Les banques centrales appliquent une politique qui s’appuie sur des théories fausses, et tentent de maîtriser des phénomènes auxquels elles ne comprennent rien : difficile de dire où elles finiront par nous mener…
Les théories monétaristes de l’inflation ont montré leurs limites avec l’expérience des dernières années. On a cru créer de la monnaie – et celle-ci n’a jamais produit ses effets inflationnistes !
L’économiste Anna Schwartz, collègue de Milton Friedman, s’est trompée quand elle a cru que les expériences monétaires de Bernanke allaient provoquer l’hyperinflation : on a eu la déflation. Pourquoi ? Parce que tout simplement ce n’était pas de la monnaie : c’était des simulacres de monnaie, des réserves, des signes sans pouvoir économique. La monnaie soi-disant créée était une monnaie zombie, Canada Dry, elle avait tout de la monnaie, sauf son pouvoir monétaire.
La monnaie est endogène aux processus économiques, elle est produite non par en haut mais par en bas. La monnaie magique a été neutralisée par la chute continue de son utilisation, c’est-à-dire par la baisse de sa vitesse de circulation ou, si on veut, de sa vélocité.
Une théorie qui ne sert à rien
A quoi sert une théorie si la variable centrale – la quantité de monnaie – peut, selon les cas (que l’on ignore), produire ses effets ou ne pas les produire ? A rien.
Pour approcher une théorie de l’inflation, il faut partir du réel. C’est comme par hasard ce que font les zozos actuellement quand ils nous disent que la hausse des prix présente a pour origine… l’offre !
Ah, les braves gens.
Ils reviennent au réel, à la production et aux coûts. Ils nous disent : «on manque d’approvisionnement, on manque de main d’œuvre» – c’est-à-dire qu’ils reviennent aux conditions objectives de la production, celles qu’ils ont passé des décennies à occulter.
Les croyances ne sont plus un guide mais un obstacle à vaincre. Il faut lutter contre elles.
L’importance du facteur monétaire
Il est évident que c’est encore une ânerie, toutefois, car le facteur monétaire joue. C’est lui qui permet la hausse générale des prix : si la monnaie n’était pas accommodante, ce qui est demandé/rare monterait et le pouvoir d’achat disponible pour les autres biens baisserait et leurs prix chuteraient.
Le niveau moyen ne pourrait pas s’envoler dans un système de gestion monétaire rigoureuse. Il n’y aurait que des jeux de prix relatifs.
Une bonne théorie de l’inflation doit tenir compte de la dualité ontologique – à savoir que d’un côté, il y a des valeurs objectives articulées organiquement entre elles par la production, et de l’autre, des prix monétaires articulés entre eux dans un niveau général.
Les prix dépendent des valeurs objectives des biens et services et, en même temps, du fait que ces valeurs ne se manifestent que transformées en prix par la médiation de la monnaie – cette dernière étant, pour compliquer le tout, désirée en elle-même : c’est-à-dire qu’on lui attribue une valeur d’équivalent de tous les désirs.
La valeur des choses dans les économies modernes a une tendance de long terme à baisser parce que les salaires diminuent en proportion de la valeur ajoutée totale, et que les bénéfices sont érodés par une composition organique croissante du capital. Cette tendance endogène au système d’accumulation du capital et de maximisation du profit est le vice interne qui produit les crises.
Ce vice, les autorités monétaires essayent de le contrer en augmentant la masse monétaire de sorte que le prix exprimé en monnaie des biens et services augmente malgré tout.
Mais comme ils ne savent pas comment cela marche, ils avancent sans carte, sans boussole, sans références historiques, sans théories : c’est l’aventure…
Bruno Bertez (Chronique Agora)
Inflation : les banques centrales ne comprennent rien
Les autorités prétendent diriger les cycles économiques – mais aussi les perceptions et les réactions des intervenants à ces mêmes cycles. Sauf qu’elles ne comprennent rien aux phénomènes qu’elles sont censées orchestrer…
La grande affaire, c’est l’inflation, celle des prix des biens et des services et celle des salaires.
L’inflation primaire, celle de la masse de monnaie, n’intéresse personne, et l’inflation des prix des actifs financiers et patrimoniaux est considérée comme normale, comme allant de soi.
C’est cela, l’idéologie dominante, la sélection de ce qui est intéressant ou pas – et la dissimulation du reste, du résidu.
Comme beaucoup de choses, l’inflation est le refuge de l’ignorance des soi-disant savants, économistes, experts, autorités monétaires et gouvernements.
Ils ne vous le disent pas, mais l’inflation, ils ne savent pas ce que c’est, comment cela marche, comment cela se forme, comment cela s’emballe ou comment cela se fait désirer. Pourquoi ? Parce que ce concept est lui-même conçu pour être obscur et constituer un voile.
La vraie inflation, c’est celle des signes monétaires, c’est la création de monnaie en dehors de toute proportion raisonnable… et cela il ne faut pas en parler. Non, il faut parler de ses conséquences apparentes, à savoir la hausse des prix et de salaires.
Il y a aussi le fait que l’inflation de notre époque ne se manifeste pas dans les prix des biens et services mais dans le prix des actifs financiers et patrimoniaux : la monnaie est donnée aux ultra-riches. Ils ne la consomment pas, ils achètent des «actifs» – ou plutôt des droits de propriété, des contrevaleurs. Ce sont donc les prix des actifs qui subissent/bénéficient de l’inflation.
Pas de théorie cohérente
L’économie traditionnelle n’a pas de théorie cohérente de l’inflation.
Charles Goodhart, professeur à la Bourse de Londres et ancien membre du comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre, a fait remarquer :« Le monde à l’heure actuelle est vraiment dans un état assez extraordinaire parce que nous n’avons pas de théorie générale de l’inflation ».
Les deux principales théories proposées – la théorie monétariste selon laquelle la masse monétaire entraîne l’inflation, et la théorie keynésienne selon laquelle l’inflation est causée par des marchés du travail tendus faisant grimper les coûts salariaux – ont été démystifiées par les preuves et les constats historiques.
Le dernier avatar de la théorie keynésienne de l’inflation est tombé ces dernières années avec la prise de conscience du fait que la loi de Phillips ne servait à rien.
Il faut dire que c’est une loi idiote qui exprime une tautologie à savoir que si le facteur travail est demandé son prix monte ! Mise en évidence en 1958, la courbe de Phillips est une courbe illustrant une relation empirique négative (c’est-à-dire décroissante) entre le taux de chômage et l’inflation ou taux de croissance des salaires nominaux.
Ainsi, le courant dominant s’est replié sur une théorie de l’inflation basée sur les « anticipations ».
Les grands prêtres interprètent les signaux de fumée que constitueraient les anticipations, c’est-à-dire… les croyances.
Comme le remarque Goodhart, ceci est «une théorie de pure tautologie». Elle dit que tant que les anticipations d’inflation restent ancrées, l’inflation elle-même restera ancrée.
Mais les anticipations dépendent de la situation actuelle de l’inflation et n’offrent donc aucun pouvoir prédictif.
Il n’y a plus de valeur
Un article de Jeremy Rudd à la Réserve fédérale conclut : « Les économistes et les décideurs économiques pensent que les anticipations d’inflation future des ménages et des entreprises sont un déterminant clé de l’inflation réelle. Un examen de la littérature théorique et empirique pertinente suggère que cette croyance repose sur des bases extrêmement fragiles, et il est avancé qu’y adhérer sans critique pourrait facilement conduire à de graves erreurs politiques ».
Les économistes dominants ne peuvent plus comprendre l’inflation parce qu’ils nient la notion de valeur en soi ou valeur objective des choses.
Pour eux, la valeur objective n’existe pas : elle n’est que dans la tête des gens. Donc il n’y a pas de référent, il n’y a que des prix, c’est-à-dire des expressions en monnaie qui dépendent à la fois de l’attrait des biens et de l’attitude relative que l’on a vis-à-vis de cette monnaie.
Faute de référence objective à la notion de valeur, tout est suspendu dans les airs, sans valeur fondamentale. C’est le caprice, la frivolité, l’incertitude, la fragilité.
Bruno Bertez (Chronique Agora)