La situation sécuritaire à l’Est de la RDC aura été de plus explosive entre fin janvier et mi-février 2025 avec la prise des villes de Goma et de Bukavu par les RDF (Forces de Défense Rwandaises) sous couvert du M23. Dans la foulée, et contrairement à la résolution 2773 du Conseil de sécurité de l’ONU, l’ancien président Joseph Kabila est sorti de son silence légendaire, prenant parti pour le M23, sans la moindre condamnation de Paul Kagame, ni la compassion pour le peuple meurtri. Mais, trois jours plus tôt, Nicolas Kazadi, ancien ministre des Finances et cadre de l’UDPS, avait anticipé pour lui dire que le contexte actuel était différent de celui de 1997.
« Ceux qui sont venus au pouvoir par le chemin du Rwanda et sur le sang du peuple congolais pensent qu’ils sont propriétaires du pays et ne sont pas prêts à accepter que le pays vive indépendamment. Ils ne l’acceptent pas et ils veulent nous ramener à la case départ ». Ces propos sont de l’ancien argentier congolais Nicolas Kazadi débités le 20 février sur Global Africa Telesud. Son passage dans ce média a fait tache d’huile au regard du nombre de vues atteint le jour même, soit 15 412 vues.
La guerre de 1997, souligne-t-il, a été tolérée parce qu’il y avait à l’époque un problème institutionnel, un problème politique à la fin du régime Mobutu. Ce n’est pas le même contexte aujourd’hui. Les institutions viennent d’être mises en place il y a à peine une année. Tout fonctionne normalement avec une majorité claire. L’ancien président Joseph Kabila a décidé de boycotter les élections, c’est son choix, mais il existe, néanmoins, une opposition. Il n’y a donc pas de raison que l’on assiste à ce qui est en train de se passer à l’est du pays. Et personne de sérieux, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, ne peut l’accepter. Cela détruit le pays et c’est contre l’humanité.
L’ancien N°1 des Finances est éberlué par la déclaration de Corneille Nanga selon laquelle Félix Tshisekedi n’avait pas gagné les élections et qu’il est de son devoir d’arrêter le monstre qu’il a créé. Evoquant l’adage qui dit que « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude », si turpitude il y a eu, il fait savoir que c’est Corneille Nangaa qui a proclamé l’actuel président vainqueur de l’élection présidentielle que lui-même a organisée en 2018 avec le pouvoir de l’époque. C’est bien dommage que ce soit lui qui élève la voix pour dire qu’il n’avait pas gagné les élections. Quelle moralité !
Nicolas Kazadi est aussi surpris que le président Kagame déclare le président Félix Tshisekedi illégitime en 2025 alors que l’élection a eu lieu en 2023 et a été incontestée par l’ensemble de la communauté internationale. Il rappelle que le précité, appartenant à un mouvement politique bien connu et avec une histoire politique, a été bien élu avec 73 % en 2023, un score jamais atteint dans l’histoire de la RDC en termes d’élections présidentielles ouvertes et transparentes. Son investiture a connu la présence de 20 chefs d’Etat. Il s’est réservé, par contre, des commentaires quant à l’élection de Paul Kagame au Rwanda avec plus de 99 %.
Pourquoi le président Félix Tshisekedi n’a pas invité son prédécesseur pour échanger avec lui de façon républicaine au lieu de le vouer aux gémonies à Munich en le présentant comme le commanditaire de l’AFC-M23 ? La réponse est toute simple pour l’ancien argentier congolais : il n’a pas de raisons de douter de ces propos. Le président Félix Tshisekedi est non seulement le chef des forces armées, mais il est aussi le N°1 du pays. A ce titre, il a des éléments avérés sur lesquels il fonde son discours. Toutefois, il regrette qu’on en soit arrivé là alors que l’on était en train d’écrire une belle histoire du pays étant donné que c’est pour la première fois qu’il y a eu une alternance pacifique du pouvoir. D’autre part, il perçoit que la sortie médiatique ratée de l’ancien président Joseph Kabila du 23 février comme une réponse à son passage sur Global Africa Telesud trois jours plus tôt. Somme toute, elle a été contreproductive pour un ancien président de la République qui pouvait contribuer de manière positive à la crise. Il aurait été préférable, selon lui, qu’il reste dans son couloir en train de s’occuper de ses affaires et laisser le pays continuer à fonctionner. C’est le rêve de tous les Congolais pour le bien du pays. Il y a lieu de faire ce qu’il faut pour continuer à consolider la démocratie dans la paix.
Le sociétaire de l’UDPS qualifie d’anormales les conditions dans lesquelles l’ancien président Kabila a quitté le pays. Cependant, il fait savoir qu’elles ne sont pas étrangères au soutien dont bénéficie le M23 et à celui qu’apporte le président Kagame. Ils sont dans posture des gens qui s’estiment propriétaires du Congo pour l’avoir conquis en 1997, alors que son camp est dans une posture démocratique, pacifique ; leur combat pour la démocratie ayant commencé avant 1997, soit en 1982. Et de renchérir : « Nous ne sommes pas inscrits à la même enseigne. Ce dont il est question ici, ce n’est même pas le régime Tshisekedi, c’est plutôt le pays, c’est-à-dire la trajectoire du pays. La démocratie doit se poursuivre, se consolider, nous ne pouvons pas accepter qu’on nous ramène en 1997. C’est très clair ».
Le Gouvernement n’exclut pas le dialogue
En rapport avec la déclaration de Mgr Donatien Nshole selon laquelle l’on ne saurait pas avoir la paix sans le M23, l’honorable Nicolas Kazadi laisse entendre que l’exécutif n’a jamais fermé la porte du dialogue. Il est d’accord de parler avec toutes les parties dans un cadre qui est tracé, en l’occurrence le processus de Luanda qui met en face la RDC et le Rwanda, le véritable commanditaire, et puis celui de Nairobi qui réunit tous les groupes armés et les rébellions, en ce compris le M23. Tous ces groupes sont des instruments du Rwanda ou d’autres puissances. Il faut éviter de donner l’impression, comme ce fut le cas en 1997 avec Laurent-Désiré Kabila, qu’on a en face un véritable chef d’une rébellion. La preuve c’est le sort qui lui a été réservé.
Pour l’ancien argentier congolais, l’initiative des Eglises n’est pas un coup d’épée dans l’eau. C’est une contribution qui peut être positive, mais elle ne doit sortir de nulle part. Elle doit émaner d’un cadre et il en existe déjà un qui est tracé. Il est question de voir si elle peut et comment elle va s’y arrimer.
L’armée existe, mais souffre d’infiltrations
L’ancien argentier congolais soutient que l’armée existe et compte en son sein des vaillants soldats et officiers congolais. Son budget est passé en 2022 de 400 à 700 millions USD et un effort considérable a été réalisé pour la booster en équipements, formation et recrutement. Mais, elle souffre, à l’image des autres institutions de la République, de l’infiltration du sommet à la base ; l’infiltration à différents niveaux de commandement qui conduit à la démoralisation des troupes ou à l’abandon des villes et des localités à l’ennemi. C’est le mal que connaît le pays depuis 30 ans et qui continue de produire ses effets. Il en veut pour exemple le général Bosco Ntanganda. Supposément Congolais, il s’est déclaré Rwandais lors de son interpellation à la CPI, se disant plutôt officier rwandais au service du Congo alors qu’il a été nommé en bonne et due forme par les autorités congolaises. C’est ce type d’infiltration qui donne lieu à la corruption au sein des forces armées que la RDC connaît depuis 30 ans. Cependant, le député national élu de Miabi relève que d’autres pays connaissent des problèmes similaires, mais ont des armées efficaces.
A l’en croire, outre la corruption, il y a en ce qui concerne le Congo la volonté délibérée de l’empêcher de se construire et de ne pas permettre à l’Etat de s’assumer. Dès lors, il est de bon aloi que l’une des décisions prises sur base d’expériences au sein de la communauté internationale, en l’occurrence la non autorisation des brassages des forces, soit de mise en RDC. Mais, celle-ci a en face d’elle un adversaire qui fait de cela un point essentiel de sa négociation. Il veut qu’on revienne au brassage des forces, décider de qui doit être officier dans l’armée congolaise et où il doit se situer. Tout cela pour maintenir le pays dans un statuquo qui est la destruction de l’Etat Congolais. D’autre part, ces guerres successives ont comme objectif d’empêcher le pays de reconstruire l’armée et, par-delà, de relever les autres défis de développement.
Le Rwanda a deux problèmes
En ce qui concerne le conflit à l’Est, Nicolas Kazadi laisse entendre que le Rwanda a deux principaux problèmes. Le premier est d’ordre sécuritaire. Il a besoin d’un espace de sécurité étant donné son réflexe et sa crainte d’être victime d’une contrattaque ; son régime résultant des armes et du sang. Mais, la contrattaque ne viendra pas de Congolais qui ne sont pas belliqueux. Elle ne viendra que des Rwandais entre eux. A cet effet, Kigali soupçonne toujours les Rwandais qui seraient sur le territoire congolais, mais il a été prouvé que même s’il y en avait encore, ceux-ci ne peuvent pas constituer une menace pour la sécurité du Rwanda. Et de soutenir que bien que les revendications de ce dernier soient légitimes, cela ne lui donne pas le droit de s’atteler à ce qu’il fait en RDC et qui relève du crime contre l’humanité. Ses revendications militaires peuvent être résolues dans la paix, dans la coopération à l’instar de ce qui se fait avec l’Ouganda. Ce, de manière totalement transparente avec l’appui de la MONUSCO et d’autres forces.
Le deuxième problème est économique. C’est la véritable motivation. Il n’est pas acceptable, selon le député national élu de Miabi, que toutes les mines de l’est soient l’instrument par lequel nos ennemis arrivent à financer les guerres et la mort des Congolais : on tue les Congolais avec l’argent issu de leurs mines. En juin 2021, fait-il remarquer, la RDC a signé avec le Rwanda des JV (Joint-Ventures) pour exploiter certains actifs, notamment le coltan. Ça n’a pas marché. Probablement, le Rwanda aurait estimé que c’était beaucoup plus rentable de le faire dans le noir ou dans le sang. C’est bien dommage et pas du 21ème siècle. Et Nicolas Kazadi de noter avec amertume : « Il n’est pas impossible de construire quelque chose sur le plan économique comme l’ont fait à l’époque la France et l’Allemagne. C’est possible d’avoir un couple congolo-rwandais. Dans le Katanga, il y a des mines avec des intérêts miniers divers et variés, chinois en majorité, mais aussi sud-africains, etc. Avec l’Ouganda, nous partageons des projets économiques, entre autres, des routes. Et dans le cadre de CPGL, nous avons eu en commun avec le Rwanda un barrage hydroélectrique et une banque. Rien donc n’empêchait de le faire afin de sortir par le haut. Mais, il faut beaucoup d’élévation et de grandeur qui fait défaut ».
Moïse Musangana
Analyste politique