L’ONU s’inquiète d’une forte détérioration de la sécurité dans la partie Est de la République Démocratique du Congo, particulièrement dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, sous état de siège. Pourtant, vendredi en Conseil des ministres, Mme la ministre d’État, ministre de la Justice et Garde des sceaux a soumis au Gouvernement le projet de loi portant autorisation d’une nouvelle prorogation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu pour une période de 15 jours prenant cours le 5 avril 2022. Selon elle, cette prorogation permettra aux Forces de défense et de sécurité de la RDC, appuyées par l’armée ougandaise, de « consolider les acquis des opérations antérieures et de poursuivre l’envergure des actions en vue de mettre fin à l’aventure terroriste et restaurer la sécurité, la paix et l’autorité de l’État dans cette partie de la République Démocratique du Congo ». Ce qui ne rassure cependant pas les Nations Unies, présentes sur le terrain, via la Monusco.
La situation sécuritaire s’est détériorée dans plusieurs zones de l’Est de la République Démocratique du Congo, malgré des opérations militaires en cours contre les groupes armés, a fait part jeudi la Monusco (Mission des Nations Unies pour la stabilisation de la RDC). «La situation sécuritaire ne s’améliore pas. Il ne faut pas se cacher, elle a même tendance à se détériorer selon les zones », a déclaré le général Benoit Chavanat, Commandant adjoint de la Force de la mission de l’ONU en RDC (Monusco), selon un compte-rendu des activités onusiennes aux médias.
En Ituri, « nous avons les Codeco (Coopérative pour le développement du Congo) au nord qui ont un peu évolué dans leurs objectifs et qui s’en prennent, vous le savez, depuis quelques semaines aux camps de déplacés », a-t-il indiqué.
L’officier a par ailleurs cité les Forces démocratiques alliées (ADF) « qui continuent à commettre ici ou là des atrocités » dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri placées sous état de siège depuis le mois de mai.
Toujours dans l’Est troublé de la RDC, «vous avez le M23 (Mouvement du 23 mars) dont on sent quelques signes de regain d’activités notamment contre les Fardc (armée congolaise) directement mais indirectement sur les civils ».
Plus au sud, « les Maï-Maï (milices d’autodéfense à caractère communautaire) qui s’en prennent à des communautés sur les Hauts-plateaux » de Minembwe dans la province du Sud-Kivu, note encore ce compte-rendu.
Depuis 25 ans, l’Est de la RDC est en proie à des violences, en raison de la présence des dizaines de groupes armés qui commettent des exactions sur des civils.
En Ituri, le groupe Codeco a massacré samedi 14 déplacés, dont sept enfants, alors que dans le Nord-Kivu, les ADF ont tué le même jour quatre voyageurs après avoir tendu une embuscade.
Fin novembre, des armées congolaise et ougandaise ont lancé des opérations contre les rebelles du groupe d’origine ougandaise ADF.
Les mesures prises par les autorités de placer sous état de siège le Nord-Kivu et l’Ituri où ces opérations militaires conjointes sont en cours n’ont, jusqu’à présent, pas réussi à stopper les massacres.
Le paradoxe de l’Est
Confrontées à une crise sécuritaire persistante depuis un quart de siècle, les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu sont placées sous état de siège depuis mai 2021 et leur administration confiée à des officiers militaires et policiers. En proclamant cette mesure sécuritaire exceptionnelle, le président congolais voulait endiguer la crise sécuritaire persistante et sécuriser efficacement les populations et leurs biens dans cette partie du pays.
Paradoxalement, plus de neuf mois après l’instauration de l’état de siège, ces deux provinces ont connu une descente aux enfers, comme en témoignent la flambée des attaques meurtrières, des déplacements massifs de civils, une crise humanitaire sans précédent, la fermeture des écoles dans certaines régions et parfois la suspension de la circulation sur des axes routiers pourtant vitaux pour l’économie de l’est du pays, notamment les routes nationales 4 et 27.
Qu’est-ce qui explique l’inefficacité voire le fiasco de l’état de siège six mois après son instauration ?
À l’issue de sa recherche dans cette partie du pays, Adolphe Agenonga Chober, auteur de l’ouvrage « Est de la RDC : le paradoxe d’un état de siège et d’une insécurité grandissante », a identifié plusieurs facteurs permettant une meilleure compréhension, entre autres une mauvaise planification, la superposition de commandements militaires, la quasi-inexistence de coordination des opérations de traque des présumées ADF, la déficience des moyens logistiques, des effectifs et de la prise en charge des unités déployées au front, l’absence du programme DDR et l’exclusion de la Monusco de la planification et de la mise en œuvre des mesures de l’état de siège.
Pour corriger l’inefficacité de l’approche militaire à l’œuvre, l’auteur propose la restructuration de l’armée autour d’une chaîne de commandement efficace, le renforcement des moyens logistiques, de la prise en charge et des effectifs militaires, l’unification du commandement dans les régions où opèrent les présumées ADF et le renforcement de la confiance des civils vis-à-vis de l’armée, ainsi que la mise en place des stratégies efficaces de désarmement des groupes armés congolais et la réintégration sociale apaisée de leurs membres, en tenant compte des échecs passés. Enfin, il préconise la requalification du mandat et du rôle de la Monusco qui, avant d’entamer son retrait en 2024, doit laisser un pays stable.
Francis M.