« Jamais deux sans trois », dit le vieil adage. Il aura suffi que Vital Kamerhe, Jean-Lucien Bussa, Julien Paluku et consorts annoncent la création du Pacte pour un Congo retrouvé (PCR) pour que vingt-quatre heures après, une autre plateforme voie le jour. La Dynamique Agissons et Bâtissons (DAB) réunit autour du Premier ministre Sama Lukonde d’autres hauts cadres de l’Union sacrée de la Nation, dont les ministres du gouvernement sortant Modeste Mutinga, Guy Loando, Muhindo Nzangi, la gouverneure intérimaire du Lualaba Fifi Masuka et les anciens conseillers du Chef de l’Etat Dany Banza et Jean-Claude Kabongo et le PALU Godefroid Mayobo… Les uns et les autres expriment leur attachement au Président réélu Félix Tshisekedi et réaffirment, la main sur le cœur, leur détermination à l’aider à mettre en œuvre sa vision sur le chemin du développement. En face l’UDPS, le MLC et l’AFDC font bloc, tout en déclarant ne pas trouver matière à reprocher à leurs collègues qui ont ouvert une nouvelle ligne de réflexion au sein même de la plateforme qui soutient le Chef de l’Etat. Mais la réalité n’est pas nécessairement ce que l’on pourrait croire.
Si la plateforme fédérée autour du vice-Premier ministre et ministre de l’Economie nationale Vital Kamerhe revendique l’adhésion d’environ 101 élus dans les chambres législatives nationale et provinciale, la DAB mise sur les rails ce mercredi 17 janvier, et pilotée par le Premier ministre sortant Sama Lukonde en affiche 72, tandis que l’UDPS, le MLC et l’AFDC/A raflent la mise avec pas moins de… 271 élus à tous les niveaux. Ces derniers n’ont pas officialisé (pas encore) la constitution d’une énième plateforme, mais les tractations des dernières vingt-quatre heures ne laissent aucun doute sur la nouvelle définition des forces au sein de l’Union sacrée de la nation.
La réunion constitutive du PCR était à peine terminée que le secrétaire général de l’UDPS Augustin Kabuya entreprenait des visites aux cours desquelles il a rencontré le lendemain le président de l’Assemblée nationale Modeste Bahati (AFDC/A), son collègue du sénat Christophe Mboso et le vice-Premier ministre et ministre de la Défense Jean-Pierre Bemba (MLC). Augustin Kabuya déclarait à l’issue de ses visites : «Je demande à chacun de ne pas dramatiser. Tous les membres du présidium de l’Union sacrée sont sereins et accompagnent le président de la République ». Répondant subtilement à Kamerhe qui, la veille, invitait les esprits surchauffés à se calmer.
Les deux déclarations étant apparemment destinées à éteindre l’incendie naissant au sein de la plateforme présidentielle, à la suite des positions exprimées par l’AFDC et le MLC, accusant Kamerhe, Paluku et leurs alliés de circonstance de rébellion interne au sein de l’Union sacrée.
LE PERCHOIR ET LA PRIMATURE AU CŒUR DES ENJEUX
Le brusque essaimage des plateformes au sein de la coalition majoritaire procède sans nul doute du malaise né des résultats engrangés par les uns et les autres aux législatives nationale et provinciales. Les scores réalisés par certains partis politiques se réclamant de l’Union sacrée ne sont pas de nature à entretenir la sérénité. Tous les regards sont dorénavant tournés vers les enjeux futurs que sont respectivement la constitution du bureau de l’Assemblée nationale, la désignation d’un formateur chargé de déterminer la majorité parlementaire, la nomination d’un premier ministre et in fine, la formation du gouvernement.
La lutte sera particulièrement rude quant à l’occupation du siège du président de la chambre basse. Revendiquant d’ores et déjà, et ce grâce à la pléiade de ses partis satellites une majorité parlementaire écrasante, l’UDPS serait en mesure de se passer d’alliés encombrants qui ruent déjà dans les brancards.
«On ne peut pas nous intimider : bis repetita »
Internationaliste, C.K. revoie, avec ces mouvements internes au sein de l’USN, un remix du scenario d’Emmanuel Ramazani Shadary : «On ne peut pas nous intimider, bis repetita »
Il pose son argumentaire en ces termes : «Dans la foulée du Pacte de Kamerhe et consorts, les équilibres politiques au sein de l’Assemblée nationale ne seront pas les mêmes, un peu en défaveur du Président de la République. Ce dernier a assurément été pris à contrepied. Si le début de son premier quinquennat a été émaillé d’accrochages politiques de longues durées, le deuxième est en passe de connaître les débuts presque similaires ».
Et d’enchaîner : «Le Pacte de Kamerhe plante décor d’une querelle politique difficile à pronostiquer, à l’image des résultats surprises de la Can 2023. Qui sait si la deuxième imposture sera plus grande que la première».
Il tente alors un rapprochement avec l’épilogue FCC – CACH du début de mandat de Félix Tshisekedi : «Mais dans tout cela, il est parfois bon de se rappeler d’un passé proche glorieux de Fatshi en matière de renversement des forces politiques à l’Assemblée nationale. Guidée par son instinct politique très poussé, Félix a pu, comme d’un coup de baguette magique, calciner la grande armada FCC. Il semble peu probable que le Pacte Kamerhe, encore en gestion, puisse échapper aux radars du fils biologico-politique de Tshitshi. On pourrait d’ores et déjà conclure à une erreur politique fatale de la part de celui qui élève bien les enfants de Mpiana ».
«Des indications claires, note-t-il, laissent penser que le mari d’Amida chercherait à se venger de sa prison, même si justifiée. Il s’en est d’ailleurs bien sorti. Il estime que c’est le moment idéal de le faire, le pouvoir de Fatshi étant finissant ».
Avant de conclure : «Dans l’hypothèse d’une majorité parlementaire qui échapperait à Félix entre les doigts, la loi Tshiani pourrait passer par la voie référendaire. C’est aussi un autre de la création du Pacte Kamerhe. On aura alors compris que cette fameuse loi concerne plusieurs acteurs politiques, Katumbi étant le plus visible. Faute de sa couleur de peau. Entretemps, les tractations pour la formation du nouveau Gouvernement sont parties pour durer. C’est le bis repetita du fameux feuilleton ‘On ne peut nous intimider’, avec un certain Shaddary comme acteur principal ».
Kamerhe se projette déjà en 2028
Un haut fonctionnaire international, commentant sous le sceau de l’anonymat, est plutôt modéré et exclut l’hypothèse d’une rébellion au sein de l’Union sacrée de la nation.
Il relativise la vague qui secoue la famille politique du Chef de l’Etat : «L’Union sacrée a réalisé son objectif principal. Où est le mal si ceux qui la composent s’organisent pour participer à la gouvernance du pays ? Le pays et l’Union sacrée sont deux choses différentes ».
Selon lui, ce qui se fait aujourd’hui dans l’Union sacrée est le prélude à la grande bataille de 2028 : «On ne devrait donc pas considérer en priorité l’Union sacrée surtout qu’en la créant, les acteurs avaient accepté d’être à la fois concurrents entre eux. Les gens sont habitués comme ce fut le cas avec le PPRD à ce qu’un guide éclairé, qualifié d’autorité morale réfléchisse et décide pour et à la place de tout le monde. Non ! Dans un regroupement, c’est une bonne chose que les gens gardent leur autonomie et liberté. Par exemple un des éléments positifs est que ces leaders ont des ambitions (voyez l’appellation d’un des groupes de Vital Kamerhe, VK 2028, ce ne vous dit rien?) et ils n’accepteront pas la modification de la constitution dans le sens de modifier le nombre de mandats.»
GARE AU RETOUR DE LA MANIVELLE
Au cours des semaines à venir, la configuration politique peut connaitre des revirements spectaculaires au sein-même de la majorité. Il arrivera un temps où se revendiquer de «l’attachement indéfectible » au chef de l’Etat ne sera plus suffisant. Des accusations de corruption ou de débauchage, coutumières de la classe politique pourraient faire surface et indexer des membres des plateformes naissantes qui risqueraient de connaitre un retour de la manivelle dévastateur.
Tant que les nouvelles plateformes n’afficheront pas de tendances affirmées clairement au sein de l’USN, se contentant de jouer aux trouble-fête avec des intentions inavouées de maitres-chanteurs de pourrait amener l’Autorité morale à envisager une nouvelle ligne politique, se traduisant à un repli sur son parti politique d’origine, l’UDPS, où des faucons n’attendent que l’occasion de gouverner sans partage.
Que dire d’autre ? Chantage, guerre de positionnement… Tout y passe évidemment, au regard du spectre de schisme politique qui secoue les rivages de l’Union sacrée de la nation. Quelle en sera l’issue ? Difficile à prédire.
Econews