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Calcul politique et mystère stratégique

Par une simple tribune publiée dans un média sud-africain, Joseph Kabila, ancien président de la République, a réussi ce que peu de figures politiques congolaises parviennent à accomplir : captiver l’attention d’une nation entière, raviver les débats et semer le doute dans les couloirs du pouvoir. Après six ans de silence, celui qui a dirigé le pays pendant près de deux décennies (2001-2019) rompt son mutisme, non par une déclaration tonitruante, mais par un texte mesuré, aux contours volontairement flous. Un retour en demi-teinte qui, paradoxalement, fait grand bruit.

Pourquoi maintenant ? La question hante Kinshasa. Alors que le Président Félix Tshisekedi tente de consolider son autorité face à une crise sécuritaire dans l’Est de la RDC – marquée par l’avancée du M23 soutenu par le Rwanda – et à des défis économiques colossaux, le réveil de Kabila ne relève pas du hasard. Son texte, évoquant des généralités sur la « paix » et la « stabilité », évite soigneusement de nommer Tshisekedi ou de critiquer ouvertement son bilan.

Une prudence qui contraste avec l’urgence des enjeux actuels.

Est-ce une main tendue ? Une manœuvre d’intimidation ? Ou simplement un rappel à la mémoire collective : Je suis toujours là ?

Le passé éclaire toujours le présent. En 2019, l’alliance entre le Front commun pour le Congo (FCC) de Kabila et la coalition Cap pour le changement (CACH) de Tshisekedi devait incarner une transition pacifique.

Elle s’est soldée par un fiasco : luttes intestines, trahisons, et un divorce politique aussi brutal que prévisible.

Aujourd’hui, Tshisekedi, affaibli par des résultats mitigés sur le front sécuritaire et économique, appelle à un « gouvernement d’union nationale ». Kabila, lui, cultive l’ambiguïté.

Son entourage reste muet, ses partisans se contentent de sourires énigmatiques.

Ce silence est une arme : il rappelle à Tshisekedi que toute légitimité, en RDC, se négocie aussi avec l’ombre de l’ancien régime.

À y regarder de près, le retour de Kabila ressemble moins à une reconquête qu’à un positionnement tactique. Loin des projecteurs, il conserve des relais d’influence : au sein de l’armée, dans certaines provinces minières, et parmi des élites lassées des promesses non tenues de l’actuel pouvoir. Ses récentes tournées en Afrique de l’Est, officiellement présentées comme des « voyages privés », alimentent les spéculations sur des alliances régionales en gestation.

Pourtant, son étoile pâlit. La jeunesse congolaise, majoritaire et avide de renouveau, voit en lui un symbole d’un passé marqué par le clientélisme et les scandales de corruption.

En rompant son silence, Kabila prend un risque : celui de devoir, tôt ou tard, clarifier ses intentions.

S’il cherche à jouer les médiateurs, sa crédibilité reste entachée par les accusations de pillage des ressources et de répression politique durant son règne. S’il aspire à un retour au premier plan, il devra composer avec une société civile plus vigilante et une communauté internationale sceptique. Dans les deux cas, son héritage est un fardeau.

Econews

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