Sécurité oblige, le suspense autour de sa venue a été entretenu jusqu’aux dernières minutes précédant son arrivée. C’est finalement dimanche 10 décembre, à la tombée de la nuit, que Félix Tshisekedi, accompagné de son épouse et escorté par une escouade de la Garde républicaine et de policiers, a fendu la foule massée au stade Afia de Goma pour délivrer son discours de candidat à sa réélection, le 20 décembre, à la présidence de la RDC.
L’enceinte sportive, où certains ont attendu des heures sous l’orage, avait été pavoisée de drapeaux. Les supporteurs portaient casquettes et tee-shirts blancs. Aucun autre candidat n’a jusqu’ici déployé de tels moyens pour mener campagne dans la capitale de la province du Nord-Kivu. Plusieurs jours avant l’arrivée du chef de l’Etat dans l’est du pays, des cyclistes avaient déjà commencé à remorquer dans la ville des affiches géantes sur roulettes et des jeunes distribuaient des prospectus à l’effigie de «Fatshi Béton», un surnom donné au chef de l’Etat par ses partisans en référence aux routes construites depuis son arrivée au pouvoir en 2019.
La solidité, c’est aussi le caractère que tente de faire valoir Félix Tshisekedi face au Mouvement du 23 mars (M23), dont les combattants encerclent quasiment la ville. « Goma est le symbole de la résilience et de la résistance face à une invasion étrangère. La ville ne tombera pas et il est important que le président passe par là », indique-t-on à la présidence congolaise, alors que le soutien du Rwanda à groupe rebelle a été confirmé par des rapports d’experts du conseil de sécurité des Nations unies.
«Mettre fin au terrorisme barbare»
L’étape de Goma intervient à un moment crucial. Depuis qu’ils ont repris les armes fin 2021, les insurgés du M23 administrent une partie du Nord-Kivu. Dans certaines localités, situées dans le territoire du Rutshuru, du Masisi et du Nyiragongo, les élections générales – présidentielle, législatives, provinciales et une partie des communales – ne pourront se tenir. Ces zones sont contrôlées par les rebelles et les habitants n’ont pas pu recevoir leur carte d’électeur. Malgré cette exclusion, la province reste la seconde en nombre de votants potentiels avec un peu plus de 3 millions de personnes appelées aux urnes.
Pour l’heure, la vox populi s’exprime autrement : «Paul Kagame, kufa kufa ! [meurs, meurs] », scande la foule en swahili quelques minutes après le début du discours présidentiel.
«Qualifié un temps de « frère » par Félix Tshisekedi, le président rwandais est devenu l’ennemi numéro un. « Le M23 a été amené par son leader Paul Kagame. Nous allons mettre fin au terrorisme barbare qui a endeuillé notre peuple pendant des dizaines d’années », promet désormais le chef de l’Etat congolais à l’assemblée. Deux jours plus tôt à Bukavu, le chef-lieu de la province du Sud-Kivu, il n’avait pas hésité à comparer son homologue rwandais à Adolf Hitler.
Une volte-face, au regard de sa dernière visite à Goma en juin 2021, six mois environ avant le retour du M23 et dix ans après leur défaite lors de la précédente insurrection en 2012. Les deux présidents s’étaient alors affichés côte à côte en conférence de presse et avaient signé trois accords commerciaux. «Nous avons perdu tant d’années à vivre, en nous regardant en chiens de faïence, en vivant en tensions et en situation de guerre, mais aussi à partager la haine, maintenant ça suffit ! », avait alors déclaré M. Tshisekedi. Deux ans plus tard, la construction d’une nouvelle relation entre Kinshasa et Kigali est au point mort.
«S’engager davantage»
«Il ne manque plus grand-chose pour vaincre définitivement cet adversaire », assure le président congolais. Pourtant, de violents combats opposent toujours les rebelles du M23 et les troupes pro-gouvernementales, notamment ces derniers jours au niveau de Mushaki dans le territoire du Masisi, provoquant une nouvelle catastrophe humanitaire.
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), 570 000 personnes ont été contraintes de fuir leur foyer ces deux derniers mois et ont rejoint les camps de déplacés, déjà surpeuplés, aux portes de Goma. Depuis début octobre, le M23 gagne du terrain et avance désormais sur les positions laissées libres par les soldats de la communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC), malgré l’alliance de l’armée congolaise avec des groupes armés locaux regroupés sous l’appellation «Wazalendo».
«Des combattants – parfois accusés de viols ou de crimes de guerre, notamment par l’ONU – qui seront engagés comme « réservistes de l’armée », promet Félix Tshisekedi pendant le rassemblement : «J’ai besoin des jeunes gens, hommes et femmes, courageux, aimant leur pays pour remplir les rangs de notre armée.» Si 40.000 ont déjà répondu à l’appel, le candidat-président estime que ses concitoyens doivent «s’engager davantage».
Avec Le Monde Afrique
