Six mois après la proclamation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, le Gouvernement n’exclut pas l’hypothèse de l’étendre dans celle du Sud-Kivu. La dernière incursion des bandits armés, dans la nuit du 2 au 3 novembre 2021 à Bukavu, devait accélérer la mise en œuvre de cette option, pense Patrick Muyaya Katembwe, porte-parole du Gouvernement, intervenant sur les antennes de France 24.
L’état de siège décrété dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu présenterait-il des signes d’essoufflement ? Pas du tout, rétorque Patrick Muyaya, ministre de la Communication et Médias, porte-parole du Gouvernement, intervenant, vendredi depuis Paris, sur les antennes de France 24.
Patrick Muyaya, reste plutôt optimiste. Malgré les critiques, il a défendu, sur les antennes de France 24, le bilan de six mois d’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri, demandant de la patience pour résoudre des problèmes qui datent de deux décennies. Qu’en est-il de la province du Sud-Kivu. Le porte-parole du gouvernement de la République démocratique du Congo a noté que l’extension de l’état de siège au Sud-Kivu est «une option» qui est sous examen par les autorités, tout en soulignant que cela nécessite des moyens humains qui ne sont pas forcément disponibles.
Bien avant, invité de l’émission «Appels sur l’actualité» de Juan Gomez sur RFI, Patrick Muyaya a estimé que «normalement, même la province du Sud-Kivu devrait être mise sous état de siège parce qu’elle a un problème de sécurité requérant. Donc, cette attaque rappelle encore au Gouvernement son devoir d’être très vigilant et focaliser les ressources qu’il faut pour ramener la paix».
Goma vit toujours «la peur au ventre»
Pendant ce temps, à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, en situation d’état de siège depuis six mois, les tueries en série alimentent la peur dans la ville. Les centres urbains ne sont pas épargnés par la violence qui fait rage dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, indique un reporter du journal français Le Monde, dépêché sur place à Goma.
Thomas a disparu un matin d’août sur le chemin de l’école. Dans la journée, son père a reçu un coup de téléphone : une voix transformée, robotique, l’a informé que le petit avait été kidnappé et qu’il risquait d’endurer les pires sévices si une rançon n’était pas versée. D’abord incrédules, Patrice (le prénom du père) et sa femme ont très vite appris qu’ils n’étaient pas les seuls touchés : les mêmes ravisseurs s’en sont déjà pris à d’autres familles de Goma. Alors ils ont déposé plainte.
Depuis, soupire Patrice, «les autorités restent bouches cousues ». S’il ne veut pas que son fils subisse le même sort que le gamin de 3 ans avec des entailles demachette plein les bras qu’il a vu après sa libération, il n’a pas le choix : 2 000 dollars américains ont déjà été transférés à huit numéros de téléphone via des plates-formes de paiement mobile. Il en faudrait le double.
A Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), vols, braquages, assassinats ciblés et enlèvements sont toujours monnaie courante, malgré l’instauration de l’état de siège en mai 2021. A la nuit tombée, une bande, surnommée les «40 voleurs», terrorise les habitants.
Ni le couvre-feu imposé à 22 heures, ni l’interdiction de circulation pour les motos après 19 heures, ni encore le remplacement des autorités civiles par des officiers des forces armées ou de la police n’ont enrayé la délinquance urbaine.
«L’angoisse au ventre quand il fait nuit»
Pire, les associations citoyennes pointent du doigt les forces de l’ordre qu’elles accusent d’être complice de ce banditisme. Placide Nzilamba, secrétaire de la société civile du Nord-Kivu, une structure qui regroupe toutes les associations citoyennes de la région, se bat pour que les camps de l’armée et de la police déménagent de la ville. Aujourd’hui, regrette-t-il, «ils ne sont pas clôturés et ils sont peuplés de militaires hors de contrôle».
Les gradés, de leurs côtés, se défendent de laisser prospérer la violence et l’impunité. «Il y a des audiences au niveau des juridictions militaires pour recadrer ceux qui se comportent mal », assure le lieutenant-colonel Guillaume Njike Kaiko, l’un des porte-parole des forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) au Nord-Kivu.
Certes, la présence accrue en ville des forces de l’ordre depuis le 6 mai a amélioré la situation sécuritaire par endroits. Au marché de Kituku par exemple, en périphérie de Goma, les bureaux du commissaire de police, de l’Agence nationale de renseignement (ANR) et de la Direction générale des migrations (DGM) surplombent les halles. Face au lac Kivu, les fonctionnaires scrutent les allers et venues des embarcations de fortune qui viennent ravitailler les étals.
Considéré comme l’un des bastions de la criminalité locale, le quartier a été «bouclé» à la mi-octobre. «Aujourd’hui, la sécurité est un peu revenue. Mais on a toujours l’angoisse au ventre quand il fait nuit», se désole Pierre, un riverain.
«Demain, ça pouvait être moi»
Les mêmes maux et les mêmes craintes minent toute la province. Aujourd’hui retranchés dans une étroite masure à Goma, Bruno, son frère, sa mère et ses grands-parents ont dû fuir Béni, la deuxième ville du Nord-Kivu. Là-bas, les Forces démocratiques alliées (ADF, l’acronyme en anglais) – un groupe armé composé à l’origine de rebelles musulmans ougandais dont les chefs ont fait allégeance à l’organisation djihadiste Etat islamique – volent, pillent et massacrent depuis plus de deux décennies.
Des attaques répétées qui ont obligé Bruno à abandonner ses études et son travail. «Je me disais tout le temps que demain ça pouvait être moi », explique-t-il, assis dans le canapé où il passe désormais ses journées à fixer un minuscule écran de télé.
D’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, l’Ituri, l’autre province de l’est de la RDC concernée par l’état de siège, comptait en août près de 1,7 million de déplacés. Comme dans le Nord-Kivu, les opérations militaires y ont augmenté depuis mai.
«Plus de 2.000 membres des groupes armés se sont rendus ou ont été neutralisés par les soldats congolais», affirme le général Marcos De Sá Affonso Da Costa, commandant de la force de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco).
Mais l’objectif de l’état de siège de mettre fin à une guerre sans fin est encore loin d’être atteint. Au moins 683 civils ont été tués par les groupes armés au cours des six derniers mois en Ituri et dans le Nord-Kivu, selon le décompte du baromètre sécuritaire du Kivu.
HUGO TAMUSA