En l’espace d’une semaine, des dossiers judiciaires s’accumulent sur la table de Firmin Mvonde, Procureur général près la Cour de cassation. A la veille des élections des sénateurs, des gouverneurs et vice-gouverneurs de province, et tandis que l’opinion est alertée sur des cas avérés ou supposés de corruption à grande échelle, avec en vedette les députés provinciaux; qu’une bonne vingtaine de grosses cylindrées neuves supposément destinées aux élus de Kinshasa sont découvertes dans le parking d’un immeuble de bureaux dans l’attente de leur livraison, d’autres «affaires» autrement plus explosives viennent tenir le public en haleine : une information judiciaire est ouverte contre l’archevêque de Kinshasa; le ministre des Finances Nicolas Kazadi est interdit, en compagnie du ministre du Développement rural François Rubota et du prédécesseur de celui-ci, Yves Mikulu, de quitter Kinshasa et le pays. L’argentier national aurait même été débarqué de son vol à l’aéroport international de N’Djili et son passeport saisi. Une avalanche d’«affaires» qui intervient alors que la publication du gouvernement est imminente et que les assemblées provinciales sont en instance d’élire les sénateurs, et les responsables des Exécutifs provinciaux.
Dans sa réquisition adressée au Procureur général la Cour d’Appel de Kinshasa-Matete, le procureur général près la Cour de cassation enjoint le magistrat d’ouvrir une information judiciaire à l’encontre du Cardinal archevêque de Kinshasa pour un «comportement séditieux entraînant faits infractionnels», ceci, au moment où le pays fait face à la guerre dans sa partie orientale.
Le Procureur Mvonde dit avoir constaté dans le chef de l’Archevêque métropolitain de Kinshasa «une constance des propos séditieux tenus lors des points de presse, interviews et autres sermons, de nature à démoraliser les militaires des Forces armées de la République qui combattent au front, mais aussi incitatifs à la maltraitance par les rebelles et autres envahisseurs des populations locales déjà meurtries par autant d’années de déstabilisation».
FAUX BRUITS ET INCITATIONS A LA RÉVOLTE
Le magistrat est d’autant plus remonté contre le Cardinal qu’il évoque son invitation datée du 24 avril. Une invitation dûment réceptionnée à son centre de résidence par les services du secrétariat de l’Archidiocèse de Kinshasa pour un échange le 25 avril autour de certains dossiers en instruction à son office, et à laquelle le prélat (qu’il appelle Monseigneur : ndlr) a réservé une fin de non recevoir.
Devant l’évidence de ces comportements qui s’analysent en faits infractionnels envers et contre la Patrie, son peuple et ses dirigeants, «il est ordonné au PG de Kinshasa-Matete d’ouvrir une action judiciaire à charge du prélat susvisé qui violente délibérément les consciences et semble trouver un plaisir à travers ces faux bruits et autres incitations des populations à la révolte contre les institutions établies et aux attentats contre des vies humaines».
Et le Procureur Mvonde de prévenir le destinataire de la réquisition : agir autrement s’analysera en déni de justice et sera considéré comme un fait de complicité avec les faits répréhensibles évoqués.
Il est rappelé que le Cardinal Ambongo, dont les positions tranchées indisposent souvent le régime quand il évoque au cours de ses homélies l’enrichissement scandaleux des dirigeants politiques au détriment d’un peuple miséreux, a franchi une nouvelle étape quand, au cours de la messe de Pâques, il a, entre autres, déclaré que «le Congo n’a pas une armée».
Au cours de son séjour romain, quelques jours plus tard, il a récidivé, accusant le pouvoir de Kinshasa de distribuer des armes aux combattants «Wazalendo», ces supplétifs de l’armée congolaise constitués de «jeunes patriotes», et aux rebelles rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda.
Devant le tollé soulevé au pays, le Vatican a vite apporté un correctif, soutenant que des propos du cardinal avaient été dénaturés par un défaut de traduction, l’interview incriminée ayant été réalisée en italien. Mais pour les autorités congolaises Kinshasa, le mal était fait.
RÉACTION DU PERE BODJOKO
Parmi les réactions qui ne devaient pas tarder, celle du Père Jean-Pierre Bodjoko, prêtre et fonctionnaire du Vatican cité par le média en ligne nouveaumedia.cd.
Selon lui, «l’excès de zèle du Procureur général près la Cour de cassation ignore sûrement l’Accord-cadre entre le Saint-Siège et la RDC».
Il rappelle que dans son article 8 paragraphe 2, l’Accord stipule que «dans le cas d’un évêque ou d’un prêtre exerçant une juridiction équivalente, l’autorisation préalable du Parquet général de la République est nécessaire et le Saint-Siège en sera aussitôt informé via la Nonciature apostolique».
Tout en rappelant que le Procureur s’engage dans un terrain qu’il ne pourrait maîtriser par la suite, il en conclue que le président Tshisekedi avait déjà dit tout haut ce qu’il pense de la justice de la RDC. Et l’Eglise le sait.
NICOLAS KAZADI, FRANCOIS RUBOTA ET YVES MIKULU SUR LA SELETTE
Depuis plusieurs semaines, l’affaire dite des «lampadaires» et des forages et des stations mobiles de traitement fait grand bruit. Non pas en raison de la pertinence et de l’importance du projet en soi, mais sur les sommes faramineuses décaissées par le Trésor public et qui ne correspondraient pas à la vérité des prix de ce types de technologies.
Les médias qui se sont emparées de l’affaire mettent en cause d’une part, le ministre des Finances qui aurait apposé sa signature et donné son accord pour la finalisation d’un marché manifestement surfacturé, son collègue du développement rural et ministre d’Etat François Rubota et d’autre part, l’ancien gouverneur de la ville de Kinshasa Gentiny Ngobila, quoique au stade actuel, il ne ferait pas l’objet de l’enquête diligentée par le Procureur général près la Cour de cassation.
Devant la protestation unanime de l’opinion qui réalisait difficilement qu’un lampadaire destiné à l’éclairage public revienne à 5.000 dollars US la pièce et qu’un forage et une station mobile soit facturé plus de 290.000 dollars US, le Procureur ne pouvait demeurer indifférent, en dépit de la qualité des personnalités incriminées.
C’est ainsi qu’en date du 17 avril dernier, le Procureur a requis le Bureau technique de contrôle aux fins d’enquêter sur la régularité des marchés emportés par le Consortium STEVER CONSTRUCT CAMEROON sarl – SOTRAD WATER qui aurait dû livrer 1000 forages et autant de stations mobiles de traitement d’eau.
De même, le contrat conclu par l’Hôtel de Ville de Kinshasa avec la société SOLEKTRA RDC sarlu pour l’acquisition et l’implantation de 2594 kits solaires dans le réseau électrique de la capitale. Il est reproché particulièrement au ministre des Finances d’avoir facilité les paiements décriés.
NICOLAS KAZADI EN PONCE PILATE
Acculé, interdit de sortie du territoire national, le ministre des Finances s’est fendu d’une correspondance au Procurur général Mvonde. Dans cette lettre, il demande que l’enquête sur l’état d’exécution des projets soit élargie aux coûts.
Il se dit prêt à collaborer avec les instances judiciaires pour aider l’enquête à apporter toute la lumière à ce dossier qui ne viserait qu’à le discréditer durant cette période de formation du gouvernement, lui qui n’est intervenu qu’à la phase de paiement, n’étant ni à l’initiative des deux projets ni dans la phase de sa validation par les instances attitrées.
«Je tiens à vous solliciter», écrit-il, «d’élargir l’étendue des devoirs requis pour en dégager d’une part, les indices de surfacturation, et d’autre part, les auteurs et co-auteurs de cette facturation».
Sans les citer, le ministre des Finances épingle clairement les autorités de l’Hôtel de ville de Kinshasa dans le dossier des lampadaires surfacturés, mais aussi ses collègues successifs au ministère du Développement rural.
MWIN M. F.