Plusieurs figures de la « macronie », et non des moindres, appellent le président à se représenter. Bien que le chef de l’État balaie la polémique, les propos qu’il aurait tenus devant les dirigeants des partis d’opposition, mercredi 30 août, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), regrettant la limitation des mandats présidentiels, laissent perplexes quant à l’idée suggérée par Jean-Jacques Urvoas, Ministre de la justice, Garde des sceaux (2016-2017) sous François Hollande. À l’instar des dirigeants africains, le président français semble être atteint d’une maladie qui est le syndrome du troisième mandat. Cependant, il faut noter qu’en l’état actuel du droit, Emmanuel Macron ne peut pas faire plus de deux mandats consécutifs, rendant impossible sa nouvelle candidature en 2027.
C’est à se demander pourquoi Emmanuel Macron allègrement sifflé lors de son discours au stade de France pour lancer le Mondial de rugby avant France-Nouvelle-Zélande, vendredi 8 septembre, et tout à fait détesté aimerait, s’il le pouvait, persévérer dans sa fonction au-delà de 2027. À cet instant, on peut se demander comment supporte-t-il de s’exposer sans cesse à cette haine qui outrepasse son action pour se polariser sur sa personne. Et pourquoi il désire continuer, guignant une impossible éternité de plaies et de bosses. Bourde, blague, sortie politique, addiction, masochisme ou esprit de revanche ?
L’AVEU DE SAINT-DENIS
À la suite des propos de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, l’un de ses proches, qui appelait à « changer » « la limitation du mandat présidentiel dans le temps », Emmanuel Macron prend ses distances.
« Je suis jour et nuit à ma tâche pour que le mandat que les Français m’ont confié soit utile pour le pays et pour mes compatriotes. Si j’y arrive, cela suffira à mon bonheur et mon ambition. Ce qui m’importe n’est pas de durer, c’est de faire », a expliqué le chef de l’État dans les colonnes de la Provence.
Cependant, il se ravise rapidement : « Les Françaises et les Français m’ont fait un honneur insigne de me faire deux fois confiance en me donnant les moyens d’agir. Je suis plutôt obsédé par le fait que les actions que j’enclenche et les décisions que je prends s’inscrivent dans la durée ».
Et au cours des discussions avec les dirigeants des partis politiques d’opposition pour faire « avancer » le pays, le 30 août dernier, à Saint-Denis, Emmanuel Macron aurait, paraît-il, lâché cette sentence définitive : « Ne pas pouvoir être réélu est une funeste connerie ».
Il se serait plaint que le double quinquennat lui complique l’exercice d’un pouvoir déjà délicat à harnacher comme à cravacher. Sa réélection en 2022 vaut éjection en 2027. Dès lors, on est en droit de se poser les questions suivantes : était-ce une plaisanterie d’un petit prince qui aime manier l’ironie, semblant se foutre comme de sa première barboteuse que le second degré soit mal perçu ? Etait-ce un craquage dont est peu coutumier le jeune suzerain au blindage hors d’âge qu’on imagine mal en thérapie sur le divan de ses avanies ?
Ce qui est évident, ce que son discours devant ses opposants rejoint l’idée d’un possible troisième mandat présidentiel lancée par Richard Ferrand. Autant dire que le président n’a pas fermé la porte à un troisième mandat en 2027. Cette obsession du troisième mandat, qui témoigne de la soif du pouvoir des dirigeants africains, a traversé la Méditerranée. D’où vient le scénario d’un possible troisième mandat d’Emmanuel Macron ?
HYPOTHÈSE ÉNONCÉE PAR JEAN-JACQUES URVOAS
Avant d’être reprise par plusieurs médias, l’hypothèse a été énoncée par l’ancien ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, lors d’un déjeuner avec le bureau de l’Association de la presse ministérielle. Elle est jugée peu crédible par plusieurs spécialistes du droit constitutionnel.
Et si Emmanuel Macron faisait un troisième mandat ? Depuis la modification de la Constitution en 2008, l’idée paraît impossible puisque le texte prévoit que « le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct » et que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Mais ces derniers jours, par plusieurs canaux, cette hypothèse s’est frayé un chemin dans la presse et les réseaux sociaux.
C’est d’abord le 25 novembre 2022, sur France Culture, qu’on en a entendu parler. Le billet politique du journaliste et chef du service politique, Stéphane Robert, se demande si « Emmanuel Macron pourrait jouer les prolongations ». Le journaliste assure qu’il existe un « scénario qu’on peut aujourd’hui envisager et qui lui permettrait, peut-être, de rester à l’Élysée au-delà de 2027. Ce scénario est rendu possible par une décision du Conseil d’État rendue, le 25 octobre 2022, il y’ a tout juste un mois ».
Il fait alors référence à un avis de l’institution qui répondait à une question d’Élisabeth Borne à propos de la situation particulière du président de Polynésie française, Edouard Fritch. Arrivé au pouvoir en 2014, après la démission de son prédécesseur, Fritch a effectué un bout de premier mandat pendant trois ans et demi, puis a été réélu en 2018. Il souhaiterait rempiler en 2023, mais la loi polynésienne limite aussi le nombre de mandats consécutifs à seulement deux. Le Conseil d’État lui a cependant dit que c’était possible puisqu’il n’a pas effectué deux mandats complets.
SCÉNARIO DE FICTION JURIDICO-POLITIQUE
Selon France Culture, « cette décision ouvre le champs des possibles pour Emmanuel Macron » qui pourrait faire le choix de dissoudre l’Assemblée nationale à mi-mandat (puisqu’elle ne lui est pas majoritaire). En cas de nouvelles élections législatives, qui ne lui seraient pas favorables, il pourrait alors démissionner. En tant que président du Sénat, Gérard Larcher assurerait l’intérim, et Macron se représenterait à la présidentielle suivante, estimant qu’il n’a pas effectué un mandat complet. D’où provient cette analyse ? Si la phrase n’est pas dite à l’antenne, le site de France Culture indique que ce scénario de fiction juridico-politique provient « d’une idée suggérée par l’ancien garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas ».
Cette même interrogation est ensuite évoquée par la journaliste Nathalie Segaunes de l’Opinion dans un article publié, le 27 novembre 2022. La démonstration polynésienne y est de nouveau énoncée, et Jean-Jacques Urvoas (qui est cette fois cité) imagine « que le président de la République dissolve l’Assemblée avant la fin de son mandat, perde les élections législatives et démissionne ». Pour le professeur de droit public à l’université de Brest et ancien ministre de la Justice de François Hollande, « le président du Sénat assurerait l’intérim et une nouvelle élection serait organisée. Emmanuel Macron n’ayant pas effectué deux mandats successifs complets, il pourrait donc être candidat ».
Enfin, le 28 novembre 2022, le sujet a été remis sur la table de manière beaucoup plus circonstanciée et « originale » par le journaliste du Figaro, Georges Malbrunot. Dans un tweet, il relaie ainsi une «analyse d’un service de renseignements français » selon laquelle « en 2023, Macron fera passer la réforme des retraites en recourant au 49.3 puis il dissoudra l’Assemblée. Il démissionnerait ensuite, faute de majorité. Ce qui lui permet de se représenter dans la foulée ou au scrutin suivant ». On passe d’une hypothèse à une prévision. La source unique de ce scénario semble être Jean-Jacques Urvoas.
« DÉTOURNEMENT DE L’ESPRIT DE LA LOI »
Reste l’essentiel : la spéculation, qui a fait son bonhomme de chemin, est considérée comme peu sérieuse par quasiment la totalité des spécialistes du droit qui ont pris la parole dans les médias. Dans l’article de l’Opinion, l’expert du droit constitutionnel, Didier Maus, souligne des différences dans la lecture du droit français et polynésien. Pour la Polynésie, il note qu’ « un mandat incomplet ne compte pas dans le décompte des deux mandats », tandis que pour la France, « le mandat d’un président inférieur à cinq ans est considéré comme un mandat en tant que tel ».
Auprès de BFMTV (qui a également évoqué le scénario), deux autres spécialistes du droit rejettent l’interprétation de Jean-Jacques Urvoas. « Emmanuel Macron a été élu deux fois donc il ne peut pas se représenter en 2027, peu importe qu’il aille au bout de son quinquennat », affirme Dominique Chagnollaud, professeur à l’université Panthéon-Assas. Pour Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Panthéon-Sorbonne, « si Emmanuel Macron se représentait en 2027, ce serait clairement un détournement de l’esprit de loi ». Réagissant LinkedIn à l’idée d’Urvoas, le professeur de science politique à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, Bastien François, juge qu’« il suffit de lire l’avis du Conseil d’État – où l’on voit bien que le raisonnement est lié au statut particulier du président de la Polynésie et ne pourrait pas s’appliquer au président de la République – pour se rendre compte que c’est loufoque ».
Malgré ces nombreux avis contraires, Jean-Jacques Urvoas maintient auprès de l’Opinion qu’« on peut plaider le contraire » et « que le mandat s’entende comme un mandat complet est de l’ordre de l’implicite et de la cohérence ». Si d’aventure Emmanuel Macron voulait tenter ce scénario risqué, il reviendrait alors au Conseil constitutionnel de trancher.
Toutefois, rien ne pourra empêcher Emmanuel Macron de se représenter en 2032, après l’élection de son éventuel successeur, si par hasard il le souhaitait. Il n’aurait après tout que 55 ans, seulement trois de plus que Nicolas Sarkozy lors de son élection en 2007.
Robert Kongo (CP)