de la République signe la fin de son régime dans la plus grande cacophonie, après un report de deux ans de scrutins qui s’est avéré contreproductif.

Les manifestations du 15 janvier 2015, qui ont paralysé Kinshasa pendant une semaine, sans l’UDPS, ont signé prématurément la fin du régime Kabila.

Serait-on sur le point de retomber dans les mêmes travers ? Dans le schéma incertain de la révision ou de la modification de la Constitution – c’est selon – si le Président de la République ne tire pas les leçons du passé, il risque de signer la fin de son propre régime, sans bénéficier d’un deuxième mandat. Et se mettant sur les traces de Kabila, alors qu’il n’est qu’à son premier mandat, le président Tshisekedi risque de tout perdre. Le glissement du calendrier électoral est un risque énorme qui finit toujours par se retourner contre son initiateur. Toucher à l’article 220 de la Constitution n’a jamais une partie de plaisir. Joseph Kabila en sait quelque chose.