Le général Abdel Fattah al-Burhane, qui chapeaute la transition au Soudan, a annoncé lundi dissoudre les autorités, dont la quasi-totalité des membres civils ont déjà été arrêtés dans ce que les prodémocratie ont qualifié de «coup d’Etat». La transition amorcée en 2019 après 30 années de dictature semble plus que jamais compromise dans ce pays d’Afrique de l’Est.
Le Soudan tournait encore au ralenti mercredi. Des opposants au régime militaire maintenaient encore les barricades érigées dans certains quartiers de Khartoum. Les forces de sécurité multipliaient des arrestations de militants pour tenter de contenir la contestation qui a déjà fait au moins six morts et plusieurs blessés selon les médecins.
Des heurts ont eu lieu notamment dans le très remuant quartier de Bourri, dans l’est de Khartoum où des centaines de manifestants ont jeté des pierres, ou dans la banlieue de Khartoum-Nord où les forces de sécurité ont fait usage de lacrymogènes et de balles en caoutchouc.
«Le général Burhan vient de voler la révolution et le sang des martyrs, des gens qui ont été martyrisés le 3 juin 2019. C’est un agenda planifié par le Congrès populaire pour contourner la révolution.», explique Negm El-Deen Mohamed, un jeune soudanais basé à Khartoum.
A Khartoum, des pick-up tournent avec des membres des forces de sécurité, tous armés mais en habits civils. «On dirait exactement les forces de sécurité de Béchir», affirme Hanaa Hassan, une manifestante, en allusion au général Omar el-Béchir, arrivé au pouvoir après un coup d’Etat en 1989 et qui a régné pendant 30 ans sans partage.
La grève générale lancée par les pro-civils paralyse le pays. Banques, commerces, pharmacies et autres structures ont baissé leur rideau. Asphyxiant davantage une population plongée depuis des mois dans une situation socio-économique alarmante.
Devant les rares boulangeries qui fonctionnent encore, il faut désormais faire la queue pour acheter son pain.
Alors que la Banque mondiale vient de suspendre son aide, vitale pour ce pays plongé dans le marasme économique. Mettant ainsi la pression sur les militaires pour un retour au processus de transition. Pression venue aussi de l’union africaine, des Etats-Unis et de l’ONU.
Le porte-parole des Nations unies, Stéphane Dujarric a indiqué que l’émissaire des Nations unies au Soudan, Volker Perthes, a rencontré mercredi le chef de la junte et le Premier ministre Abdallah Hamdok qui «n’est pas libre de ses mouvements».
Plus de 65 ans de guerres civiles et de coups d’Etat
Entre l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient, le Soudan partage ses frontières avec le Soudan du Sud, le Centrafrique, le Tchad, la Libye, l’Egypte, l’Erythrée et l’Ethiopie, et dispose d’une façade maritime sur la mer Rouge. Avant la sécession du Sud en 2011, c’était le plus grand pays d’Afrique. Sa superficie atteint désormais près de 1,88 million de km2, partiellement désertique.
Sa population de 43,8 millions d’habitants (Banque mondiale 2020), majoritairement musulmane, se caractérise par une forte diversité ethnique. L’arabe est la langue officielle. La charia (loi islamique) instaurée en 1983 puis gelée, a de nouveau été appliquée sous le régime d’Omar el Béchir.
En 1989, Omar el-Béchir prend la direction de cet ancien condominium anglo-égyptien, indépendant depuis 1956, après un coup d’Etat militaire soutenu par les islamistes. Il est élu président en 2010 puis en 2015 lors de scrutins boycottés par l’opposition. Il est destitué par l’armée le 11 avril 2019, après quatre mois d’une contestation populaire déclenchée par le triplement du prix du pain. En juillet, militaires et contestataires signent un accord de transition de trois ans.
Le président déchu a depuis été condamné pour corruption. Il est également jugé à Khartoum pour le putsch qui l’a amené au pouvoir. Lundi, après des semaines de tensions entre militaires et civils qui se partagent le pouvoir depuis 2019, l’armée a arrêté la quasi-totalité des dirigeants civils, notamment le Premier ministre parce qu’il refusait de soutenir un «coup d’Etat», selon le ministère de l’Information.
Guerres civiles
Après une première guerre civile (1955-1972), un second conflit entre Nord et Sud fait deux millions de morts entre 1983 et 2005. Un accord de paix est signé en 2005 et le Soudan du Sud proclame son indépendance le 9 juillet 2011.Au printemps 2012, les relations Nord-Sud s’enveniment dans des zones frontalières riches en pétrole. Des combats opposent les deux armées.
A partir de 2003, la région du Darfour (ouest) est secouée par un conflit opposant les forces soudanaises à des rebelles de minorités ethniques, provoquant plus de 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés essentiellement les premières années, selon l’ONU. En août, le Soudan a annoncé son intention de remettre Omar el-Béchir à la Cour pénale internationale (CPI), réclamé depuis plus de dix ans pour «génocide» et crimes contre l’humanité lors du conflit au Darfour.
Crise économique
Le Soudan, qui compte de nombreuses mines d’or illégales est classé 170e sur 189 pour son Indice de développement humain (Pnud 2020).La sécession du Sud a plombé l’économie soudanaise, privée des trois quarts de ses réserves de pétrole et de l’essentiel des revenus de l’or noir .Le pays a également pâti de 20 ans d’embargo américain en raison de violations des droits humains et de liens avec le «terrorisme», jusqu’en 2017, et de son inscription sur la liste noire américaine des pays soutenant le «terrorisme», jusqu’en décembre 2020, freinant les investisseurs étrangers.
Le pays pratique une politique d’austérité en échange de l’effacement de sa dette par le Fonds monétaire international (FMI), avec une suppression de subventions, notamment sur les carburants. L’inflation avoisine les 400%. La crise est encore aggravée par des blocages de manifestants. Le pays connaît par ailleurs des inondations dévastatrices.
Les civilisations anciennes du Soudan ont érigé davantage de pyramides que celles d’Egypte mais restent largement méconnues. Le site archéologique de l’île de Méroé (220 km au nord de Khartoum), classé au patrimoine mondial de l’humanité, a fait l’objet d’une exposition au Louvre en 2010. Cette civilisation (du IIIe siècle avant J.-C. au IVe siècle après J.-C.) avait emprunté des traits culturels à l’Egypte pharaonique, à la Grèce puis à Rome, s’ajoutant à un substrat africain.
Econews avec Africanews.com