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Justice : l’affaire des 39 millions de dollars US ou le syndrome du mensonge d’État

L’histoire se répète, inlassablement, dans les couloirs du pouvoir congolais. « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose », disait Voltaire. L’affaire des 39 millions de dollars détournés sous couvert de construire une prison à Kisangani illustre, une fois de plus, cette maxime avec une ironie cruelle.

Le Garde des sceaux, Constant Mutamba, s’est empêtré dans ses propres contradictions. Dans un premier temps, son cabinet a publiquement démenti les alertes de la Cenaref, cette cellule de renseignement financier qui osa révéler une sortie frauduleuse de fonds dans un marché négocié de gré à gré – formule toujours suspecte dans un État où la transparence des marchés publics reste un vœu pieux. Puis, dans un second temps, le ministre a, en catimini, confirmé les faits auprès de la même Cenaref.

Pourquoi ce double langage ? Pourquoi menacer de poursuites ceux qui évoquent cette affaire, alors que le dossier semble bel et bien fondé ? Une telle volte-face ne fait que nourrir le soupçon d’une manœuvre de camouflage, voire d’une complicité tacite dans ce qui ressemble à une nouvelle dilapidation des deniers publics.

L’art de se dérober

Plus troublant encore : l’absence apparente de la Primature dans ce dossier. Comment un projet de cette envergure, impliquant des millions de dollars, aurait-il pu être initié sans l’aval de la cheffe du gouvernement ? S’agit-il d’une défaillance institutionnelle ou d’une stratégie délibérée pour éviter les responsabilités ?

Quant au ministre des Finances, qui a autorisé le décaissement de l’acompte, son silence est assourdissant. Se laver les mains, comme Ponce Pilate, ne suffira pas. Les Congolais ont le droit de savoir qui a signé, qui a ordonné, et qui a bénéficié de ces fonds.

Cette affaire corrobore les graves révélations de l’ancien ministre des Finances Nicolas Kazadi, qui dénonçait, il y a quelques mois, le détournement systématique des fonds destinés aux projets publics. Si les accusations de Kazadi avaient été balayées avec mépris par certains, les faits semblent aujourd’hui lui donner raison.

L’État de droit en berne ?

«Nous sommes en plein post-États généraux de la Justice, censés marquer un nouveau départ pour la transparence et l’efficacité de l’appareil judiciaire. Pourtant, cette affaire montre que les vieux démons persistent : opacité, mensonge institutionnalisé, et impunité présumée », commente un avocat ayant pris part à ces assises organisées sous Mutamba.

Il est temps que Mme la Première ministre s’exprime clairement sur ce dossier. Il est temps que le Parlement se saisisse de l’affaire. Il est temps que la justice, si elle est réellement indépendante, ouvre une enquête approfondie.

Les Congolais en ont assez des scandales financiers qui se succèdent sans que personne ne soit jamais tenu pour responsable. Si l’État de droit doit avoir un sens, c’est bien celui de la reddition des comptes. Sinon, le cynisme l’emportera, et avec lui, l’effondrement de la confiance des citoyens en leurs institutions.

La balle est dans votre camp, Madame la Première ministre.

Francis N.