Quelques jours seulement après s’être élevé avec une rare virulence contre l’accueil à Goma, avec tous les honneurs réservé au ministre des Affaires étrangères du Rwanda venu participer aux travaux du Mécanisme conjoint de vérification renforcé, le président de l’Assemblée nationale revient à la charge. Cette fois, en dépêchant à Kampala (Ouganda) une délégation de douze députés, conduite par Lambert Mende. Officiellement, l’objectif est «une prise de contact avec le Groupe d’amitié RDC-Ouganda», si pour autant cette structure est d’une existence reconnue. Pour les observateurs avertis de la scène politique congolaise en revanche, il s’agit d’une réponse à la récente visite du président Tshisekedi dans la capitale ougandaise où il s’est entretenu avec son homologue Yoweri Museveni. Si ce dernier a clairement indiqué les ambitions de son pays dans l’Est de la RDC, dont la construction de routes, la partie congolaise n’a pas suffisamment communiqué sur la contrepartie que Kinshasa était fondé à attendre du président ougandais. D’où l’envoi de la délégation de l’Assemblée nationale en quête de davantage de lumière. En attendant une immanquable réaction de la Présidence de la République congolaise.
Une mission parlementaire de douze députés est dépêchée à Kampala ce mardi 12 novembre. Il ressort de l’ordre de mission signé par le président de l’Assemblée nationale Vital Kamerhe que la délégation, conduite par Lambert Mende, a pour mission une «prise de contact avec le Groupe d’amitié RDC-Ouganda». Elle devrait durer huit jours.
Intervenant trois semaines après l’entrevue du mercredi 30 octobre entre les présidents congolais Félix Tshisekedi et ougandais Yoweri Museveni toujours dans la capitale ougandaise, la mission, initiée par le président de la chambre basse du parlement, pose néanmoins une série d’interrogations parmi lesquelles son opportunité, mais aussi elle soulève le sentiment que les conclusions du tête-à-tête Tshisekedi-Museveni n’aurait pas satisfait la représentation nationale.
Le bât n’a pas manqué de blesser les députés, en commençant par le premier d’entre eux, considérant les conclusions des entretiens du 30 octobre, au cours desquels il est rapporté que la partie ougandaise a réaffirmé son intention de renouveler son initiative de la construction de routes en territoire congolais; dont les axes Kasindi-Beni-Butembo d’une part, et Bunagana- Rutshuru-Goma, d’autre part.
« ON NE NOUS DIT PAS TOUT »
Dans les coulisses du Palais du Peuple règne une atmosphère de totale incompréhension au regard de deux aspects soulevés principalement par les élus du Nord-Kivu et leurs collègues de l’Ituri. En premier lieu, le compte-rendu n’a pas fait mention de la contrepartie obtenue par la partie congolaise. Les plus informés d’entre eux susurrant que Museveni aurait obtenu l’exploitation de concessions aurifères au Nord-Kivu et en Ituri.
Deuxièmement, ils s’interrogent sur la faisabilité du chantier routier partant du poste frontalier de Bunagana pourtant occupé depuis juin 2022 par la coalition AFC/M23/RDF et duquel est partie la conquête des territoires congolais de Rutshuru, Masisi, et aujourd’hui mettant pied dans le territoire de Walikale.
Enfin, il est rappelé que différents rapports de l’ONU, et des appels de la société civile font régulièrement état de la présence de l’armée ougandaise (UPDF) aux côtés du M23, tout en entretenant la confusion marquée par sa participation aux opérations militaires conjointes avec les FARDC dans la traque des rebelles ougandais des ADF en Ituri. Une duplicité que Kinshasa a toujours feint de ne pas remarquer. Une attitude propice à alimenter l’impression dans le genre «on ne nous dit pas tout».
Il est certes prématuré de voir dans la poussée de fièvre ambiante à l’Assemblée nationale les signes d’un bras-de-fer ouvert qui opposerait Vital Kamerhe aux initiatives personnelles du chef de l’Etat dans la diplomatie sous-régionale de ce dernier. Néanmoins, la situation ne manque de similitudes avec les circonstances qui conduisirent à l’éviction du même Vital Kamerhe de ce même perchoir de l’Assemblée nationale et son départ qui s’ensuivit du PPRD, le parti politique de l’ancien président Joseph Kabila, il y a quinze ans.
UN AIR DE DÉJÀ VU
En février 2009 en effet, Kamerhe exprimait sa désapprobation de l’invitation faite à l’armée rwandaise au cours de l’opération conjointe Umoja Wetu qui avait pour mission la traque des FDLR. Il s’indignait notamment que la décision d’inviter une armée étrangère prise au cours du Conseil supérieur de la défense n’eut pas été portée à sa connaissance et à celle de la représentation nationale.
Une posture qui devait lui coûter sa place prééminente au sein du parti présidentiel et qui devait le conduire à créer son propre parti politique d’opposition, l’Union pour la Nation congolaise (UNC).
Aujourd’hui encore, tout semble porter à croire que l’homme n’a pas changé ses vues sur le conflit qui perdure dans l’est du pays, notamment en ce qui concerne toute collaboration avec certains pays voisins dont certains, comme l’Ouganda, opèrent en sous-main à la déstabilisation de la RDC, profitant des tâtonnements diplomatiques de Kinshasa et de ses prises de position changeantes.
Illustration en est fournie par son énervement après que le ministre des Affaires du Rwanda a été reçu avec les honneurs à Goma le mardi 5 novembre. Olivier Nduhungirehe venait participer aux réunions du Mécanisme conjoint de vérification renforcé. A l’issue d’une ennuyeuse séance plénière qui venait d’adopter une énième prorogation de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri, et s’adressant au vice-ministre de la Justice présent, Kamerhe n’a pas mâché ses mots : «Allez dire à madame la Première ministre toute notre indignation de voir que le ministre des Affaires étrangères du Rwanda arrive à Goma et qu’il est reçu avec autant d’honneurs par le gouverneur militaire et l’Inspecteur provincial de la police, je considère que c’est très grave. C’est comme si nous ne savons pas ce que nous faisons », a-t-il recommandé, visiblement dépité.
Une façon habile de montrer qu’autant il n’aurait pas été mis au parfum des tenants et des aboutissants de l’entretien de Kampala entre Tshisekedi et Museveni, autant les contours de la visite officielle du ministre des Affaires étrangères du Rwanda lui échappaient. Dans un cas comme dans l’autre, Vital Kamerhe envoie un message clair : il n’entend pas se laisser marginaliser par la présidence de la République.
En décidant de l’envoi en Ouganda d’une mission parlementaire avec pour objectif de prendre langue avec un sulfureux «Groupe d’amitié RDC-Ouganda», Vital Kamerhe vient mettre à l’épreuve son alliance avec le chef de l’Etat et démontre son indépendance. Une posture glissante (pour ne pas dire dangereuse) au moment où les proches du chef de l’Etat au sein de l’UDPS lui reprocheraient déjà sa tiédeur à se prononcer en faveur de la révision constitutionnelle.
Econews
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