Entre le Covid-19 et la défiance technologique américano-chinoise, où en est Huawei en Afrique ? Terry He, son président pour l’Afrique du Nord, répond.
Les débats sur la 5G n’ont pas fini de cristalliser les tensions entre les États-Unis et la Chine. Sous la houlette de Donald Trump, la méfiance a atteint son comble et ne s’est pas estompée avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche. Les choix technologiques apparaissent toujours comme des prises de position politiques et stratégiques dans un contexte de rivalité américano-chinoise exacerbée. Au cœur du champ de bataille, le géant chinois des télécommunications Huawei. Alors qu’il est fortement défié en Europe et dans les pays de la sphère d’influence américaine, qu’en est-il de sa situation en Afrique, un continent encore largement sous-équipé et qui a un besoin pressant d’infrastructures pour ne pas rater la révolution numérique. Le géant chinois y est arrivé en 1997 en ouvrant un bureau en Égypte. Depuis, il y travaille à travers 17 bureaux de représentation, deux Open Labs (en Égypte et en Afrique du Sud). Il y a déployé pas moins de 200.000 kilomètres de fibre optique, soit près 50 % des réseaux 3G et 4G, y touche, par ses produits et services, deux tiers de la population à travers plus de 200 opérateurs, pour une part évaluée entre 20 et 30 % des revenus de la région Europe-Moyen-Orient-Afrique estimés à 27,7 milliards de dollars US l’année dernière contre 31,6 en 2019. Terry He, son président de la région Northern Africa, a accepté de nous éclairer sur la situation de Huawei en Afrique aujourd’hui.
Huawei a été depuis 2019 l’un des symboles de la rivalité américano-chinoise. Quel a été l’impact de cette situation sur vos marchés en Afrique ?
Nous sommes présents en Afrique depuis plus de vingt ans et nous bénéficions d’une confiance sans faille de l’ensemble de nos partenaires et clients. C’est pourquoi nos activités sur le continent restent stables, et je m’en félicite. En outre, en tant que leader mondial dans la fourniture de solutions et d’infrastructures de technologies de l’information et de la communication (TIC), nous avons pour mission de donner accès aux technologies numériques à chaque personne, foyer et organisation – quelles que soient les rivalités internationales.
L’Afrique est aujourd’hui la plus grande zone de libre-échange au monde. Selon la Banque africaine de développement, elle représente un marché de 1,2 milliard d’individus avec une croissance estimée à 3,4 % pour 2021, et la moitié de sa population aura moins de 25 ans en 2050. Les défis et les aspirations du continent sont donc loin de la rivalité que vous évoquez. En effet, l’Afrique a toutes les cartes en main pour être le moteur du XXIe siècle, d’autant plus que la pandémie a été un véritable accélérateur de la digitalisation. Le dynamisme et la résilience de son tissu économique sont aussi l’une de ses grandes forces que nous souhaitons encourager et dynamiser.
Pour accompagner cette transition, nous souhaitons poursuivre nos activités dans un climat de confiance, car, encore une fois, notre seul objectif est de permettre à l’ensemble des populations africaines d’accéder aux services numériques afin de créer de la valeur pour soutenir le développement du continent. Nous sommes fiers de pouvoir accompagner ce développement à travers la mise à disposition de nos solutions technologiques que nous avons d’ailleurs présentées au Gitex, le Salon international de la technologie à Dubai. Chez Huawei, nous voulons donner à voir le potentiel de l’Afrique !
Comment, dans ce contexte difficile, Huawei réussit-il ses montages pour financer ses projets en Afrique ?
Nous avons des partenaires financiers solides, qu’ils soient africains, chinois ou internationaux. Je tiens d’ailleurs à les remercier pour leur engagement et leur confiance. Grâce à eux, nous avons fait preuve d’une grande résilience, partout dans le monde et plus particulièrement en Afrique. Nous sommes restés mobilisés au plus fort de la crise, et nous le sommes bien sûr en ce moment, pour répondre aux attentes et aux besoins de tous nos clients.
Chaque fois que nous l’avons pu, nous nous sommes tenus aux côtés des populations pour faire face à la pandémie en mettant, par exemple, en place au Maroc, grâce à une solution d’intelligence artificielle (IA), un service d’analyse d’images médicales et de téléconsultation à disposition du gouvernement. D’autre part, je souhaite rappeler le courage, la résistance, l’imagination et l’engagement des gouvernements, de nos équipes, partenaires et clients face à ce contexte exceptionnel ! Celui-ci a même joué un rôle d’accélérateur de la digitalisation en démocratisant les usages du numérique.
Nos partenaires financiers l’ont compris : la meilleure réponse à la situation est de fournir aux opérateurs télécoms des produits et des solutions de réseau innovants et de pointe, sécurisés et fiables, afin d’accompagner le développement de l’économie numérique dans les pays de la région pour que chacun puisse y prendre part et en bénéficier. Dans tous les cas, je tiens à rappeler que Huawei continue et continuera d’investir sur le continent, car l’entreprise s’y projette sur le long terme et les initiatives que nous portons nous tiennent véritablement à cœur.
Alors qu’on assiste à un reflux inégal du Covid-19 en Afrique, l’affaiblissement des moyens des États obligés de mobiliser leurs ressources pour contrer la pandémie a-t-il conduit à perturber de manière significative vos chantiers ?
Huawei n’a ralenti le développement d’aucun de ses projets en Afrique. L’inauguration en juin 2021 du data center au Sénégal est une belle illustration. Nos activités ont trouvé toute leur justification dans le boom digital engendré par la pandémie, laquelle a démultiplié les besoins de nos clients publics et privés en accès à Internet et en infrastructures du numérique. Tout cela s’inscrit dans une vision à long terme que la conjoncture ne doit pas impacter, car nous œuvrons chaque jour au développement de l’écosystème digital africain qui doit jouer un rôle de levier pour l’ensemble des économies du continent.
Nous avons, par exemple, développé des solutions e-gouvernements dans plusieurs pays africains avec notamment la mise à disposition gratuite d’un système de vidéoconférence fiable et sécurisé. Par conséquent, ma priorité est d’aider les gouvernements africains à accélérer leur transformation digitale tout en promouvant une économie numérique durable, grâce à l’expérience et aux solutions innovantes de Huawei.
Huawei se dit positionné « en Afrique, pour l’Afrique ». Quid des résultats de votre politique de Responsabilité sociétale d’entreprise et d’impact en Afrique ?
Huawei partage une histoire commune avec l’Afrique depuis plus de vingt ans. Une relation nourrie sur le long terme, où nous apprenons beaucoup et développons notre expertise au service des populations, tout en nous engageant à soutenir au maximum le développement du continent. Ainsi, notre solution innovante RuralStar – déployée en RDC, en Éthiopie, en Guinée et au Cameroun – vise à réduire considérablement les coûts de construction et de déploiement du réseau dans les espaces ruraux, et permet de connecter plus de 1.000 villages et 2 millions de personnes.
En ce qui concerne la formation, nous nous sommes engagés dans des investissements de plusieurs centaines de millions de dollars américains à travers des programmes inédits, comme Seeds for the Future ou ICT Academy, qui bénéficieront à plus de 1.5 million de personnes dans 150 pays – parmi lesquels de nombreux pays africains. L’initiative ICT Academy a déjà permis de former plus de 41 000 personnes rien que dans la région Northern Africa qui compte 28 pays. Pour ce faire, nous collaborons avec les États africains dans l’accompagnement des talents en nous alignant sur les stratégies nationales à travers la signature d’accords-cadres avec les gouvernements. C’est le cas par exemple en Égypte où nous avons développé le programme iTB (ICT Talent Bank) visant à identifier une expertise en TIC parmi les néodiplômés. À ce jour, l’Égypte a signé plus de 70 ICT Academies, formé plus de 15.000 étudiants et obtenu près de 5.000 de certificats de compétences en TIC. Cela a permis au pays de combler les postes vacants d’ingénieurs dans les domaines technologiques les plus avancés tels que l’IA ou le cloud.
Nous avons également lancé le programme DigiSchool au Sénégal en août 2020, en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale, le Bureau régional de l’Unesco pour l’Afrique de l’Ouest et l’opérateur local Sonatel. À travers ce projet, nous fournissons des formations à distance aux enseignants afin de pérenniser l’apprentissage, quelles que soient les contraintes. Le programme doit ainsi bénéficier à 20.000 enseignants et 100.000 élèves dans 200 écoles. Enfin, nous avons récemment décidé d’accompagner l’initiative Young Leaders de Women in Africa. À ce titre, nous assistons les cinq lauréates africaines durant un an à travers un programme de mentoring tout en leur mettant à disposition nos solutions technologiques et notre expertise. Ces investissements de taille soulignent l’engagement de Huawei en Afrique pour l’Afrique et notre volonté de créer des connexions africaines.
L’Afrique est engagée sur plusieurs fronts, santé, agriculture, éducation, formation, énergie, bancarisation, digitalisation, etc. dans la logique de créer de la valeur sur place. Comment Huawei envisage-t-elle d’infléchir son accompagnement pour répondre à ses besoins dans un environnement contraint par la lutte contre le changement climatique ?
Nous sommes convaincus que le continent a tout intérêt à se lancer dans la course à la neutralité carbone : il y va de l’avenir de notre planète mais aussi de la pérennité de son développement. Pour atteindre cet objectif, la transformation et la mise à niveau du secteur de l’énergie sont prioritaires.
En effet, la transformation énergétique est une dynamique qu’il est essentiel d’accélérer, mais surtout d’accompagner en Afrique. Celle-ci a le potentiel de rendre la production et la consommation d’une énergie verte plus fiables et plus efficaces, passant d’un système centralisé unique à un système diversifié, distribué et intégré qui mettra la technologie au centre de tout. L’objectif final est d’atteindre une coordination à énergie multiple et de présenter un bilan carbone neutre, en utilisant davantage de ressources renouvelables. En tant que fondement des infrastructures, l’énergie est l’un des principaux facteurs de compétitivité de l’économie numérique. En ce sens, elle doit faire l’objet d’une attention particulière et d’investissements forts de la part de l’ensemble des acteurs privés et publics du continent.
C’est pourquoi nous avons déployé au Cameroun la solution Rural Solar Power qui combine les réseaux ruraux et l’énergie solaire en formant un écosystème complet comprenant l’agriculture, l’électricité et les applications mobiles. De 2014 à 2021, Huawei a signé trois phases de ce projet (panneaux solaires hors réseau), avec le ministère de l’Eau et de l’Énergie du Cameroun. Ce dernier a bénéficié à plus de 350 villages et 40.000 ménages, qui ont ainsi pu avoir un accès facilité à des sources d’électricité fiables.
En Éthiopie, nous innovons constamment à travers nos solutions de numérisation, d’IA et de stockage d’énergie. Nous y avons, par exemple, déployé plus de 400 sites solaires qui utilisent notre solution Advanced Hybrid Power basée sur des Smart Micro Grids : l’énergie solaire est ici utilisée pour fournir de l’énergie aux stations de bases assurant la connexion entre les téléphones mobiles et le réseau téléphonique ou le réseau Internet de communication. Comparée à la solution d’alimentation électrique traditionnelle, cette solution économise plus de 12 millions de litres de carburant diesel par an et a réduit les émissions de carbone de 2.850 de tonnes chaque année, tout en résolvant le problème de l’approvisionnement en énergie verte !
Face aux défis de la transition énergétique, chez Huawei, nous associons la technologie énergétique traditionnelle à la technologie numérique pour fournir des solutions énergétiques vertes, intelligentes et sécurisées.
Une question technique maintenant. Interdite d’utiliser les systèmes d’exploitation américains, Huawei travaille à son propre système. Quels avantages lui voyez-vous et comment comptez-vous le populariser dans des marchés comme l’Afrique ?
Nous avons effectivement lancé en 2019 HarmonyOS, mais cela fait plus de 10 ans que nos ingénieurs travaillent dessus. C’est un système d’exploitation spécialement pensé pour répondre et s’adapter aux besoins d’un avenir où des objets variés (smarthome devices, appareils domestiques et équipements industriels) seront massivement interconnectés. Il présente trois caractéristiques fortes: d’abord, un système d’exploitation qui peut être déployé de manière flexible sur des appareils dotés de différentes quantités de RAM (mémoire vive). Ensuite, la possibilité de connecter les différents appareils au niveau du système logiciel afin qu’ils puissent mettre en commun leurs capacités matérielles pour former un seul Super Device. Enfin, avec HarmonyOS, les développeurs n’ont qu’à développer un seul ensemble de codes pour déployer les services sur plusieurs appareils intelligents.
Pour votre information en août 2021, plus que 120 millions d’utilisateurs se sont mis à niveau vers HarmonyOS 2.0. Il est important de souligner que nous n’avons pas construit un autre Linux, Android ou iOS : nous développons le système d’exploitation nouvelle génération pour l’avenir. Nous avons également lancé des produits tels que la montre connectée Huawei Watch 3|3Pro et la tablette Huawei MatePad qui intègrent HarmonyOS 2.0. Et nous continuerons à développer ces innovations pour nos utilisateurs en Afrique.
Econews avec Le Point Afrique