L’actualité en RDC est dominée par la réforme de la Constitution voulue par le président Félix Tshisekedi qui l’a annoncé lors de ses discours tenus à Kisangani, Lubumbashi et Kipushi. Si le camp présidentiel mobilise déjà pour la révision ou le changement de Constitution, l’opposition rejette ce projet qu’elle qualifie de « funeste ». Au cœur de ce débat est la controverse soulevée par l’article 217 de l’actuelle Constitution qui évoque « l’abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l’unité africaine ». Pour en parler, Gaspard-Hubert Lonsi Koko, écrivain, analyste politique et conférencier, a accepté de répondre aux questions de Robert Kongo, notre correspondant en France.
En visite à Lubumbashi, le président Félix Tshisekedi a été rattrapé par la polémique sur la réforme constitutionnelle. Il a haussé le ton face à la foule et s’est dit déterminé à revoir la loi fondamentale qui, selon lui, brade la souveraineté nationale dans certaines de ses dispositions : « Personne ne changera mon avis sur la révision de la Constitution », a-t-il martelé. Comment réagissez-vous à ce discours que la coalition de l’opposition qualifie d’agressif ?
Le président de la République est dans son droit, conformément à l’article 218 de la Constitution, d’initier la révision constitutionnelle concurremment au gouvernement après délibération en Conseil des ministres, à chacune des chambres du Parlement à l’initiative de la moitié de ses membres, à une fraction du peuple congolais, en l’occurrence s’exprimant par une pétition adressée à l’une des deux chambres. Encore faudrait-il que la détermination présidentielle se rapporte à une volonté commune de bâtir un État de droit, ainsi qu’une nation puissante et prospère fondée sur une véritable démocratie politique, économique, sociale et culturelle.
Le débat tourne autour de l’article 217 de l’actuelle Constitution accusé par le camp présidentiel de « consacrer carrément la vente de la souveraineté de la RDC ». Un argument que réfute le bloc de l’opposition. Quel est votre avis ?
L’article 217 de la Constitution stipule la possibilité pour la RDC de « conclure des traités ou des accords d’association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l’unité africaine ». Cet article ne peut donc être interprété comme une vente de souveraineté nationale. Le constitutionnaliste a été mû par la volonté de voir tous les États africains s’unir et travailler de concert pour promouvoir et consolider l’unité africaine à travers les organisations continentales, régionales ou sous-régionales pour offrir de meilleures perspectives de développement et de progrès socio-économique aux peuples d’Afrique. Dès lors que le panafricanisme est un vecteur incontestable de l’unité de l’Afrique, cette disposition constitutionnelle est louable. Encore faudrait-il que tous les dirigeants africains en soient conscients et agissent pour une telle finalité.
Cet article n’est pourtant pas une exclusivité congolaise. Les termes de cette disposition constitutionnelle se retrouvent dans la plupart des Constitutions en Afrique. Comment expliquez-vous la position de la majorité au pouvoir ?
Cela ne plaide pas à leur maintien dans la nôtre. Dans le contexte régional actuel, une certaine interprétation de l’article 217 pourrait contribuer à la désintégration de notre pays. Certes le second alinéa de l’article 9 attribue à l’État « une souveraineté permanente » et l’alinéa 2 de l’article 214 rappelle que « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans l’accord du peuple congolais consulté par voie de référendum ». Mais il faut éviter un conflit des normes au sein d’un même ordre juridique. Faisons attention aux velléités de démembrement, de regroupement et de création en faveur « de nouvelles provinces et entités territoriales » au sens de l’article 4, comme conséquence de la non-application de l’alinéa 2 de l’article 51 au regard de « la coexistence pacifique et harmonieuse de tous les groupes ethniques du pays ». Il y a donc nécessité d’abroger l’article 217 ou de le réécrire pour mieux assurer la cohérence au sommet du système juridique et l’intangibilité des frontières nationales. Il en est de même de l’article 10 pour matérialiser l’inaliénabilité de la nationalité congolaise d’origine et sa suprématie sur une autre citoyenneté. Mais, au regard de la dangereuse situation en cours dans l’Est du pays et des dispositifs de l’article 218, rien ne presse.
Le président Félix Tshisekedi a été, pendant un an (2021-2022), président de l’Union africaine. Ne s’est-il pas rendu compte de ces ambigüités pour les dénoncer ?
D’aucuns ont constaté que la présidence de l’Union africaine par la RDC a été handicapée par la faiblesse institutionnelle de notre administration étatique. La RDC ayant été structurellement assez faible, sa diplomatie n’a pas pu mener beaucoup de projets à leur terme. Par conséquent, il était difficile pour Félix Tshisekedi d’impulser une action dynamique en vue de la résolution de la gravissime situation de l’insécurité dans le Kivu.
Dans l’article 69 de la Constitution du 24 juin 1967 corédigée notamment par Etienne Tshisekedi et le professeur Marcel Lihau, il est écrit qu’ « en vue de promouvoir l’unité africaine, la République peut conclure des traités et accords d’association comportant abandon partiel de sa souveraineté. » La même disposition est retranscrite dans l’article 77 de la Constitution révisée du 15 août 1974. En quoi donc l’article 217 de la Constitution en vigueur pose un problème ?
Le contexte géopolitique et régional n’est plus le même. Ézéchiel avait dit un jour : « Nos parents ont bu du verjus et ce sont les dents de nos enfants qui en furent agacées. » Cette idée avait été reprise par Jérémie en ces termes : « Ce sont nos parents qui ont vécu l’exil, pourquoi nous sommes-nous maintenus aujourd’hui en exil ? » Notre devoir patriotique doit consister à éviter un jour le départ forcé de nos populations, et la RDC ne doit pas se transformer en Palestine africaine. Veillons au grain.
Du point de vue de la capacité juridique, l’article 4 de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Est (EAC), dont est membre la RDC, évoque « la capacité de la Communauté, à l’intérieur de chaque État membre, d’une personne morale avec succession perpétuelle et a le pouvoir d’acquérir, de détenir, de gérer et de céder des terres ou d’autres propriétés, d’ester en justice et d’être poursuivie dans les tribunaux en son nom propre ». Peut-on adhérer à l’EAC, souscrire à ce traité, mais rejeter l’article 217 de Constitution congolaise ?
Cette attitude oxymorique est moins convaincante. La volonté de changer la Constitution ne pourrait justifier le bradage de l’héritage ancestral. Le contexte régional et la suprématie des traités internationaux sur les lois nationales doivent en principe inciter le Parlement à ordonner le retrait de cette communauté afin d’éviter les velléités expansionnistes de nos voisins.
L’idéal serait donc que le Congo quitte l’EAC pour être en cohérence avec la démarche actuelle du camp présidentiel ?
Au regard de l’article III de la Charte de l’OUA de 1965, l’intégrité des frontières héritées de la colonisation est de mise. Par conséquent, l’article 4 de l’EAC étant non conforme à l’intangibilité des frontières actuelles, la suspension de l’adhésion de la RDC à cette communauté est plus que jamais urgente.
La RDC est en guerre et une partie du territoire sous occupation. Est-ce vraiment le moment opportun d’initier une démarche de réforme constitutionnelle ?
L’article 219 est très clair. « Aucune révision ne peut intervenir pendant l’état de guerre, l’état d’urgence ou l’état de siège ni pendant l’intérim à la présidence de la République ni lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat se trouvent empêchés de se réunir librement. » Il me semble que, comme garant de la Constitution, le président de la République n’a pas du tout l’intention de la violer.
Quel regard portez-vous sur l’attitude de l’opposition qui qualifie ce projet de « funeste » ?
L’article 218 définit les modalités d’une révision constitutionnelle, de la même façon que l’article 8 reconnaît l’existence de l’opposition politique en RDC. Et les droits liés à son existence, à ses activités et à sa lutte pour les enjeux démocratiques ne peuvent subir des limites que « celles imposées à tous les partis et activités politiques par la présente Constitution et la loi ».
Optez-vous pour le changement de la Constitution ou sa révision ?
Je suis donc favorable à la révision en vue de l’abrogation ou de la réécriture de quelques dispositions, et non du changement de la Constitution. Tout démocrate, de surcroît intellectuel, tel est mon avis, ne peut nullement encourager un coup d’État constitutionnel.
Propos recueillis par Robert Kongo(CP)
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