Un symbole fort. Le lundi 2 décembre a marqué le début de la visite de deux jours du président américain Joe Biden en Angola, un déplacement longtemps attendu et plusieurs fois reporté. Stratégiquement et symboliquement chargé, cet événement représente la première visite d’un président américain en Afrique depuis celle de Barack Obama en 2015. Contrairement à son prédécesseur Donald Trump, qui n’a jamais visité le continent, Biden choisit de faire ce voyage à quelques semaines de la fin de son mandat, suscitant de nombreuses interrogations. Ce déplacement intervient alors que les relations entre les États-Unis et l’Afrique demeurent caractérisées par de grandes promesses non tenues depuis l’ère Obama, exposant les lacunes structurelles de la politique américaine sur le continent. Au programme : une rencontre avec le président angolais Joao Lourenço à Luanda mardi et un discours au Musée national de l’esclavage dans cette ancienne colonie portugaise bordant l’océan Atlantique.
LE CORRIDOR DE LOBITO AU CENTRE DES ENJEUX
La visite de Joe Biden en Angola s’inscrit, en effet, dans un double cadre : d’une part, le respect d’une promesse faite aux chefs d’État africains lors du sommet de Washington en décembre 2022, où il s’était engagé à visiter le continent avant la fin de son mandat ; et d’autre part, une reconnaissance de l’importance stratégique de l’Angola, tant sur le plan continental qu’international. Le choix de ce pays lusophone d’Afrique australe de 37 millions d’habitants ayant obtenu son indépendance du Portugal en 1975, après une longue lutte des mouvements de libération, n’est en rien anodin.
L’Angola, riche en pétrole et gaz (qui représentent plus de 90 % des exportations et 43 % du PIB) est devenu un point névralgique dans les initiatives géopolitiques américaines sur le continent. La venue du dirigeant américain qui achève son mandat en janvier prochain se tient dans le cadre du développement du « Couloir de Lobito », un projet de voie ferrée soutenu par les États-Unis et l’Union européenne. Ce gigantesque chantier vise à relier le port de Lobito à la République Démocratique du Congo (RDC), avec une extension vers la Zambie, pour faciliter l’acheminement de matières premières stratégiques comme le cuivre et le cobalt, essentiels à la transition énergétique mondiale. En recevant le président angolais João Lourenço à Washington fin 2023, Biden avait déjà qualifié ce projet de «plus important investissement américain dans le rail africain». Cette infrastructure, alternative à l’initiative chinoise des Nouvelles routes de la soie, symbolise la volonté de Washington de proposer une autre voie aux nations africaines.
Biden se rend en Angola aussi pour des motivations géopolitiques. Le gouvernement angolais, sous l’impulsion du président João Lourenço, a intensifié ses efforts pour maintenir la paix dans cette région fragile, cherchant à limiter l’impact des violences transfrontalières et des insurrections internes qui affectent les pays voisins, en particulier la RDC et le Rwanda.
L’Angola bénéficie d’une certaine légitimité et d’une autorité pour jouer ce rôle de médiateur en raison de son histoire de réconciliation nationale après des décennies de guerre civile (de 1975 à 2002).
LE KANGOUROU DU JOUR
Washington cherche clairement à renforcer ses relations bilatérales avec ce pays alors que l’influence de la Chine et de la Russie y est croissante ces dernières années. Pékin, qui a massivement investi les secteurs de la construction, des infrastructures et de l’énergie, est le principal partenaire commercial de l’Angola. En échange, Luanda a bénéficié de prêts chinois pour construire des routes, des ponts, des hôpitaux et des écoles, ainsi que pour moderniser le secteur énergétique. Des projets souvent financés par des prêts à faible taux d’intérêt ou des accords de financement garantis par les ressources naturelles de l’Angola (comme le pétrole), ce qui a renforcé l’endettement du pays vis-à-vis de la Chine (à hauteur de 17 milliards de dollars, soit 40 % du total de sa dette).
Bien que la Russie n’ait pas atteint le même niveau d’influence, elle a également maintenu des relations solides depuis l’époque de la guerre froide, lorsque l’Union soviétique avait soutenu le MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola) pendant la guerre civile contre les forces soutenues par l’Occident, notamment l’UNITA. Après la fin de la guerre froide et la dissolution de l’URSS, les relations bilatérales ont diminué, mais elles se sont récemment renforcées. Depuis quelques années, la Russie a proposé des accords de vente d’armements à l’Angola, ainsi que des services de formation pour les forces de sécurité angolaises. La Russie cherche également à étendre ses investissements dans les secteurs extractifs, en particulier dans le pétrole et le diamant. Plusieurs entreprises russes ont investi dans l’exploration pétrolière et minière, ce qui leur permet de jouer un rôle dans l’économie du pays.
Selon les observateurs, si la visite présidentielle de Joe Biden se limite à des discussions bilatérales axées sur les intérêts américains, tels que le pétrole ou le contrôle des ressources, elle risque de ne pas répondre aux attentes des pays africains. Ceux-ci aspirent à des partenariats plus équilibrés, à un meilleur accès aux marchés mondiaux et à un soutien concret face à des enjeux mondiaux comme la transition énergétique et la sécurité alimentaire. Bien que Biden soit arrivé au pouvoir avec une vision de réconciliation internationale, son administration a tardé à engager un dialogue véritable avec l’Afrique.
De nombreux dossiers cruciaux, comme la question de la représentation africaine aux Nations unies, n’ont pas progressé. Les initiatives telles que Power Africa et Trade Africa, censées stimuler l’électrification et les échanges commerciaux, ont manqué de financement et d’engagement réel.
Parallèlement, l’approche sécuritaire de Washington s’est renforcée avec l’expansion d’AFRICOM pour lutter contre le terrorisme, au détriment du développement économique et des droits humains.
L’administration Trump, quant à elle, a montré un désintérêt flagrant pour l’Afrique, réduisant l’aide au développement et multipliant les déclarations négatives, ce qui a creusé un fossé entre les États-Unis et le continent, ouvrant la voie à d’autres puissances comme la Chine, la Russie et la Turquie.
Avec Le Point Afrique